mercredi 11 novembre 2009

La microéconomie élémentaire du tabac

En 1975, la France atteint son sommet historique dans la consommation de tabac : 7 grammes par adulte et par jour, soit plus d'un demi paquet de cigarettes. Une grande majorité des hommes fument, et ils fument partout et tout le temps.

Depuis, la consommation a baissé de 60% -essentiellement chez les hommes.
A quoi cela est-il dû ? Avant tout à la microéconomie élémentaire du tabac : plus son prix s'élève, moins forte est sa consommation (et réciproquement) -du moins à partir de la hausse du prix décidée par les pouvoirs publics au début des années 1990. Le tabac provoquant une des dépendances les plus fortes parmi toutes les drogues (seule l'héroïne en crée une significativement plus élevée), on peut même s'étonner de l'existence de la relation. Mais la microéconomie vaut même pour les junkies.

La baisse de la consommation précède néanmoins l'augmentation du prix : entre 1975 et 1985, la consommation diminue faiblement (10%) sans que le prix relatif ne change, ce qui nous rappelle qu'il y a d'autres facteurs à l'œuvre. Toutefois, les hausses décidées par les pouvoirs publics à partir de la fin des années 1980 vont provoquer une baisse de la consommation, selon une relation linéaire, digne d'un schéma de microéconomie de 1ère année.


Au final, entre 1985 et 2008, une hausse de 200% du prix du tabac aura induit une diminution de moitié de la consommation. Ce qui est loin d'être négligeable pour une drogue à forte dépendance comme le tabac. Qui plus est, l'élasticité prix augmente : la hausse des prix a un effet aujourd'hui beaucoup plus fort qu'il y a 30 ans. En 2007, une hausse de 1% du prix provoquait même une baisse de la consommation de 2% !

Du moins, en apparence : car si l'on regarde en détail ce qui s'est passé depuis 2004, on voit se produire des choses étranges.

Entre 2003 et 2004, les pouvoirs publics ont décidé de l'augmentation la plus forte jamais réalisée du prix du tabac : 22%. Cette hausse a complètement transformé le lien entre prix et consommation les années suivantes. Entre 2004 et 2006, la consommation baisse, alors que le prix baisse lui aussi. Puis, entre 2006 et 2008, on voit réapparaître une relation linéaire entre prix et consommation, mais située plus bas que la précédente et avec une "pente" moins élevée : pour tout niveau de prix, la consommation est plus faible et toute augmentation du prix provoque une baisse plus importante de la consommation qu'avant 2004.

Que s'est-il passé ? La réponse est assez évidente : ces chiffres de consommation (dus à l'INSEE) sont faux. Cette baisse est une illusion statistique due, en partie, à l'usage de plus en plus généralisé de tabac importé illégalement en France. Selon une étude douteuse due à un producteur, 1 cigarette sur 4 serait maintenant achetée à l'étranger. Si l'élasticité prix est aussi élevée, c'est tout simplement parce qu'une hausse des prix provoque maintenant à la fois une baisse de la consommation mais surtout un accroissement des importations illégales.

Mais je suppose qu'il s'agit d'un autre enseignement de la microéconomie élémentaire : le coût du tabac est aujourd'hui si élevé que toute hausse rend plus rentable encore l'importation de cigarettes illégales, malgré des coûts de transaction prohibitifs1.



__________________________________________

1. Qui plus est, on a vu se créer un double marché de la nicotine : à côté du marché de la cigarette est apparu un nouveau marché, celui de la nicotine "pure" sous la forme de "nicorettes" et autres substituts. Leur efficacité comme aide à l'arrêt semble très relative : on assiste à des consommations durables de ce genre de produits, parallèlement parfois à la cigarette. A tel point que Reynolds envisage d'acheter un des leaders du secteur. C'est, de fait, un marché dont la croissance est inversement proportionnelle à celui des cigarettiers. Et on peut parier que la dernière hausse va le relancer.

2 commentaires:

  1. Si les politiques de lutte contre le tabagisme démontre l'efficacité de la microéconmie pour comprendre certains mécanismes de consommation, elle en montre aussi les limites. En effet, la baisse de consommation n'est pas stable suivant les catégories sociales, et elle est d'autant plus forte que la population concernée est à une position élevée dans la hiérarchie sociale.
    L'insee a publié pas mal sur ces questions, et les spécialistes de l'analyse des politiques de luttre contre le tabagisme connaissent très bien cet effet pervers des effets prix sur la consommation de tabac. D'où des politiques mixtes entre hausse des prix et campagnes de préventions.

    RépondreSupprimer
  2. Je suis tout à fait d'accord. La probabilité d'arrêt de la cigarette est d'autant plus forte que l'on occupe une position sociale élevée : en la matière, le niveau de richesse joue autant que le capital culturel mesuré à travers le niveau de diplôme. Quelqu'un ayant un niveau de vie de plus de 17 700 euros a 19 points de pourcentage de plus d'être un ex fumeur, comparé à quelqu'un ayant un niveau de vie inférieur à 6 600 euros. Un diplômé du supérieur a 16 points de pourcentage en plus d'être un ex fumeur qu'un non diplômé. Cela souligne qu'il y a des mécanismes culturels, en plus d'économique, à l'arrêt de la cigarette.

    Ce qui pose, en plus de ce que vous dites, un problème de justice sociale, puisque ce sont les plus pauvres qui subissent le plus la hausse du prix du paquet de cigarette, puisqu'ils s'arrêtent moins de fumer que les autres.

    RépondreSupprimer