Il était une fois une fac de dangereux gauchistes. Des durs, des radicaux, tendance Black Block. Au moindre mouvement de grève, cette fac était toujours à la pointe des luttes. Elle était systématiquement bloquée, parfois pendant des semaines.
Mais l'histoire est pleine de ruse, surtout pour les révolutionnaires et les gauchistes : face à tant de chienlit, les familles prirent peur, et même leurs enfants. Plus personne ne souhaitait y étudier, de peur de ne pouvoir précisément le faire, à force de blocus et de grèves votées à main levée dans des amphis manipulés. Les effectifs baissèrent, vertigineusement. A la rentrée 2004, la fac comptait 16 670 étudiants. A la rentrée 2007, ils n'étaient plus que 14 490 -soit une baisse de 13% des effectifs en 3 ans, ou encore un taux de baisse moyen par an de 4,6%. Cela alors même que la principale discipline enseignée dans cette fac voyait ses effectifs nationaux augmenter de 3,3% sur la période.
Le nom de cette fac ? Paris II... la fac la plus conservatrice de France, où l'on enseigne cette matrice de tous les mouvements gauchistes qu'est le droit, et où afficher un peu trop ostensiblement son appartenance à l'extrême gauche pouvait avoir, il y a encore 10 ans, des conséquences de nature physique, suite à la réaction de quelques étudiants du GUD.
A l'ironie près, mon récit édifiant pourrait pourtant se lire dans Le Monde, où les journalistes, ou plutôt certains d'entre eux, semblent méconnaitre les points les plus élémentaires de toute enquête. Un chiffre ne veut rien dire, isolé. Il est impossible de tirer la moindre inférence de l'évolution du nombre d'élèves d'une fac, si l'on ne replace ce nombre dans son contexte, et mieux encore si l'on n'effectue une comparaison systématique, et si possible contrôlée, des variables causales possibles pour savoir de quelle(s) cause(s) il est l'effet.
On peut ainsi affirmer, à travers la comparaison au dessus, que les effectifs de Paris II connaissent une baisse d'une ampleur très grande relativement à ce qui leur est comparable : l'évolution des effectifs des autres facs de droits et de la filière juridique en général. Il y a donc un phénomène spécifique, à expliquer, et pas un artefact produit par une ignorance des règles élémentaires de la méthode. Même si l'hypothèse de la chienlit gauchiste semble être un facteur explicatif peu probable.
Et c'est pourtant à une analyse de ce genre d'artefact à laquelle se livre Catherine Collot, dans un article sur les conséquences de la mobilisation universitaire intitulé "Les facs mobilisées voient leur image se dégrader". En substance, l'article soutient que les facs les plus mobilisées sont victimes de leurs mobilisations, en particulier Montpellier III, Toulouse II et Rennes II, leur image se dégradant jusqu'à provoquer une baisse de leurs effectifs. Ce mécanisme est d'ailleurs illustré par la réaction d'une parent d'élève de la PEEP, fédération dépourvue de toute orientation et de tout agenda politique comme l'on sait au Monde, qui affirme qu'elle n'aurait jamais permis à ses enfants de rejoindre des lieux si mal famés et si peu propices à l'étude.
Ce modèle d'enquête journalistique est fondé sur un fait statistique incontestable... Les effectifs baissent, beaucoup. Selon l'article, Rennes II avait 22 000 étudiants en 2005 (l'année 2004-2005, je suppose) et 16 500 en 2009 (2008-2009, je suppose). Montpellier aurait perdu 7% de ses étudiants en moyenne à chacune des trois dernières rentrées. Toulouse II aurait perdu 5 000 étudiants depuis 6 ans.
Il est impossible de vérifier la véracité de ces chiffres : ni les facs, ni le ministère, ne donnent d'information pour l'année 2008-2009. Par contre, toutes les données sont disponibles pour les années antérieures, soit jusqu'à l'année 2007-2008, sur le site du Ministère de l'éducation nationale.
Et ces données ruinent toute la démonstration de Catherine Collot. Elles font en effet apparaître un fait essentiel que Catherine Collot semble ignorer : les universités françaises voient toutes leurs effectifs baisser. Seules les filières de droit et médecine sont épargnées par le phénomène. Il n'est pas le lieu ici d'analyser les causes de cette baisse. Constatons seulement qu'elle est particulièrement forte en "lettre, langue et sciences humaines", filière qui a vu ses effectifs baisser entre 2004-2005 et 2007-2008 de 13%.
Selon les données du ministère, entre 2004-2005 et 2007-2008, les effectifs de Montpellier III, comme ceux de Toulouse II, ont baissé de 16%. 16%, c'est à dire presque autant que la baisse des effectifs de la filière "lettre, langues, sciences humaines". Or, Montpellier III, tout comme Toulouse II, ne sont spécialisées que dans cette seule filière : l'essentiel de la baisse des effectifs de ces universités est donc explicable par la baisse globale, constatée partout en France, des effectifs de la filière que l'on y étudie. Catherine Collot a donc construit toute sa démonstration sur un pur artefact, fondé sur l'ignorance d'une règle méthodologique élémentaire : avant d'attribuer une cause à un phénomène, il faut s'assurer d'avoir épuisé toutes les autres causes possibles. Surtout lorsqu'il s'agit d'une cause aussi immédiatement évidente que l'évolution nationale des effectifs d'étudiants.
Et l'on est d'autant plus incité à le faire que l'on peut constater, d'une part, qu'une fac comme Paris II a vu ses effectifs baisser selon un rythme proche de celui de Montpellier III et Toulouse II, sans connaître de mobilisation, alors même qu'elle est spécialisée dans des filières dont les effectifs ont augmenté au niveau national (à part AES) et, d'autre part, que des facs presque autant mobilisées que Montpellier III ou Toulouse II, comme celle de Nantes, ont vu leurs effectifs stagner (-2% pour Nantes).
Seule Rennes II semble affectée par une baisse significativement plus forte que la moyenne nationale avec une chute de 19% des effectifs. Mais là encore, il est impossible d'attribuer comme cause à cette baisse les mobilisations qu'a connues la fac sans autre examen que les propos d'un président de fac ou d'un parent d'élève de droite : bien d'autres facteurs peuvent être à l'œuvre, dont certains plus structurants comme l'évolution du nombre de bacheliers dans l'académie de l'université. Avant d'avoir vérifié que ces facteurs ne sont pas explicatifs de la baisse particulière des effectifs de Rennes II, on ne peut rien affirmer. Du moins, si l'on veut donner un sens aux mots de "déontologie journalistique" dont on se gargarise pourtant au Monde.
Cet article est une superbe illustration de l'erreur commune des analyses de débutants et/ou des analyses politiquement orientées : l'utilisation de chiffres de manière illustrative à l'appui d'une thèse qui leur préexiste. On veut affirmer quelque chose, et l'on cherche le chiffre qui va bien. Et pour achever la démonstration, on ne cite que les réactions des acteurs (présidents de fac, membre d'une fédération de parents d'élève de droite, etc.) hostiles au mouvement en court, trop heureux d'abonder dans le sens de la journaliste qui les interroge. Au mépris des règles les plus élémentaires de toute méthode d'enquête et de la déontologie journalistique même.
samedi 4 avril 2009
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