Lorsque j'entends quelqu'un dire la "dette de la France", j'ai envie de sortir mon révolver. Aucune expression n'est aussi fautive du point de vue du savoir économique ; aucune n'a une telle charge idéologique. Au grand bêtisier de la dette publique, la "dette de la France" se situe à des hauteurs stratosphériques. Non seulement parce que l'expression est politiquement manipulatoire, mais parce qu'en plus elle a masqué les dynamiques qui nous ont conduit là où nous sommes : dans la pire récession depuis 1945. Nous avions un redoutable problème de dette : mais ce n'était pas celui de l'État. Cet endettement n'intéressait personne : il ne fournissait pas le prétexte à un démantèlement de l'État providence, parce que "les caisses sont vides". Et il rapportait beaucoup.
L'expression est une ineptie parce qu'elle laisse penser que, en France, il n'y a que l'État qui s'endette. Ce qui est parfaitement inexact. Dans un pays donné, il y a trois grands types d'acteurs : l'État (les administrations publiques, en fait), les ménages et les entreprises.
Ces trois acteurs empruntent. Ces trois acteurs ont des dettes. Et si l'on veut parler de la dette de l'État, il faut le dire et parler de dette publique. La dette de la "France", si l'expression a un sens, c'est tout autre chose. Économiquement, l'agrégat qui s'en rapproche le plus est ce que l'on appelle l'endettement intérieur total. Si vous pensiez que la "France" était gravement endettée, vous allez avoir un infractus : en 2006, la dette publique valait 63 % du PIB ; les dettes cumulées de l'Etat, des ménages et des entreprises en valaient 181 %. Disons le différemment : la dette publique ne représentait pas même la moitié de celle du secteur privé (ménages et entreprises réunies). Et ce n'était pas même la première : celle des entreprises valait 73%.
Parler de la "dette de la France" est manipulatoire, parce que cela conduit à masquer la signification économique réelle de l'endettement public en France.
Comme on le voit sur ce graphique, la France est l'un des pays développés qui a un endettement intérieur le plus faible. Il est en particulier nettement plus faible (plus de 25%) que celui du Royaume-Uni, qui faisait figure, il y a peu encore, de parangon de vertu, en raison de son faible endettement public. Nous reviendrons sur ce point, qui s'est avéré décisif.
La répartition de l'endettement oppose deux grands types de pays. Il y a ceux, comme le Royaume-Uni, qui ont un faible endettement public, mais un fort endettement privé (en particulier des ménages). Et il y a ceux, comme la France, qui ont un fort endettement public, mais un endettement privé (en particulier des ménages) beaucoup plus faible. Ce n'est pas un hasard, mais cela renvoie au rôle économique que joue l'État dans ces deux types de pays. L'État, en France, procède à une large socialisation des dépenses. Il offre aux ménages de nombreux services : l'éducation, la santé, la retraite ou encore le logement (HLM). Puisque ses dépenses sont élevées, il est logique que son budget soit important, de même que son endettement. Quand l'État construit un hôpital public par exemple, il le fait en s'endettant.
Au contraire, dans des pays plus libéraux, comme le Royaume-Uni, l'État socialise beaucoup moins les dépenses. C'est aux ménages de payer eux-même leurs dépenses de santé (États-Unis), leur éducation etc. Les prélèvements obligatoires sont donc plus faibles, de même, en principe du moins, que l'endettement public. Par contre, les ménages sont plus endettés.
Voilà la première raison pour laquelle l'expression la "dette de la France" est manipulatrice : elle fait croire que la dette publique est sans contrepartie en termes de services rendus, et qu'elle est d'une nature très différente de celle des ménages. Personne ne dit d'un ménage qui a contracté une dette égale à 60% de son revenu pour acheter un logement qu'il est en faillite. Et tout le monde oublie que si ce ménage s'endette pour payer son éducation, c'est en partie parce que l'État ne l'a pas fait à sa place.
La seconde raison est non moins décisive : ce discours, dont la finalité est de légitimer les politiques de démantèlement de l'État providence, a masqué qu'il y avait, en effet, un grave problème d'endettement. Mais pas de l'État : des ménages et, de façon moindre, des entreprises. Mais pas en France : surtout au Royaume-Uni et aux États-Unis. La crise actuelle est, en effet, le produit d'une bulle de l'immobilier qui a été nourrie par le crédit et l'endettement des ménages. On constate ce phénomène, même en France.
La croissance de l'endettement du secteur privé a été beaucoup plus soutenue que celle de l'État. Aux États-Unis et au Royaume-Uni, la dynamique a été infiniment plus forte. Aux États-Unis en seulement 6 ans, entre 2000 et 2006, l'endettement des ménages est passé de 67% à 97% du PIB, soit une augmentation de 44%. L'endettement des ménages était tel qu'un certain nombre d'entre eux ont fait faillite, entrainant avec eux l'économie mondiale. Telle est bien la substance de la crise actuelle : les ménages ont emprunté bien plus qu'ils ne pouvaient rembourser. De leur incapacité à rembourser leur dette est née la crise actuelle.
Suivre l'émission de France 5 La France en faillite avait ainsi quelque chose de stupéfiant. Y voir Michel Pébereau, patron de la BNP, annoncer l'apocalypse en raison de la croissance de l'endettement public, au moment même où l'endettement privé était en train de provoquer la plus grave récession mondiale depuis 70 ans, était surréaliste. Quand on se souvient que ce sont les banques, dont la BNP, qui ont nourri cet endettement, parce qu'elles en tiraient de larges profits, c'était même insupportable.
mardi 5 mai 2009
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Et le pire c'est qu'in a même spéculé sur la dette de ses ménages...
RépondreSupprimerLes grands commis bancaires seraient au service d'une politique de démantèlement de l'Etat providence ? Je n'ose y croire ! Ces gens-là ne sont pas des idéologues voyons... et certainement pas des manipulateurs d'opinion.
RépondreSupprimer:-)
Cet article fait bien ressortir l'actif public important que possède la France en contrepartie de la dette publique. Cependant, le coût de la gestion de cet actif public par le public est chroniquement déficitaire. Le rendre non déficitaire est l'action valorisante qui est en train d'être menée et que vous appelez démantélement ... question de point de vue.
RépondreSupprimerJ'adore ceux qui savent garder un vrai sens critique. Ceux qui s'opposent avec véhémence contre le mensonge, la désinformation, l'affabulation et la propagande toxique des gouvernants.
RépondreSupprimerJ'aime donc cet article, autant que j'aime toute vérité.
Dans un pays donné, il y a trois grands types d'acteurs : l'État (les administrations publiques, en fait), les ménages et les entreprises.
RépondreSupprimertrès bon article, mais, je trouve qu'il y a plutôt 4 acteurs, état, ménages, entreprises, et banques.
On peux les considérer comme des entreprises, mais je suis plus d'avis qu'elles représente aujourd’hui un acteur a part.