Des systèmes antérieurs, [les gouvernements] avaient gardé plusieurs grands corps publics qu'ils étaient bien loin de diriger étroitement. Sans doute, les considérations de parti ne manquait pas d'intervenir, assez souvent, dans le choix des chefs d'équipe. De quelque côté que soufflât le vent du moment, les désignations qu'elles imposaient étaient rarement les plus heureuses. Mais le recrutement de base restait presque exclusivement corporatif.
Asile préféré des fils de notable, l'École des Sciences Politiques peuplait de ses élèves les ambassades, la Cour des Comptes, le Conseil d'État, l'Inspection des Finances. L'École Polytechnique, dont les bancs voient se nouer, pour la vie, les liens d'une si merveilleuse solidarité, ne fournissait pas seulement les états-majors de l'industrie ; elle ouvrait l'accès de ces carrières d'ingénieurs de l'État, où l'avancement obéit aux lois d'un automatisme quasi mécanique. Les Universités, par le moyen de tout un jeu de conseils et de comités, se cooptaient à peu près complètement elles-mêmes, non sans quelques dangers pour le renouvellement de la pensée, que le système présent a, provisoirement, dit-il, abolie. [...]
Le régime eut-il tort ou raison de respecter ces antiques corporations ? On peut en disserter à perte de vue. Les uns diront : stabilité, tradition d'honneur. Les autres, vers lesquels j'avoue incliner, répliqueront : routine, bureaucratie, morgue collective. [...]
Mieux eût valu certainement favoriser, par des bourses, l'accès de tous aux fonctions administratives et en confier la préparations aux universités, selon le large système de culture générale qui fait la force du Civil Service britannique.
Marc Bloch, L'étrange défaite, 1940 (pp. 191 et 192 de l'édition Folio).
(Les lecteurs résidant dans un pays où la législation sur le droit d'auteur n'est pas aussi absurdement protectrice qu'en France peuvent trouver une version électronique du livre sur Ebooks libres et gratuits. Sont citées les pp. 158 et 159 de la version PDF.)
Merci pour ce rappel. Ce livre de Marc Bloch est une lecture indispensable.
RépondreSupprimerJe ne saurai être plus d'accord. Pour moi, Marc Bloch est un des plus grands "social scientists" du XXe siècle. Et ce livre est confondant de justesse.
RépondreSupprimerQuelle horreur ! Recruter "selon le large système de culture générale..."
RépondreSupprimerCe Marc Bloch était donc un de ces abominables partisans de la ségrégation sociale par la culture.
Un preuve de plus des effets pervers de la lecture des grands textes.