Nous voilà dans l'avant dernier acte d'une tragi-comédie grecque : celle où l'action s'accélère vers une fin que l'on pressent tragique.
Jusqu'à présent, la seule question qui se posait lorsque l'on était un investisseur était de l'ordre des asymétries d'information : les Grecs étaient-ils sérieux à propos de leur programme de réduction des dépenses publiques ? La dissimulation de la réalité du déficit budgétaire (dont la révélation est à l'origine lointaine de la crise de défiance actuelle) se poursuivait-elle ? Et, surtout, de quelle nature allait-être l'aide de l'Europe ?
C'était une crise simplement gérable. Il suffisait que les Allemands affirment vouloir aider les Grecs, que le FMI fasse preuve de l'interventionnisme qu'on lui connait, dise la vérité sur le déficit budgétaire et garantisse l'engagement du gouvernement grec dans la réduction des dépenses, et ces asymétries pouvaient être réduites. Une récente étude montre même qu'il était du domaine du possible de parvenir à l'ajustement budgétaire nécessaire.
Mais faute d'agir, faute surtout que l'Allemagne dise enfin ce que tout le monde attendait d'elle, nous sommes rentrés dans une toute autre réalité : dans un monde post-keynésien de l'incertitude radicale, où il ne s'agit plus d'accroître la transparence de l'information, parce qu'il n'y a plus d'information préalable, objective, qui resterait à révéler. Nous sommes dans une situation spéculaire, où le regard que chaque investisseur porte sur le regard des autres investisseurs est créateur d'une dynamique chaotique, radicalement imprévisible, et qui menace de prendre la forme d'une crise auto-réalisatrice d'une ampleur considérable.
De ce point de vue, la situation se rapproche de la situation que l'on a vécu à la suite de la chute de Lehman Brother, où la liquidité s'est asséchée sur le marché interbancaire, menaçant de faillite un grand nombre de banques. En effet, à la façon d'une banque, qui est toujours courte et a toujours besoin de liquidités à court terme, tous les États ont, mensuellement, besoin d'émettre des dettes, même si leur endettement reste stable. Les États, en effet, font tous de la « cavalerie » (« roll over ») sur leur dette. En permanence, des obligations passées arrivent à échéance, et l'État doit pour les payer vendre de nouvelles obligations (sauf s'il est engagé dans une politique drastique de réduction de son endettement, ce qu'aucun État ne peut faire dans le cas d'une récession comme la nôtre). Il peut agir ainsi parce qu'il est éternel, et chaque investisseur sait par conséquent que cette cavalerie ne cessera pas, qu'il sera donc payé un jour, même si c'est avec une dette nouvelle, souscrite par un nouvel investisseur.
La situation des États est donc, en fait, financièrement fragile, et d'autant plus que leur dette a une maturité courte. Si les investisseurs cessent de croire à la permanence de ce jeu de cavalerie, un État fait immédiatement faillite.
Pour la Grèce, la situation est pire : l'État grec a besoin non seulement de nouvelles obligations pour payer les obligations passées arrivées à maturité, mais en plus de nouvelles obligations pour financer un déficit gigantesque, au regard des ressources dont il dispose, puisque supérieur à 10% de la production économique du pays. Autrement dit, son endettement s'accroit si rapidement que les investisseurs se demandent s'il sera solvable dans l'avenir.
Toutefois la question de la solvabilité grecque est une question qui se pose à l'échelle de plusieurs années (4/5 ans), le temps que la dérive de l'endettement le rende réellement insolvable. Les questions que se posaient les investisseurs jusqu'à présent avaient cet horizon temporel : ils se demandaient si cette dérive budgétaire serait contrôlée dans les années futures et si l'État grec serait donc solvable à terme.
Mais ce n'est plus le cas désormais : les investisseurs se demandent maintenant si l'État grec est encore liquide, c'est à dire s'il y a encore d'autres investisseurs pour entretenir le jeu de cavalerie de l'endettement de l'État grec. Car si plus aucun investisseurs n'acceptent de prêter de l'argent à l'État grec ne serait-ce que le mois prochain, celui-ci fait faillite, même s'il s'avère qu'en fait, en lui laissant le temps, il aurait pu effectivement être solvable sur le moyen terme.
Autrement dit, la seule question que se posent les investisseurs est de savoir ce que vont faire les autres investisseurs, dans un jeu d'anticipations spéculaires et croisées. Ce genre de jeu est auto-réalisateur : il suffit que les investisseurs prennent collectivement peur dans l'action des autres investisseurs pour que cette peur se réalise, et que l'État grec fasse faillite. Et un rien, comme le changement de la note d'une agence d'évaluation, plus que jamais performative, suffit à emporter la formation de ces anticipations croisées.
Les banques sont soumises à ce genre de problème : c'est ce que l'on appelle un run, situation qui intervient lorsque les déposants créent la faillite qu'ils redoutent en retirant tous ensemble leurs fonds à la banque. C'est pour cela que l'on a créé les banques centrales, qui garantissent aux déposants qu'ils seront payés quoiqu'il arrive. Cette garantie maintient à bon compte la croyance sur laquelle est bâti le système financier. Lorsque la Fed n'a pas assuré ce rôle à l'égard de Lehman Brother en octobre 2008, la croyance a cessé d'exister, et le système financier avec elle.
Ce que l'on demandait à l'Allemagne (la France ayant accepté de le faire) n'était rien d'autre que cela : de jouer ce rôle de Banque centrale, de perpétuer la croyance dans la capacité de l'État grec de rester liquide, tout en le contraignant à devenir solvable à moyen terme.
Elle ne l'a pas fait. Et l'on ne sait très bien jusqu'où la rupture de la croyance peut aller : il n'y a pas vraiment de limite aux anticipations auto-réalisatrices en situation d'incertitude radicale.
Et c'est là le paradoxe que risque de découvrir l'Allemagne : il ne coûte pas très cher de perpétuer la croyance dans la pérennité du système financier quand celle-ci fait l'objet de quelques doutes. Mais si l'on tarde, le coût peut devenir infini. Quelques milliards de prêts à la Grèce aux taux de marché dont bénéficie l'Allemagne auraient suffit, il y a un mois et demi. Il est désormais de plus en plus probable que ce soit la totalité de la dette grecque que les autres États de la zone euro devront financer dans les années à venir (une 100aines de milliards), plus aucun investisseur n'osant encore le faire, ou seulement à des taux usuraires. Et si la défiance grandit, et s'étend à d'autres États de la zone euro, le coût sera tout simplement infinançable par les États les plus financièrement solides. Pourtant nous devrons tous le payer, au prix d'une explosion des dettes obligataires publiques et de la zone euro. Même l'Allemagne.
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jeudi 29 avril 2010
mardi 6 octobre 2009
La France va-t-elle faire faillite ?
Hier, en regardant dans ma boite aux lettres, et en y trouvant, pour la première fois, un exemplaire promotionnel de Valeurs Actuelles, je me suis dit que j'avais dû commettre une erreur grave dans ma vie, pour être ainsi inscrit dans le listing des clients potentiels de ce magazine.
Mais ma méditation sur mon existence fut brutalement interrompue par la lecture du titre de la couverture ("Déficits publics : l'explosion") et de cette affirmation :
Mais, d'un autre côté, il est exact que la crise actuelle se traduit par une forte augmentation de la dette publique. Au cours des seuls deux premiers trimestres de 2009, la dette publique a augmenté de 6 points de PIB, atteignant 74%. Elle sera probablement de 77% à la fin de l'année, contre 67% un an plus tôt. Si l'on suit les dernières prévisions du FMI, la dette atteindra même 92,6% du PIB en 2014. Dans ces conditions, l'État français va-t-il faire faillite ?
La réponse est : il n'y a pas le moindre risque que cela se produise. Avec un peu de chance, cet accroissement de l'endettement se produira même sans douleur.
Un emprunteur fait faillite lorsqu'il n'est plus capable de faire face à ses engagements. Or, l'État a une propriété importante en tant qu'emprunteur, qui le différencie des emprunteurs privés : il peut se contenter de ne rembourser que les intérêts de sa dette et jamais le principal. Il est en effet éternel, et personne ne lui demande de rembourser à un moment donné la totalité de sa dette, de peur qu'il ne meure sans l'avoir payée. De fait, l'État français n'a pas remboursé le principal depuis plus de 30 ans. La vraie mesure de la capacité de l'État français à faire face à ses échéances est donc constituée par l'importance du paiements des intérêts en proportion de ses recettes : il y aura faillite le jour où l'État ne pourra plus financer ses dépenses, parce qu'une partie trop importante (mais difficile à déterminer précisément) de ses recettes passera dans le remboursement des intérêts échus.
On en était très loin à l'époque (2006-2008) du débat hystérique sur la dette publique. A cette période, la proportion du paiements des intérêts par rapport aux recettes des administrations publiques était même la plus faible depuis 20 ans : un peu plus de 5% en 2006. Ce qui représentait 2,6% du PIB.
L'État français était très loin de la faillite, puisqu'il n'utilisait que 5,3% de ses recettes à honorer ses créanciers, soit 2,6% du PIB du pays. Il est vrai que ces 2,6% de PIB n'étaient pas consacrés à construire des écoles ou des hôpitaux, mais l'on voit immédiatement le poids certes non négligeable mais au final limité que ces paiements faisaient peser sur l'action publique.
Mais qu'en sera-t-il en 2014, lorsque l'endettement représentera 92,6 % du PIB ? La réponse est que l'on ne peut savoir exactement, puisque cela sera fonction de l'évolution du taux d'intérêt auquel l'État se refinance, dont dépend le taux d'intérêt moyen qu'il paye sur sa dette. Le taux d'intérêt moyen sur la dette publique était en 2008 de 4,15 %. Depuis les taux d'intérêt sur les titres publics ont nettement baissé : ils sont même très inférieurs à 4% si l'Etat emprunte pour moins de 20 ans.
Il est donc raisonnable de faire l'hypothèse que l'État payera, en moyenne, environs 4% d'intérêt sur sa dette. Avec cette hypothèse, un calcul immédiat permet de constater qu'une augmentation de 25 points de PIB de la dette publique va se traduire par un accroissement de 1 point de PIB des paiements des intérêts de la dette (25 x 0.04).
Au final, l'État français ne rentrera pas dans les territoires inconnus qui précèdent la faillite : le paiements des intérêts ne sera, proportionnellement au PIB, que très légèrement supérieur à son sommet historique de l'après guerre : 3,7 % en 2014 contre 3,6% en 1996. A l'époque, cela représentait 7,1 % des recettes publiques : pas exactement la situation d'un emprunteur qui s'apprêtent à faire faillite, ni même un poids insupportable pour l'action publique.
La faillite paraît d'autant moins probable que, depuis 1996, les recettes publiques, proportionnellement au PIB, ont baissé.
Entre 2006 et 2008 seulement, les recettes publiques ont baissé de 1 point de PIB : très exactement ce qu'il faudra trouver en plus pour payer les intérêts en 2014.
Mais il faudrait que le gouvernement augmente les prélèvements obligatoires. Gordon Brown l'a fait au Royaume-Uni, en faisant passer la tranche supérieure de l'impôt sur le revenu de 40% à 50%. Obama s'apprête à le faire aux États-Unis. Pour la France, cette augmentation serait somme toute modérée : il suffirait de retrouver le niveau d'avant l'élection de N. Sarkozy. C'est dans ce sens que l'accroissement de l'endettement public peut se faire, avec un peu de chance, sans douleur : pour autant que N. Sarkozy revienne sur son bouclier fiscal, et pour autant que les taux d'intérêt n'augmentent pas.
Première fragilité du scénario : l'évolution des taux. Si ceux-ci augmentent, le paiements des intérêts peut devenir véritablement important. Si l'on fait l'hypothèse légèrement moins optimiste d'un taux moyen de 4,5% au lieu de 4%, le paiements des intérêts représentent une part nettement plus significative des recettes -même si on est toujours loin de la faillite.
Mais le vrai risque est ailleurs : si N. Sarkozy accroit les prélèvements obligatoires, il en sera fini de la loi TEPA, et de l'objectif fondamental de la majeure partie de la droite française : la baisse des impôts. Plus : cela constituerait une grave défaite politique pour Sarkozy qui a identifié son action à cette baisse. C'est pourtant très exactement ce que demande la logique économique, qui a toujours conduit à des hausses d'impôts après un accroissement de l'endettement dû à des circonstances exceptionnelles.
Il est donc à craindre qu'une toute autre voie ne soit choisie : la réduction des dépenses publiques, hors paiements des intérêts. En appelant à une "politique drastique d’austérité budgétaire", c'est très exactement ce que demande Valeurs actuelles, dont les lecteurs ne sont pas prêts d'accepter de se passer du bouclier fiscal, au moment même où on leur enlève les paradis fiscaux. En attendant, il ne me reste plus qu'à espérer que le magazine mène une "politique drastique d'austérité de son budget publicitaire" et me raye de ses listings.
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Mais ma méditation sur mon existence fut brutalement interrompue par la lecture du titre de la couverture ("Déficits publics : l'explosion") et de cette affirmation :
L’alerte est claire : sans une politique drastique d’austérité budgétaire, il y a désormais un vrai risque de faillite de l’État.Je me suis immédiatement rasséréné : depuis qu'on nous l'annonce, l'apocalypse ne s'est pas produite et je ne doute pas des motivations politiques inhérentes à ce genre de propos.
Mais, d'un autre côté, il est exact que la crise actuelle se traduit par une forte augmentation de la dette publique. Au cours des seuls deux premiers trimestres de 2009, la dette publique a augmenté de 6 points de PIB, atteignant 74%. Elle sera probablement de 77% à la fin de l'année, contre 67% un an plus tôt. Si l'on suit les dernières prévisions du FMI, la dette atteindra même 92,6% du PIB en 2014. Dans ces conditions, l'État français va-t-il faire faillite ?
La réponse est : il n'y a pas le moindre risque que cela se produise. Avec un peu de chance, cet accroissement de l'endettement se produira même sans douleur.
Un emprunteur fait faillite lorsqu'il n'est plus capable de faire face à ses engagements. Or, l'État a une propriété importante en tant qu'emprunteur, qui le différencie des emprunteurs privés : il peut se contenter de ne rembourser que les intérêts de sa dette et jamais le principal. Il est en effet éternel, et personne ne lui demande de rembourser à un moment donné la totalité de sa dette, de peur qu'il ne meure sans l'avoir payée. De fait, l'État français n'a pas remboursé le principal depuis plus de 30 ans. La vraie mesure de la capacité de l'État français à faire face à ses échéances est donc constituée par l'importance du paiements des intérêts en proportion de ses recettes : il y aura faillite le jour où l'État ne pourra plus financer ses dépenses, parce qu'une partie trop importante (mais difficile à déterminer précisément) de ses recettes passera dans le remboursement des intérêts échus.
On en était très loin à l'époque (2006-2008) du débat hystérique sur la dette publique. A cette période, la proportion du paiements des intérêts par rapport aux recettes des administrations publiques était même la plus faible depuis 20 ans : un peu plus de 5% en 2006. Ce qui représentait 2,6% du PIB.

Mais qu'en sera-t-il en 2014, lorsque l'endettement représentera 92,6 % du PIB ? La réponse est que l'on ne peut savoir exactement, puisque cela sera fonction de l'évolution du taux d'intérêt auquel l'État se refinance, dont dépend le taux d'intérêt moyen qu'il paye sur sa dette. Le taux d'intérêt moyen sur la dette publique était en 2008 de 4,15 %. Depuis les taux d'intérêt sur les titres publics ont nettement baissé : ils sont même très inférieurs à 4% si l'Etat emprunte pour moins de 20 ans.
Il est donc raisonnable de faire l'hypothèse que l'État payera, en moyenne, environs 4% d'intérêt sur sa dette. Avec cette hypothèse, un calcul immédiat permet de constater qu'une augmentation de 25 points de PIB de la dette publique va se traduire par un accroissement de 1 point de PIB des paiements des intérêts de la dette (25 x 0.04).

La faillite paraît d'autant moins probable que, depuis 1996, les recettes publiques, proportionnellement au PIB, ont baissé.

Mais il faudrait que le gouvernement augmente les prélèvements obligatoires. Gordon Brown l'a fait au Royaume-Uni, en faisant passer la tranche supérieure de l'impôt sur le revenu de 40% à 50%. Obama s'apprête à le faire aux États-Unis. Pour la France, cette augmentation serait somme toute modérée : il suffirait de retrouver le niveau d'avant l'élection de N. Sarkozy. C'est dans ce sens que l'accroissement de l'endettement public peut se faire, avec un peu de chance, sans douleur : pour autant que N. Sarkozy revienne sur son bouclier fiscal, et pour autant que les taux d'intérêt n'augmentent pas.
Première fragilité du scénario : l'évolution des taux. Si ceux-ci augmentent, le paiements des intérêts peut devenir véritablement important. Si l'on fait l'hypothèse légèrement moins optimiste d'un taux moyen de 4,5% au lieu de 4%, le paiements des intérêts représentent une part nettement plus significative des recettes -même si on est toujours loin de la faillite.
Mais le vrai risque est ailleurs : si N. Sarkozy accroit les prélèvements obligatoires, il en sera fini de la loi TEPA, et de l'objectif fondamental de la majeure partie de la droite française : la baisse des impôts. Plus : cela constituerait une grave défaite politique pour Sarkozy qui a identifié son action à cette baisse. C'est pourtant très exactement ce que demande la logique économique, qui a toujours conduit à des hausses d'impôts après un accroissement de l'endettement dû à des circonstances exceptionnelles.
Il est donc à craindre qu'une toute autre voie ne soit choisie : la réduction des dépenses publiques, hors paiements des intérêts. En appelant à une "politique drastique d’austérité budgétaire", c'est très exactement ce que demande Valeurs actuelles, dont les lecteurs ne sont pas prêts d'accepter de se passer du bouclier fiscal, au moment même où on leur enlève les paradis fiscaux. En attendant, il ne me reste plus qu'à espérer que le magazine mène une "politique drastique d'austérité de son budget publicitaire" et me raye de ses listings.
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mercredi 1 juillet 2009
Le Très Grand Emprunt National
Dès que l'on me pose une question sur le Très Grand Emprunt promis par notre président, je me trouve stupide et comme pris en défaut. Je ne parviens pas, en effet, à y trouver la moindre rationalité économique. Pourtant je ne doute pas des immenses compétences en ce domaine de notre Président et de ses conseillers. Mais j'ai beau prendre le problème par tous ses bouts, je n'aboutis qu'à des conclusions qui relèvent de la science politique de café du commerce.
Le président explique, en substance, que la situation est grave : le déficit budgétaire est considérable, 7 % du PIB cette année, pas beaucoup moins en 2010. Bon. La situation est si grave qu'il va falloir solliciter l'épargne des français, dans un vaste appel à l'unité nationale.
Et c'est là que je ne comprend plus rien. Je regarde ma courbe des taux sur les titres publics de l'État français, et je vois ça :

Les taux se sont effondrés depuis le sommet de la crise financière, surtout pour les maturités les plus courtes. Ce qui veut dire une chose simple : l'offre de fonds prêtables à l'État français a plus augmenté que la demande, bien que celle-ci se soit fortement accrue because les déficits abyssaux et tout ça. Sur le marché des titres publics, les choses sont en effet simples : il y a d'un côté l'État qui emprunte, et de l'autre les investisseurs qui prêtent. L'équilibre entre la demande d'emprunt et l'offre est constitué par le taux d'intérêt. Si celui-ci baisse, cela veut dire une chose simple : il n'y a aucun problème pour trouver des prêteurs. Au contraire, ceux-ci sont si nombreux que leur concurrence fait baisser les cours.
Alors pourquoi faire appel directement à l'épargne des français, puisque l'on en a pas besoin ? Voilà ce que je ne comprend pas.
Peut-être qu'il faut voir là un moyen pour payer encore moins cher les intérêts sur l'emprunt. Mais là, non plus, je ne comprend toujours pas. Depuis 30 ans, l'Etat français s'est efforcé de créer un marché profond des obligations publiques, de manière à pouvoir emprunter facilement avec de très faibles coûts de transaction, en mobilisant l'épargne du monde entier. Et voilà que l'on retourne à l'époque de Poincaré, en passant par des opérations aux coûts de transaction invraisemblables, par comparaison avec ceux des marchés obligataires publics modernes. Mais il y a pire : comme le dit ce banquier anonyme, qui ne doit rien avoir compris non plus : "Quand vous faites un emprunt auprès des particuliers, vous devez les inciter à souscrire avec un taux attractif qui permettra certes de rivaliser avec d'autres produits d'épargne, mais qui grèvera d'autant les finances de l'État". La rumeur évoque un emprunt à maturité de 5 ans, du type de celui que vient de lancer EDF. EDF emprunte à 4.5%. L'État, qui incite plus à la confiance, doit pouvoir attirer le petit prêteur à 4%, disons 3.7%. Aux dernières nouvelles, les BTAN à 5 ans étaient à 2.7 %, soit au moins 1 point de % de moins. Exercice : si l'emprunt est de 100 milliards, combien le contribuable va payer d'intérêt en plus, au bout de 5 ans, en ayant recours au Très Grand Emprunt National ?
Mais mes incompréhensions ne s'arrêtent pas là : on nous explique que cet emprunt aura pour but de financer des mesures précises, longuement réfléchies. Ah bon ? Je croyais pourtant qu'une règle fondamentale des finances publiques est la non affection des recettes aux dépenses. Il doit y avoir quelque chose que je n'ai pas saisi : notre président a toujours été soucieux de respecter les principes fondamentaux de notre droit.
Et c'est ainsi que je me retrouve contraint de faire de la science politique de bas étage. Je ne peux, en effet, m'empêcher de penser la chose suivante : si l'on lance ce Très Grand Emprunt National, c'est pour faire une campagne de communication politique et pas pour recueillir des fonds, dont on n'a pas besoin et qui coûteront cher. La seule finalité est de remettre au cœur de l'agenda politique l'équation de base qui sert en France à légitimer les réformes de l'État : l'État n'a plus d'argent, il faut donc qu'il diminue ses dépenses, et donc qu'il se réforme. Cette équation a été ruinée par la crise qui a vu l'État en faillite et aux caisses vides être capable de dépenser des milliards pour sauver le système financier. Il s'agit donc de la faire revivre, coûte que coûte, puisque sans elle, le roi est nu. Pour avoir un débat mature, informé, sur les véritables questions que pose la dette publique, il faudra donc encore attendre. Et subir ce déferlement de n'importe quoi économique devant lequel personne ne proteste tant semble être grande l'ignorance des mécanismes économiques de base, même dans l'opposition.
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Le président explique, en substance, que la situation est grave : le déficit budgétaire est considérable, 7 % du PIB cette année, pas beaucoup moins en 2010. Bon. La situation est si grave qu'il va falloir solliciter l'épargne des français, dans un vaste appel à l'unité nationale.
Et c'est là que je ne comprend plus rien. Je regarde ma courbe des taux sur les titres publics de l'État français, et je vois ça :

Les taux se sont effondrés depuis le sommet de la crise financière, surtout pour les maturités les plus courtes. Ce qui veut dire une chose simple : l'offre de fonds prêtables à l'État français a plus augmenté que la demande, bien que celle-ci se soit fortement accrue because les déficits abyssaux et tout ça. Sur le marché des titres publics, les choses sont en effet simples : il y a d'un côté l'État qui emprunte, et de l'autre les investisseurs qui prêtent. L'équilibre entre la demande d'emprunt et l'offre est constitué par le taux d'intérêt. Si celui-ci baisse, cela veut dire une chose simple : il n'y a aucun problème pour trouver des prêteurs. Au contraire, ceux-ci sont si nombreux que leur concurrence fait baisser les cours.
Alors pourquoi faire appel directement à l'épargne des français, puisque l'on en a pas besoin ? Voilà ce que je ne comprend pas.
Peut-être qu'il faut voir là un moyen pour payer encore moins cher les intérêts sur l'emprunt. Mais là, non plus, je ne comprend toujours pas. Depuis 30 ans, l'Etat français s'est efforcé de créer un marché profond des obligations publiques, de manière à pouvoir emprunter facilement avec de très faibles coûts de transaction, en mobilisant l'épargne du monde entier. Et voilà que l'on retourne à l'époque de Poincaré, en passant par des opérations aux coûts de transaction invraisemblables, par comparaison avec ceux des marchés obligataires publics modernes. Mais il y a pire : comme le dit ce banquier anonyme, qui ne doit rien avoir compris non plus : "Quand vous faites un emprunt auprès des particuliers, vous devez les inciter à souscrire avec un taux attractif qui permettra certes de rivaliser avec d'autres produits d'épargne, mais qui grèvera d'autant les finances de l'État". La rumeur évoque un emprunt à maturité de 5 ans, du type de celui que vient de lancer EDF. EDF emprunte à 4.5%. L'État, qui incite plus à la confiance, doit pouvoir attirer le petit prêteur à 4%, disons 3.7%. Aux dernières nouvelles, les BTAN à 5 ans étaient à 2.7 %, soit au moins 1 point de % de moins. Exercice : si l'emprunt est de 100 milliards, combien le contribuable va payer d'intérêt en plus, au bout de 5 ans, en ayant recours au Très Grand Emprunt National ?
Mais mes incompréhensions ne s'arrêtent pas là : on nous explique que cet emprunt aura pour but de financer des mesures précises, longuement réfléchies. Ah bon ? Je croyais pourtant qu'une règle fondamentale des finances publiques est la non affection des recettes aux dépenses. Il doit y avoir quelque chose que je n'ai pas saisi : notre président a toujours été soucieux de respecter les principes fondamentaux de notre droit.
Et c'est ainsi que je me retrouve contraint de faire de la science politique de bas étage. Je ne peux, en effet, m'empêcher de penser la chose suivante : si l'on lance ce Très Grand Emprunt National, c'est pour faire une campagne de communication politique et pas pour recueillir des fonds, dont on n'a pas besoin et qui coûteront cher. La seule finalité est de remettre au cœur de l'agenda politique l'équation de base qui sert en France à légitimer les réformes de l'État : l'État n'a plus d'argent, il faut donc qu'il diminue ses dépenses, et donc qu'il se réforme. Cette équation a été ruinée par la crise qui a vu l'État en faillite et aux caisses vides être capable de dépenser des milliards pour sauver le système financier. Il s'agit donc de la faire revivre, coûte que coûte, puisque sans elle, le roi est nu. Pour avoir un débat mature, informé, sur les véritables questions que pose la dette publique, il faudra donc encore attendre. Et subir ce déferlement de n'importe quoi économique devant lequel personne ne proteste tant semble être grande l'ignorance des mécanismes économiques de base, même dans l'opposition.
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mardi 5 mai 2009
La dette de la France
Lorsque j'entends quelqu'un dire la "dette de la France", j'ai envie de sortir mon révolver. Aucune expression n'est aussi fautive du point de vue du savoir économique ; aucune n'a une telle charge idéologique. Au grand bêtisier de la dette publique, la "dette de la France" se situe à des hauteurs stratosphériques. Non seulement parce que l'expression est politiquement manipulatoire, mais parce qu'en plus elle a masqué les dynamiques qui nous ont conduit là où nous sommes : dans la pire récession depuis 1945. Nous avions un redoutable problème de dette : mais ce n'était pas celui de l'État. Cet endettement n'intéressait personne : il ne fournissait pas le prétexte à un démantèlement de l'État providence, parce que "les caisses sont vides". Et il rapportait beaucoup.
L'expression est une ineptie parce qu'elle laisse penser que, en France, il n'y a que l'État qui s'endette. Ce qui est parfaitement inexact. Dans un pays donné, il y a trois grands types d'acteurs : l'État (les administrations publiques, en fait), les ménages et les entreprises.
Ces trois acteurs empruntent. Ces trois acteurs ont des dettes. Et si l'on veut parler de la dette de l'État, il faut le dire et parler de dette publique. La dette de la "France", si l'expression a un sens, c'est tout autre chose. Économiquement, l'agrégat qui s'en rapproche le plus est ce que l'on appelle l'endettement intérieur total. Si vous pensiez que la "France" était gravement endettée, vous allez avoir un infractus : en 2006, la dette publique valait 63 % du PIB ; les dettes cumulées de l'Etat, des ménages et des entreprises en valaient 181 %. Disons le différemment : la dette publique ne représentait pas même la moitié de celle du secteur privé (ménages et entreprises réunies). Et ce n'était pas même la première : celle des entreprises valait 73%.

Parler de la "dette de la France" est manipulatoire, parce que cela conduit à masquer la signification économique réelle de l'endettement public en France.
Comme on le voit sur ce graphique, la France est l'un des pays développés qui a un endettement intérieur le plus faible. Il est en particulier nettement plus faible (plus de 25%) que celui du Royaume-Uni, qui faisait figure, il y a peu encore, de parangon de vertu, en raison de son faible endettement public. Nous reviendrons sur ce point, qui s'est avéré décisif.
La répartition de l'endettement oppose deux grands types de pays. Il y a ceux, comme le Royaume-Uni, qui ont un faible endettement public, mais un fort endettement privé (en particulier des ménages). Et il y a ceux, comme la France, qui ont un fort endettement public, mais un endettement privé (en particulier des ménages) beaucoup plus faible. Ce n'est pas un hasard, mais cela renvoie au rôle économique que joue l'État dans ces deux types de pays. L'État, en France, procède à une large socialisation des dépenses. Il offre aux ménages de nombreux services : l'éducation, la santé, la retraite ou encore le logement (HLM). Puisque ses dépenses sont élevées, il est logique que son budget soit important, de même que son endettement. Quand l'État construit un hôpital public par exemple, il le fait en s'endettant.
Au contraire, dans des pays plus libéraux, comme le Royaume-Uni, l'État socialise beaucoup moins les dépenses. C'est aux ménages de payer eux-même leurs dépenses de santé (États-Unis), leur éducation etc. Les prélèvements obligatoires sont donc plus faibles, de même, en principe du moins, que l'endettement public. Par contre, les ménages sont plus endettés.
Voilà la première raison pour laquelle l'expression la "dette de la France" est manipulatrice : elle fait croire que la dette publique est sans contrepartie en termes de services rendus, et qu'elle est d'une nature très différente de celle des ménages. Personne ne dit d'un ménage qui a contracté une dette égale à 60% de son revenu pour acheter un logement qu'il est en faillite. Et tout le monde oublie que si ce ménage s'endette pour payer son éducation, c'est en partie parce que l'État ne l'a pas fait à sa place.
La seconde raison est non moins décisive : ce discours, dont la finalité est de légitimer les politiques de démantèlement de l'État providence, a masqué qu'il y avait, en effet, un grave problème d'endettement. Mais pas de l'État : des ménages et, de façon moindre, des entreprises. Mais pas en France : surtout au Royaume-Uni et aux États-Unis. La crise actuelle est, en effet, le produit d'une bulle de l'immobilier qui a été nourrie par le crédit et l'endettement des ménages. On constate ce phénomène, même en France.
La croissance de l'endettement du secteur privé a été beaucoup plus soutenue que celle de l'État. Aux États-Unis et au Royaume-Uni, la dynamique a été infiniment plus forte. Aux États-Unis en seulement 6 ans, entre 2000 et 2006, l'endettement des ménages est passé de 67% à 97% du PIB, soit une augmentation de 44%. L'endettement des ménages était tel qu'un certain nombre d'entre eux ont fait faillite, entrainant avec eux l'économie mondiale. Telle est bien la substance de la crise actuelle : les ménages ont emprunté bien plus qu'ils ne pouvaient rembourser. De leur incapacité à rembourser leur dette est née la crise actuelle.
Suivre l'émission de France 5 La France en faillite avait ainsi quelque chose de stupéfiant. Y voir Michel Pébereau, patron de la BNP, annoncer l'apocalypse en raison de la croissance de l'endettement public, au moment même où l'endettement privé était en train de provoquer la plus grave récession mondiale depuis 70 ans, était surréaliste. Quand on se souvient que ce sont les banques, dont la BNP, qui ont nourri cet endettement, parce qu'elles en tiraient de larges profits, c'était même insupportable.
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L'expression est une ineptie parce qu'elle laisse penser que, en France, il n'y a que l'État qui s'endette. Ce qui est parfaitement inexact. Dans un pays donné, il y a trois grands types d'acteurs : l'État (les administrations publiques, en fait), les ménages et les entreprises.
Ces trois acteurs empruntent. Ces trois acteurs ont des dettes. Et si l'on veut parler de la dette de l'État, il faut le dire et parler de dette publique. La dette de la "France", si l'expression a un sens, c'est tout autre chose. Économiquement, l'agrégat qui s'en rapproche le plus est ce que l'on appelle l'endettement intérieur total. Si vous pensiez que la "France" était gravement endettée, vous allez avoir un infractus : en 2006, la dette publique valait 63 % du PIB ; les dettes cumulées de l'Etat, des ménages et des entreprises en valaient 181 %. Disons le différemment : la dette publique ne représentait pas même la moitié de celle du secteur privé (ménages et entreprises réunies). Et ce n'était pas même la première : celle des entreprises valait 73%.

Parler de la "dette de la France" est manipulatoire, parce que cela conduit à masquer la signification économique réelle de l'endettement public en France.
Comme on le voit sur ce graphique, la France est l'un des pays développés qui a un endettement intérieur le plus faible. Il est en particulier nettement plus faible (plus de 25%) que celui du Royaume-Uni, qui faisait figure, il y a peu encore, de parangon de vertu, en raison de son faible endettement public. Nous reviendrons sur ce point, qui s'est avéré décisif.
La répartition de l'endettement oppose deux grands types de pays. Il y a ceux, comme le Royaume-Uni, qui ont un faible endettement public, mais un fort endettement privé (en particulier des ménages). Et il y a ceux, comme la France, qui ont un fort endettement public, mais un endettement privé (en particulier des ménages) beaucoup plus faible. Ce n'est pas un hasard, mais cela renvoie au rôle économique que joue l'État dans ces deux types de pays. L'État, en France, procède à une large socialisation des dépenses. Il offre aux ménages de nombreux services : l'éducation, la santé, la retraite ou encore le logement (HLM). Puisque ses dépenses sont élevées, il est logique que son budget soit important, de même que son endettement. Quand l'État construit un hôpital public par exemple, il le fait en s'endettant.
Au contraire, dans des pays plus libéraux, comme le Royaume-Uni, l'État socialise beaucoup moins les dépenses. C'est aux ménages de payer eux-même leurs dépenses de santé (États-Unis), leur éducation etc. Les prélèvements obligatoires sont donc plus faibles, de même, en principe du moins, que l'endettement public. Par contre, les ménages sont plus endettés.
Voilà la première raison pour laquelle l'expression la "dette de la France" est manipulatrice : elle fait croire que la dette publique est sans contrepartie en termes de services rendus, et qu'elle est d'une nature très différente de celle des ménages. Personne ne dit d'un ménage qui a contracté une dette égale à 60% de son revenu pour acheter un logement qu'il est en faillite. Et tout le monde oublie que si ce ménage s'endette pour payer son éducation, c'est en partie parce que l'État ne l'a pas fait à sa place.
La seconde raison est non moins décisive : ce discours, dont la finalité est de légitimer les politiques de démantèlement de l'État providence, a masqué qu'il y avait, en effet, un grave problème d'endettement. Mais pas de l'État : des ménages et, de façon moindre, des entreprises. Mais pas en France : surtout au Royaume-Uni et aux États-Unis. La crise actuelle est, en effet, le produit d'une bulle de l'immobilier qui a été nourrie par le crédit et l'endettement des ménages. On constate ce phénomène, même en France.

Suivre l'émission de France 5 La France en faillite avait ainsi quelque chose de stupéfiant. Y voir Michel Pébereau, patron de la BNP, annoncer l'apocalypse en raison de la croissance de l'endettement public, au moment même où l'endettement privé était en train de provoquer la plus grave récession mondiale depuis 70 ans, était surréaliste. Quand on se souvient que ce sont les banques, dont la BNP, qui ont nourri cet endettement, parce qu'elles en tiraient de larges profits, c'était même insupportable.
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