lundi 8 février 2010

Le fantasme allemand et la désindustrialisation (I)

En écoutant samedi dernier, L'économie en question, j'ai atteint le stade du ras le bol. Pour une énième fois, le fantasme de la désindustrialisation-qui-provoque-le-déclin était convoqué ad nauseam. Nicolas Baverez était en pleine jubilation : il l'avait bien dit, et les récents échecs des industriels français à Abou Dabi ou ailleurs en était la preuve éclatante. Ce fantasme, que semble partager tout homme conservateur de plus de 50 ans, tient en deux propositions :

* Un pays fort est un pays industriel.

* Pour maintenir la compétitivité industrielle dans la mondialisation, il faut savoir contenir le coût du travail.

La France décroche parce qu'elle a échoué à maintenir ses coûts. L'Allemagne réussit parce qu'elle a fait l'inverse.

Ce fantasme de la désindustralisation se double en effet d'un fantasme de l'Allemagne. L'Allemagne, à en croire Baverez est « le seul pays européen favorablement positionné dans la mondialisation en raison du rétablissement de sa compétitivité et de la force de son industrie ». Ou encore, comme il le déclarait samedi, « il n'y a pas de fatalité à la désindustrialisation. Un contre exemple est l'Allemagne qui a réussi à reconstituer la compétitivité de la nation à partir de son industrie [...] grâce à l'agenda 2010 qui a été un élan formidable de réinvestissement mais aussi et surtout de contrôle des coûts unitaires du travail. »

Rien ne saurait pourtant être plus faux, ou du moins plus discutable, que ce double fantasme. En effet, à première vue, c'est l'inverse même qui semble être vrai : la capacité d'un pays à maintenir une proportion constante de son PIB dans le domaine industriel n'a pas de lien, ou un lien négatif, avec son dynamisme économique ; la stratégie allemande est un échec presque complet, échec coûteux pour les autres pays européens.

Débutons donc par la première proposition, qui veut qu'un pays développé doive, pour être dynamique, maintenir une forte base industrielle.

Premièrement, il faut rappeler que la production industrielle n'a pas baissé dans la plupart des pays développés. Il n'y a pas de désindustrialisation au sens où l'on produirait chaque année de moins en moins de biens manufacturés. La production de biens manufacturés continue à croître dans la plupart des pays développés, y compris la France. Mais, dans la mesure où elle croit moins vite que la production dans les autres branches du PIB, sa part dans la production économique d'ensemble diminue, parfois fortement. Ainsi, en France, entre 2000 et 2008, la valeur ajoutée produite dans l'industrie manufacturière a augmenté de 4.25% (et de 30% entre 1990 et 2008), tandis que sa place dans le PIB diminuait nettement, passant de 16% (et 18% en 1990) à 12%. La désindustrialisation est donc relative, et non absolue.



D'autre part, rien ne prouve que cette désindustrialisation relative exerce un effet négatif sur le dynamisme d'une économie. Entre 1990 et 2008, il n'y aucun lien entre le taux de croissance d'une économie et le taux de variation de la part qu'occupe l'industrie manufacturière dans son PIB.



Entre 2000 et 2008, on voit même apparaître un lien négatif, même si la corrélation est faible. Moins un pays s'est désindustrialisé d'un point de vue relatif, plus faible a été son taux de croissance sur la période. Autrement dit, si l'on veut choisir une stratégie de spécialisation, rien ne prouve que maintenir une proportion constante de son activité économique dans le domaine industriel, comme y est parvenu l'Allemagne, soit une bonne chose pour un pays développé. C'est même plutôt l'inverse qui semble vrai. Dans le cas de l'Allemagne, cette stratégie s'est avérée être un échec : elle a un des taux de croissance les plus faible de tous les pays développés -et ce avant même la crise de 2009, qui l'a plus affecté que la plupart des autres économies développées.



Manifestement, alors que les pays asiatiques gagnent en compétitivité dans le domaine, et que la proportion de la consommation consacrée aux biens industriel ne cesse de diminuer dans tous les pays développés, il y a sans doute mieux à faire que de vouloir, à toute force, se maintenir dans le secteur industriel. Et, en tout cas, aucune preuve de la pertinence d'un tel choix.


La suite de ce post est ici.

5 commentaires:

  1. Ouais bon dire que l'Allemagne est un échec, il faut oser. Comme le montre Krugman, mieux vaut être à leur place qu'à celle des espagnols pour affronter la crise.

    Sinon un bon exemple est celui de l'Australie, qui vient d'achever sa 19e année de croissance consécutive (!) alors qu'elle a zéro base industrielle (que des matières premières et services).

    RépondreSupprimer
  2. C'est un échec, pas un désastre... En tout cas, pas un succès. Sur la décennie, c'est le grand pays développé qui a eu la croissance la plus faible, après le Japon. Pas exactement un modèle. Mais la rhétorique de Baverez est de dire que cette stratégie sera payante dans le futur. Que l'on attend depuis 10 ans. Cette stratégie a engendré une série de déséquilibres macro qui laissent penser que ce futur risque de durer indéfiniment (la suite au prochain épisode...).
    Mais si on prend l'Espagne comme point de comparaison... tout est succès.

    RépondreSupprimer
  3. ...sauf si on est grec ^_^

    Je n'ai pas écouté Baverez et réagissait donc surtout au terme d'échec: je suis en même temps vaguement étonné de te lire en défenseur de la croissance comme principal indicateur de réussite ;-)

    Bon OK, je suis de mauvaise foi, je pense que tu as surtout Hartz IV derrière la tête. du coup je ------>[]

    RépondreSupprimer
  4. Désolé de t'étonner, mais la croissance économique demeure l'indicateur le plus pertinent d'évaluation de l'efficacité d'une économie. Ça n'est pas le seul, mais c'est le premier -notamment parce qu'il est corrélé (pas étroitement, certes) avec un certain nombre d'autres indicateurs pertinents, à commencer par l'IDH.

    RépondreSupprimer
  5. ...le PIB est l'un des matériaux de fabrication de l'IDH. Pour sûr qu'il y est corrélé!

    Il y a bien des arguments pour soutenir que le PIB est un indicateur pertinent de performance économique, mais ceci n'en est clairement pas un.

    RépondreSupprimer