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jeudi 11 février 2010

Le fantasme allemand et la désindustrialisation (II)

Le fantasme allemand se fonde pour une part essentielle sur le mercantilisme crétin qui, joint à l'industrialisme irréfléchi, tient lieu de pensée économique à beaucoup en France. Ce mercantilisme repose une propositions binaire : balance commerciale excédentaire, bien ; balance commerciale déficitaire, mal. Comme sa balance commerciale est très très excédentaire, cela va donc très très bien pour l'Allemagne. Si l'on ajoute qu'elle a maintenu une part constante de son PIB dans l'industrie, c'est donc qu'elle a su s'insérer avec compétitivité dans la mondialisation.

Le problème du mercantilisme crétin est qu'il méconnait le fait qu'une balance commerciale excédentaire ne signifie rien en soi : à la fois au niveau de ses causes et de ses conséquences. Il n'y a aucune justification théorique à la présence d'une balance commerciale excédentaire en toute situation. Dans le cas de l'Allemagne, cette balance commerciale a eu un coût économique élevé. Non seulement pour elle, mais aussi pour les autres pays européens.

Il faut partir d'un constat : contrairement à ce que voudrait le mercantilisme crétin, l'énorme excédent commercial allemand n'a pas généré de la croissance. Au contraire, depuis que l'Allemagne a adopté l'agenda 2010 de reconquête de sa compétitivité, sa croissance économique a été anémique. Avant même la récession de 2009, c'était l'une des plus faibles en Europe.

Même en comparaison de la France, son taux de croissance est très faible. Entre 2000 et 2008, son PIB n'a augmenté que de 10%. Sa récession économique en 2009, une des plus violentes dans le monde, a finalement ramené ce taux de croissance depuis 2000 à moins de 5%. Une décennie quasiment blanche, que l'on voudrait pourtant faire passer pour un succès. A part le Japon, aucun pays développé n'a eu une croissance aussi faible sur la période.

A ce premier constat, on peut ajouter d'autres indicateurs d'insuccès. L'Allemagne n'a pas créé d'emploi entre 2000 et 2010. Avant la crise, en 2008, elle en avait moins créé que la France (3% de plus contre 6%). Entre 2000 et 2008, son taux de chômage n'a pas baissé (7.5%), tandis que celui de la France passait de 9% à 7.8%.

Que s'est-il passé ? L'Allemagne a appliqué, à la lettre, la stratégie voulant que pour être compétitif, il faut baisser le coût du travail. Ainsi, bien qu'elle ait eu moins de gains de productivité que la France (12% pour la productivité par heure entre 2000 et 2007, contre 15% pour la France), le coût unitaire du travail a baissé, nettement, tandis qu'il augmentait en France.

Quand une entreprise a des gains de productivité, elle peut en faire trois choses. Elle peut augmenter les salaires. Si elle les augmente autant que les gains de productivité, le coût unitaire du travail, c'est-à-dire ce que coûte en rémunération salariale la production d'une unité d'un produit donné, reste constant. Si elle n'augmente pas les salaires, le coût unitaire du travail diminue, et l'entreprise peut alors faire deux choses : soit baisser ses prix, redistribuant les gains de productivité au consommateur ; soit augmenter ses profits, se redistribuant, ainsi qu'à ses actionnaires, les gains de productivité. (Dans les faits, ces trois possibilités se combinent en proportion plus ou moins importante).

Les entreprises allemande, encouragées par leur gouvernement, ont choisi de n'augmenter que faiblement les salaires. Cela leur a permis, en 8 ans, de baisser le coût unitaire du travail de plus de 10%. Ce qui correspondait à une stratégie, celle qu'énonce Baverez : reconquérir de la compétitivité prix au niveau international en rendant possible une baisse des prix du made in Germany. Cette stratégie de reconquête de la compétitivité prix est, en apparence, un succès, puisque la balance commerciale allemande a été multiplié par 3 entre 2000 et 2008, pour atteindre près de 180 milliards d'euros (10% du PIB de la France).

Mais le succès n'est qu'apparent. Cette stratégie a, de fait, conduit à briser la dynamique interne de croissance, qui demeure importante pour un pays de grande taille comme l'Allemagne, en créant d'importants déséquilibres dans le bouclage macroéconomique.

Premièrement, les salaires n'ont presque pas augmenté, tandis que les prix ne baissaient pas à proportion des gains de productivité. Les entreprises allemandes ont donc considérablement augmenté leur rentabilité. Il s'est produit, durant les années 2000, une transformation d'une ampleur historique dans le partage de la valeur ajoutée en Allemagne.
Le taux de marge a augmenté de 6 points de % entre 2000 et 2008 atteignant un sommet historique, alors qu'il restait stable en France. La rentabilité des entreprises allemandes s'est considérablement accrue.

Or, ces évolutions ont conduit à anémier la demande intérieure à un niveau tel que la hausse de la demande extérieure n'a pu le compenser. Premièrement, la stagnation des salaires a provoqué une stagnation de la consommation.

Par ailleurs, contrairement à ce qu'affirme Baverez, emporté par la force du fantasme, la hausse considérable de la rentabilité des entreprises allemandes n'a pas conduit à un "élan formidable de réinvestissement", mais au contraire. (La croissance de l'investissement a même atteint un niveau si faible qu'il en est inquiétant pour l'avenir de la compétitivité allemande.)

La consommation finale atone, jointe à la faible hausse de l'investissement, a engendré une stagnation de la demande intérieure, que la hausse de la balance commerciale n'a pas compensé.

La stratégie qui consiste à regagner de la compétitivité en baissant le coût du travail n'est donc pas une voie royale, mais un chemin périlleux, parce que cela menace de briser les équilibres dynamiques macro internes. Dans ce chemin périlleux, l'Allemagne s'est en partie perdu. Contrôler ses coûts du travail n'est donc pas la solution miracle face à la mondialisation, contrairement à ce qu'affirme N. Baverez. Cela ne peut suffire, et cela peut même être dangereux.

Mais il faut nuancer, en ajoutant une chose, décisive. Les efforts en termes de coût du travail en Allemagne ont été bien moins récompensés qu'on peut le croire. Ils ont été peu de chose au regard des évolutions du taux de change de l'euro. Si l'on considère le coût unitaire du travail en Allemagne en dollars et non en euro, et donc en tenant compte des évolutions du taux de change euro/dollar, celui-ci a, en effet, évolué très différemment.


Le coût du travail a, non pas baissé, mais s'est considérablement accru, de près de 40%, à mesure que le taux de change de l'euro par rapport au dollar augmentait durant la décennie 2000. Ce qui a engendré une baisse de la compétitivité prix de l'Allemagne, en dehors de la zone euro, et des pays dont les monnaies sont arrimées à l'euro. Car, contrairement à ce que l'on lit presque toujours, la compétitivité de l'industrie allemande a, également, été affectée par la considérable réévaluation de l'euro.

La totalité de la hausse de sa balance commerciale s'est faite en Europe, et en particulier dans la zone euro. Ses excédents commerciaux avec le reste du monde ont baissé depuis 2002, c'est à dire l'année même où la valeur de l'euro en dollar a commencé à augmenter, entrainant avec lui une hausse du prix en dollar du made in Germany.

Et c'est là que l'on touche à l'arrière fond anti-coopératif au niveau européen de l'agenda 2010. Au regard des évolutions du taux de change euro/dollars, la zone où l'Allemagne pouvait préférentiellement accroître sa balance commerciale est l'euro, puisque, par définition, le taux de change n'y a aucune incidence.

Or, il est une vérité élémentaire en économie internationale : tout excédent commercial a pour contrepartie un déficit. Pour qu'un pays soit en excédent, il faut que d'autres soient en déficit. Autrement dit, en cherchant à obtenir des excédents commerciaux, au prix d'une stagnation de sa demande intérieure, l'Allemagne a poursuivi une stratégie anti-coopérative à l'égard des autres pays européens. Elle a obtenu moins de croissance, et elle a creusé les déséquilibres commerciaux de la zone euro. Le déficit commercial de la France est, en partie, provoqué par cette stratégie. Mais il est peu de chose au regard de celui de la Grèce ou de l'Espagne. Les déficits de ces pays ont, certes, été nourris par des dynamiques internes (spéculatives notamment pour l'Espagne), qui en sont la première cause. Mais ce sont aussi eux qui ont, en partie, rendu possible l'excédent commercial allemand. Et maintenant que ces déficits débouchent sur une crise financière massive, l'Allemagne refuse de payer, et ne le fait finalement que face à l'évidence du risque.

Cette stratégie de compétitivité par la baisse du coût du travail n'est donc pas qu'un échec pour l'Allemagne : c'est aussi un échec pour les autres pays européens, et plus profondément encore pour la construction européenne, en ce qu'elle révèle une incapacité profonde à la coordination macroéconomique au niveau de l'Europe face aux égoïsmes nationaux.


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lundi 8 février 2010

Le fantasme allemand et la désindustrialisation (I)

En écoutant samedi dernier, L'économie en question, j'ai atteint le stade du ras le bol. Pour une énième fois, le fantasme de la désindustrialisation-qui-provoque-le-déclin était convoqué ad nauseam. Nicolas Baverez était en pleine jubilation : il l'avait bien dit, et les récents échecs des industriels français à Abou Dabi ou ailleurs en était la preuve éclatante. Ce fantasme, que semble partager tout homme conservateur de plus de 50 ans, tient en deux propositions :

* Un pays fort est un pays industriel.

* Pour maintenir la compétitivité industrielle dans la mondialisation, il faut savoir contenir le coût du travail.

La France décroche parce qu'elle a échoué à maintenir ses coûts. L'Allemagne réussit parce qu'elle a fait l'inverse.

Ce fantasme de la désindustralisation se double en effet d'un fantasme de l'Allemagne. L'Allemagne, à en croire Baverez est « le seul pays européen favorablement positionné dans la mondialisation en raison du rétablissement de sa compétitivité et de la force de son industrie ». Ou encore, comme il le déclarait samedi, « il n'y a pas de fatalité à la désindustrialisation. Un contre exemple est l'Allemagne qui a réussi à reconstituer la compétitivité de la nation à partir de son industrie [...] grâce à l'agenda 2010 qui a été un élan formidable de réinvestissement mais aussi et surtout de contrôle des coûts unitaires du travail. »

Rien ne saurait pourtant être plus faux, ou du moins plus discutable, que ce double fantasme. En effet, à première vue, c'est l'inverse même qui semble être vrai : la capacité d'un pays à maintenir une proportion constante de son PIB dans le domaine industriel n'a pas de lien, ou un lien négatif, avec son dynamisme économique ; la stratégie allemande est un échec presque complet, échec coûteux pour les autres pays européens.

Débutons donc par la première proposition, qui veut qu'un pays développé doive, pour être dynamique, maintenir une forte base industrielle.

Premièrement, il faut rappeler que la production industrielle n'a pas baissé dans la plupart des pays développés. Il n'y a pas de désindustrialisation au sens où l'on produirait chaque année de moins en moins de biens manufacturés. La production de biens manufacturés continue à croître dans la plupart des pays développés, y compris la France. Mais, dans la mesure où elle croit moins vite que la production dans les autres branches du PIB, sa part dans la production économique d'ensemble diminue, parfois fortement. Ainsi, en France, entre 2000 et 2008, la valeur ajoutée produite dans l'industrie manufacturière a augmenté de 4.25% (et de 30% entre 1990 et 2008), tandis que sa place dans le PIB diminuait nettement, passant de 16% (et 18% en 1990) à 12%. La désindustrialisation est donc relative, et non absolue.



D'autre part, rien ne prouve que cette désindustrialisation relative exerce un effet négatif sur le dynamisme d'une économie. Entre 1990 et 2008, il n'y aucun lien entre le taux de croissance d'une économie et le taux de variation de la part qu'occupe l'industrie manufacturière dans son PIB.



Entre 2000 et 2008, on voit même apparaître un lien négatif, même si la corrélation est faible. Moins un pays s'est désindustrialisé d'un point de vue relatif, plus faible a été son taux de croissance sur la période. Autrement dit, si l'on veut choisir une stratégie de spécialisation, rien ne prouve que maintenir une proportion constante de son activité économique dans le domaine industriel, comme y est parvenu l'Allemagne, soit une bonne chose pour un pays développé. C'est même plutôt l'inverse qui semble vrai. Dans le cas de l'Allemagne, cette stratégie s'est avérée être un échec : elle a un des taux de croissance les plus faible de tous les pays développés -et ce avant même la crise de 2009, qui l'a plus affecté que la plupart des autres économies développées.



Manifestement, alors que les pays asiatiques gagnent en compétitivité dans le domaine, et que la proportion de la consommation consacrée aux biens industriel ne cesse de diminuer dans tous les pays développés, il y a sans doute mieux à faire que de vouloir, à toute force, se maintenir dans le secteur industriel. Et, en tout cas, aucune preuve de la pertinence d'un tel choix.


La suite de ce post est ici.

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mercredi 9 décembre 2009

La banqueroute grecque au secours de la France

On s'interroge gravement, dans Le Monde et ailleurs, sur les effets de la dégradation de la note de la dette publique grecque par les agences de notation.

De cette notation, on ne peut pas dire grand chose, puisqu'elle consiste à appliquer des méthodes d'évaluation opaques à des comptes publics plus opaques encore, qui feraient passer ceux d'Enron pour un modèle de rigueur et de probité. Souvenons nous par exemple qu'il y a 3 ans, les Grecs ont décidé de devenir plus riches de 25% du jour au lendemain par la grâce d'un artifice comptable : intégrer une estimation de l'économie souterraine à leur PIB. Cette seule anecdote en dit long sur la valeur des comptes publics grecs. Comme Enron, il ne reste plus que la vérité du cash flow pour juger en ces circonstances : tant que l'Etat grec est à flot, c'est donc que tout va bien. Pour le reste, on ne sait pas tout simplement pas. Même si certains parviennent à se faire grassement rémunérer leur ignorance.

Ce qui est, par contre, sûr c'est que Le Monde a tort de verser, comme à son habitude, dans le registre tragique du déficit-qui-va-tous-nous-emporter-surtout-si-on-doit-payer-en-plus-pour-les-Grecs. Pour l'instant, tout cela est favorable à l'État français et à son endettement.

Pourquoi ? La raison est simple : il y a des liquidités en abondance sur les marchés financiers. Même si la peur n'est plus ce qu'elle était, la fuite vers la qualité n'a pas cessé : les investisseurs veulent du sûr. Et le sûr, cela reste la dette publique des États sérieux. Or la France est un État sérieux. C'est ainsi que le cours des obligations de l'État français a baissé nettement à l'automne dernier à mesure que les acteurs financiers vendaient des titres peu surs (privés) pour acheter des dettes publiques sûres, dont la française.


Le même mécanisme a lieu actuellement : plus la dette de la Grèce apparaît risquée (ainsi que celle de quelques autres pays), plus l'on s'en détourne, plus les investisseurs se dirigent vers ce qu'il y a de plus sûr : la dette d'États comme la France.

Les taux d'intérêt sur les obligations de l'Etat grec sont donc négativement corrélés avec ceux de la dette de l'Etat français.

Chose plus étonnante encore, la crise de confiance actuelle ne profite pas davantage à l'Allemagne qu'à la France. Généralement, dans ce genre de circonstances, l'Etat allemand est le grand gagnant : rien ne semble plus sûr que lui. Si on achète plus de dette française, on achète encore plus de l'allemande, et l'écart entre les deux taux d'intérêt grandit, l'un baissant plus que l'autre. C'est d'ailleurs ce qui s'est passé à partir de septembre de l'année dernière, jusqu'en janvier. Ici, rien de tel, les spreads ont même tendance à se réduire.


Les marchés financiers sont donc certains d'une chose : la France ne ferra pas faillite. Ce qui est une excellente nouvelle : nous allons pouvoir continuer à financer notre dette pour pas cher. Soyons optimiste : peut être même que cela permettra de convaincre que la France n'est pas près de faire faillite. Si les marchés financiers sont prêts à lui prêter pour le taux d'intérêt le plus faible depuis des décennies, c'est qu'ils doivent savoir ce qu'ils font - non ?


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