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dimanche 4 avril 2010

Mondes parallèles


Des mondes parallèles, mais néanmoins antagonistes, semblent cohabiter dans les pages des Échos : se rencontreront-ils un jour ?
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jeudi 17 septembre 2009

Lucidité tardive au Monde

Les lecteurs de ce blog se souviennent sans doute de mon énervement considérable face à la désinformation systématique qu'avait opéré Le Monde dans le traitement du mouvement universitaire de l'année dernière.

Une journaliste était particulièrement en pointe, Catherine Rollot ; et un de ses arguments avait particulièrement retenu mon attention, parce qu'il reposait sur une erreur méthodologique élémentaire. Selon cet argument, les mouvements universitaires des années précédentes avaient fait perdre des étudiants aux universités et celui en cours allait achever de les faire déserter. C. Rollot écrivait notamment :


[Du côté des universitaires], les blessés se comptent aussi. L'image de l'université en a pâti. Le premier bilan des demandes d'inscription dans l'enseignement supérieur en Ile-de-France est mauvais ; seuls 27,6 % des lycéens franciliens ont placé l'université en premier choix. C'est très peu quand on sait qu'au final, en septembre, sept bacheliers sur dix vont s'asseoir sur ses bancs.


Cette affirmation était du n'importe quoi au dernier degré, comme je l'indiquais ici.

Et que peut-on lire aujourd'hui dans Le Monde ? Surprise, surprise : un article dont le titre est : "Après la contestation du printemps, les étudiants ne désertent pas les universités". On peut notamment y apprendre que selon l'"entourage" du Ministre :

Après le mouvement qui a perturbé un certain nombre d'établissements au début de l'année, il n'y pas eu d'évitement des universités par les bacheliers.


On peut se rassurer : l'article n'est pas signé par Catherine Rollot. Il est néanmoins révélateur de la même limite du travail journalistique : la dépendance structurale à l'égard des sources primaires. C'était manifestement l'"entourage" de la Ministre qui avait inventé l'argument que reprenait C. Rollot (qui d'autre aurait pu lui fournir ses chiffres ?). Et c'est encore celui-ci dont les propos sont rapportés aujourd'hui sans analyse complémentaire. Cette dépendance est multiple : rapport d'échange qui implique de satisfaire la source en lui donnant au moins pour partie ce qu'elle attend ; proximité sociale et professionnelle qui devient proximité intellectuelle ; travail bâclé où l'on cite la source la plus prestigieuse, et de manière moindre une source contradictoire, pour former cet équilibre des points de vue auquel tend à se réduire la "neutralité" journalistique, au mépris du travail d'enquête par soi même.

De ce point de vue, la parole de "l'entourage" du Ministre est une parole forte, capable de définir la problématique du débat public -ne serait-ce que parce qu'il possède un monopole au moins temporaire sur les données statistiques, qui lui permet d'affirmer des choses fausses, mais face auxquelles tout le monde doit réagir. Ce jeu ne fonctionne bien sûr que pour autant que les journalistes relaient ces affirmations, sans en opérer une analyse préalable, qui était, dans le cas présent, dévastatrice.

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lundi 18 mai 2009

Le martyre du lecteur du Monde

Depuis quelques mois, le quotidien nous inflige une couverture inepte du mouvement universitaire. Les pages économiques ne valent guère mieux et semblent relever d'une loi de Gresham journalistique : les mauvais journalistes chassent les bons. Ainsi, le lecteur est confronté avec Pierre-Antoine Delhommais à une sorte d'Éric Le Boucher du pauvre, depuis le départ du vrai. Il impose au lecteur un brouet idéologique, où se mélangent du Allais de la mauvaise période avec quelques banalités libérales. La semaine dernière, nous avons eu droit à cette chronique, qui contient en son cœur une idée dramatiquement fausse : les banques centrales financent les déficits par création monétaire. Cela serait même l'essence de leur politique anti-crise. 1

En décidant d'acheter en masse les emprunts du Trésor, c'est-à-dire en choisissant de créer de la monnaie pour financer directement les déficits publics, la Réserve fédérale, la Banque d'Angleterre et la Banque du Japon - la BCE s'y refuse encore, mais pour combien de temps ? - sont "devenues asservies au budget de l'Etat".

L'article commence par nous servir l'air connu du "tout ça c'est la faute aux banques centrales", nouveau cri de ralliement du libéral désorienté. Puis il débouche sur cette ultime condamnation des banques centrales : elles se comportent maintenant comme celle du Zimbabwe. Elles sont devenues les instruments de l'État et impriment des billets pour payer sa folie dépensière.

Rien n'est pourtant plus faux : les banques centrales explosent bel et bien leur bilan, mais pour permettre au secteur privé de se désendetter. Elles ne privatisent pas la gabegie publique : elles socialisent les pertes privées -et la folie qui leur a donné naissance. Delhommais n'est pas seul à reprendre cette idée fausse, née probablement de l'annonce par différentes banques centrales, en particulier la Fed et la Banque d'Angleterre, de la mise en œuvre de politiques dites d'assouplissement quantitatif, par lesquelles ces banques achètent des obligations d'État à maturité longue, ainsi que certaines obligations privées. Le raisonnement a dû être le suivant : les banques achètent des bonds du Trésor. Cela signifie donc que les banques font tourner la planche à billet pour l'État. Mais ce n'est pas du tout ce qui se passe.

Habituellement, les banques centrales achètent et vendent des titres du Trésor à court terme pour influencer les taux d'intérêt à court terme. Si elles veulent faire baisser ces taux, elles achètent des titres à court terme, ce qui conduit à accroitre leur cours, c'est-à-dire à faire baisser les taux (si le prix des obligations augmente, cela signifie en effet que l'emprunteur obtient plus d'argent quand il vend une obligation : autrement dit, le taux d'intérêt auquel il emprunte baisse).

Ces taux à court terme influencent à leur tour la "courbe des taux", c'est-à-dire les taux d'intérêt pour les prêts à moyen et long terme. Il est donc abusif de dire que les banques centrales fixent les taux d'intérêt : elles ne fixent que les taux d'intérêt à court terme. Au delà de trois mois, c'est le marché qui décide, en partie en fonction des anticipations qu'il forme des taux d'intérêt futurs de la banque centrale.

Le problème des banques centrales, et en particulier de la Fed, est qu'elles ont aujourd'hui épuisé toutes leur munitions conventionnelles : les taux d'intérêt à court terme sont égaux à pratiquement 0. La politique monétaire classique est devenue inefficace. D'où l'idée de Bernanke, imité ensuite par la Banque d'Angleterre, de sortir l'armement lourd, autrement appelé "assouplissement quantitatif". L'idée est simple : faire avec les titres à moyen et long termes ce que l'on fait habituellement avec les titres à court terme : en acheter pour faire baisser leurs taux d'intérêt -et, tant qu'à faire, acheter également des obligations d'entreprises privées ainsi que des prêts hypothécaires titrisés. En payant le tout avec de la monnaie fraichement imprimée, ou plutôt, puisque nous vivons une époque moderne, par quelques octets informatiques. Le but poursuivi est de s'assurer que les taux d'intérêt que payent les entreprises et les ménages baissent significativement, les incitant à investir et consommer.

La Fed s'est lancé dans l'achat des bons d'État à partir de mars. Elle a surtout essayé de faire baisser les taux des obligations de 4 à 7 ans, pensant que ce sont celles qui influencent le plus les taux des obligations pour le secteur privé. Le résultat de son action est, comme on peut le voir sur ce graphique, extrêment faible, de moins de 25 points de base (0.25%). Elle est même totalement inopérante pour les maturités plus longues, où les taux ont augmenté.



Les banques centrales n'agissent pas ainsi habituellement en raison du risque de l'opération : la valeur des obligations à moyen et long terme peut baisser avant leur maturité ; les emprunteurs privés peuvent même faire défaut. Le danger est que la perte soit telle que la valeur même de la monnaie qu'émet la banque centrale soit atteinte. C'est pour cela qu'une banque centrale n'agit jamais ainsi en temps normal. Mais nous ne vivons pas des temps normaux.

Est-ce que cela revient à financer par création monétaire l'État ? Dans le cas présent, pas vraiment. Quand une banque centrale veut financer les dettes de l'État par de la monnaie, elle procède ainsi : elle achète directement, avec de la monnaie qu'elle vient de créer, des obligations à l'État, sans même passer par le marché des obligations. L'État se sert de cet argent pour financer ses dépenses. C'est cela "faire tourner la planche à billet" dans une économie moderne où la banque centrale ne se confond pas avec le Trésor. Cette opération est aujourd'hui rigoureusement interdite en Europe. Elle a, en effet, le vilain défaut d'être inflationniste. Et, du temps de sa splendeur, le monétarisme a réussi à imposer cette idée simple : l'inflation c'est mal.

Ici, ce n'est pas tout à fait cela qui se passe. La banque centrale se contente d'acheter, sur le marché secondaire (le marché de l'occasion, si l'on veut) des obligations que l'État a d'abord vendue à des acteurs privés, parfois il y a longtemps. Le but n'est pas d'aider l'État à financer ses nouvelles dettes en achetant des obligations qu'il émet. Il est de faire baisser les taux d'intérêt pour aider le secteur privé. Qui plus est, en septembre, la Fed a obtenu des fonds de la part du Trésor pour financer ces opérations -fonds que le Trésor a lui même obtenu en émettant des obligations : le Trésor s'est endetté au profit de la Fed...

Mais surtout, un simple coup d'œil au bilan de la Fed nous montre le caractère marginal de ces opérations :

On voit que, depuis septembre, la Fed a vendu plus de la moitié de ses obligations du Trésor. Elle n'a presque plus de T-Bill. Elle s'est remise à en acheter à partir de mars, avec l'annonce d'une nouvelle vague "d'assouplissement quantitatif". Mais la quantité d'obligations du Trésor que la Fed a achetée est très faible au regard de celle qu'elle a vendue depuis un an. Il est extrêmement clair que la Fed ne fait pas tourner sa planche à billet pour acheter des titres publics : depuis un an, elle en a vendu bien plus qu'elle n'en a acheté.

Par contre, on voit tout aussi clairement que l'essentiel de la politique d'assouplissement quantitatif engagé à partir de Mars a consisté à acheter des titres hypothécaires (Morgage-based securities) (dont les taux ont baissé de 30 points de base) et des obligations d'entreprise.

Pour le dire différemment : la banque centrale américaine (tout comme l'anglaise) crée de la monnaie pour financer la dette du secteur privé. Comme nous l'indiquions, elle est devenue un prêteur en premier ressort. Si elle ne prête pas au secteur privé, personne, en tout cas pas les banques et la plupart des acteurs financiers, ne le fera. La morale de cette histoire est simple : il s'agit de socialiser les pertes privés. Pas de privatiser les déficits publics. Pour une raison simple : nous ne vivons pas une crise de l'endettement public, mais de la dette privée.

Mais c'est une idée qu'il est sans doute dur de comprendre quand on croit dans la sagesse indépassable du marché et dans l'irresponsabilité principielle de l'État.


1. Ce qui, du reste, dans les circonstances actuelles ne serait guère problématique, et nullement inflationniste (à court terme) : cela reviendrait à injecter dans l'économie les liquidités que les ménages et les banques ont retiré, en les gardant oisives dans leurs comptes.


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jeudi 23 avril 2009

Le "je ne regrette rien" du Monde

Catherine Rollot fanfaronne dans Le Monde d'aujourd'hui :

"Le Monde a tenté chaque jour, en toute indépendance, aussi bien vis-à-vis du pouvoir politique que des pouvoirs intellectuels, d'informer au mieux ses lecteurs sur ce mouvement complexe, multiforme et durable."

Son boulgi-bouga fait de reprise inquestionnée des communiqués du ministère, agrémentés de quelques stéréotypes populistes, sous fond d'ignorance (volontaire ?) des plus élémentaires données du problème, de saisissantes erreurs factuelles et/ou de méthode serait donc un modèle de couverture journalistique, informée et indépendante.

Je crains de ne devoir refroidir l'autosatisfaction de Mme Rollot : son papier du jour est de la même farine que ses précédents, et il comporte tant de biais idéologiques et témoigne d'une si grande incompétence qu'il va me falloir y apporter quelques correctifs.

Son analyse se fonde sur l'habituelle psychologisation des universitaires et des chercheurs en grève : leur mouvement est l'expression d'un malaise et de craintes et leur état d'esprit du moment est l'amertume. Des gens dont le métier est de penser ne peuvent décidément pas s'opposer à une réforme pour des motifs essentiellement rationnels : ils sont bien trop émotifs pour cela.

Quant au gouvernement, comme de bien entendu, il a commis des maladresses qui semblent devoir expliquer l'essentiel de la "radicalisation" : son intention est juste, comme le projet, seule la manière est critiquable. Aucune opposition n'est donc véritablement rationnelle, fondée sur autre chose que des réactions psychologiques à des craintes, un malaise, ou des maladresses gouvernementales.Telle semble être l'analyse constante de Mme Rollot sur la question.

Catherine Rollot constate pourtant, presque étonnée :

Tous les acteurs qui ont approché cette crise ont pris des coups. Le Monde a été violemment mis en cause dans sa mission d'information par une partie du mouvement universitaire.

Et bien, je vais, à travers l'analyse d'un seul paragraphe, m'efforcer de lui expliquer pourquoi son travail a été si violemment mis en cause : parce qu'il reflète tant d'incompétences au service d'un tel parti-pris, qu'elle devrait elle-même en avoir honte. Voici le paragraphe en question :

En face [du côté des universitaires], les blessés se comptent aussi. L'image de l'université en a pâti. Le premier bilan des demandes d'inscription dans l'enseignement supérieur en Ile-de-France est mauvais ; seuls 27,6 % des lycéens franciliens ont placé l'université en premier choix. C'est très peu quand on sait qu'au final, en septembre, sept bacheliers sur dix vont s'asseoir sur ses bancs.
On aura reconnu là son argument préféré, qu'elle ressert incessamment à ses lecteurs : le mouvement universitaire dessert ceux qui le mènent : il vide leurs universités.

J'ai déjà tenté d'expliquer, à l'occasion d'un billet précédent, pourquoi cet argument était faux. Mais Mme Rollot ne semble pouvoir en faire son deuil : se non è vero è ben trovato, tant est qu'elle ne peut s'en passer. Elle nous propose ici de nouvelles preuves en sa faveur : peut être s'est-elle aperçu que les précédentes étaient nulles. Mais les nouvelles ne valent guère mieux que les anciennes. Elles cumulent erreur factuelle et erreur de méthode.

Commençons par l'erreur factuelle : il est gravement inexact d'écrire "qu'au final, en septembre, sept bacheliers sur dix vont s'asseoir sur [les] bancs [de l'université]". En 2007-2008, dernière année pour laquelle les données du ministère sont disponibles, seuls 35 % des bacheliers se sont inscrits à l'université. Plus précisément, 55% des bacheliers généraux, 16% des bacheliers technologiques et 5% des bacheliers professionnels se sont inscrits en fac, soit 35% des bacheliers de 2007, tous types de bac confondus.

Appliquons le principe de charité : peut être que Mme Rollot ne parle pas de l'ensemble des bacheliers, mais uniquement de ceux qui ont poursuivi des études dans le supérieur. Mais là encore, aucune trace de sa proportion de 1 pour 7 : 45 % des bacheliers qui ont poursuivi des études dans le supérieur l'ont fait en fac. Même dans le cas le plus favorable, celui des bacheliers généraux, on n'atteint que 56%. On se demande donc où Mme Rollot est allé chercher un pareil chiffre, si ce n'est dans son imagination.

Il est, du reste, vrai que ce chiffre, aussi imaginaire soit-il, a du moins pour avantage de mettre en valeur la proportion de 27.6% de lycéens optant pour l'université comme premier choix d'orientation. Si on se souvient que 35% des lycéens vont finalement en fac, et 45% de ceux qui vont dans le supérieur, le chiffre est, de fait, d'un coup moins saisissant.

Mais on atteint là à une deuxième erreur, de méthode, dont témoignait déjà son article précédent : avant d'attribuer une cause à un phénomène, il faut s'assurer d'avoir épuisé toutes les autres causes possibles, écrivions-nous déjà à son sujet. En pure perte, faut-il croire.

En l'occurrence, ce que Mme Rollot ne dit pas à ses lecteurs est que la procédure de vœux pour le supérieur des lycéens de l'île de France a été profondément modifiée cette année : la procédure dite RAVEL a été remplacée par la procédure Admission Post-Bac. Cette dernière, relativement complexe, vise à optimiser les flux, et est fondée sur le fait que le lycéen obtient nécessairement une inscription en fac, dans l'hypothèse où ses vœux sélectifs n'ont pas été retenus par les établissements de ses choix. Par contre, il n'obtiendra pas de vœux sélectifs s'il place comme premier vœux la fac. Pour le dire différemment, cette procédure a pour effet mécanique d'encourager les élèves à formuler d'abord des vœux sélectifs. Le chiffre de 27.6% n'a donc rien d'étonnant.

Plus encore : il ne prouve nullement ce qu'il vise à démontrer, à savoir que les lycéens fuient la fac en raison du mouvement de grève. Pour que ce chiffre prouve quelque chose, il faudrait en effet pouvoir le comparer avec ceux des années précédentes, pour voir s'il y a bien une désaffection résultant de la grève. Mais comme on vient de le noter, la procédure de vœux a changé : il est donc impossible de le faire. Catherine Rollot ne s'y essaye d'ailleurs même pas : ce qui ne l'empêche nullement d'utiliser ce chiffre comme une preuve définitive.

Cette difficulté méthodologique n'aurait, du reste, pas dû embarrasser Mme Rollot : on dispose, en effet, de données pour savoir si, oui ou non, les mouvements universitaires sont à l'origine de la baisse des effectifs en fac. Et ces données ruinent sa démonstration.

Ce graphique porte sur le taux d'inscription des bacheliers dans les différentes filières du supérieur depuis 1990. On voit très clairement que la proportion de bacheliers qui s'inscrivent à l'université est en baisse depuis très longtemps : depuis l'année universitaire 1995-1996, c'est à dire il y a 14 ans maintenant. Durant cette période, cette proportion a baissé de 14 points de pourcentage, passant de près de 50% à 35 %, ce qui est considérable. La baisse a été continue, à l'exception des années 2001-2005. Ce que Catherine Rollot propose à ses lecteurs comme un scoop (les bacheliers s'inscrivent moins en fac à cause de la grève) est, en fait, un mouvement de fond, très largement antérieur à cette grève, et à tous les mouvements qui ont pu agiter l'université en 2006 (CPE), 2008 (loi LRU) ou 2009.

Si les bacheliers témoignent d'une désaffection croissante pour l'université, cela ne renvoie nullement aux grèves qu'elle peut connaitre, mais cela a beaucoup à voir avec l'incroyable pauvreté de l'université française, en particulier dans le premier cycle, qui pousse les bachelier à chercher des filières qui leur offrent un encadrement du même type que celui qu'ils connaissent au lycée. Ainsi, la dépense par étudiant à l'université est 25% plus faible qu'au lycée. Elle est 45% plus faible qu'en classe préparatoire, 42% plus faible qu'en BTS, 15% plus faible qu'en IUT. Il en est ainsi pour une raison simple, que le ministère note lui même :

L'écart très important [...] provient en grande partie des différences de taux d’encadrement dans les universités (où une grande partie des cours, particulièrement au niveau de la licence, a lieu en amphithéâtre), et dans les établissements secondaires où sont implantées les classes de STS et de CPGE, qui bénéficient de taux d’encadrement du même ordre que celui des classes secondaires. (Repères et références statistiques 2008, p. 334)

Les étudiants issus de la massification scolaire (+82% d'étudiants entre 1980 et 2000), qui n'ont pas la même capacité d'autonomie, cherchent, au moins pour débuter leurs études universitaires, à s'orienter vers des filières disposant du même type d'encadrement que le lycée et vont, en grande partie pour cette raison, de moins en moins en fac après le bac.

Par contre, ces étudiants retournent souvent à l'université, une fois le premier cycle franchi : un tiers des lauréats d'une licence obtenue en 3 ans par les bacheliers de 2002 étaient d'abord passés par un BTS ou un IUT. Bref, lorsque le taux d'encadrement s'améliore, les étudiants reviennent. Ainsi, si le nombre d'étudiants baisse en premier cycle universitaire depuis 1995, il a augmenté en second et troisième cycle (sauf depuis 2005, où il baisse comme l'ensemble des effectif du supérieur, notamment pour des raisons démographique). Le nombre d'étudiants en doctorat a même augmenté de près d'un tiers depuis 1995 : de fait, l'université continue d'offrir l'essentiel des filières de qualité à ce niveau.
Pour le dire différemment : lorsque l'université a les moyens d'offrir une offre de qualité, elle attire des étudiants. Une grande partie du drame de l'université d'aujourd'hui tient précisément dans l'absence d'efforts financiers qui auraient permis d'adapter les moyens de l'université, et en particulier le taux d'encadrement, aux besoins des nouvelles générations de bacheliers, produits de la massification scolaire. C'est là la cause principale de la désaffection des premiers cycles universitaires : les lycéens connaissent les conditions d'étude souvent indignes qui leur sont offertes en fac. Peut-être qu'un jour Mme Rollot l'apprendra également à ses lecteurs.

NB : dans ce billet, l'université ou la fac désigne l'ensemble des formations offertes par les universités françaises, sans prendre en compte les IUT (filière sélective).
Pour des raisons de continuité dans la série statistique, le découpage en cycles renvoie au découpage antérieur à la réforme LMD : le premier cycle correspond à l'ancien DEUG, le second à la troisième année de licence et à la maîtrise, le troisième au doctorat.

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