samedi 30 octobre 2010

De retour des abysses ?

Commentaires libres...

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Données du graphique disponibles ici au format Calc d'Open Office.

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mardi 19 octobre 2010

Beveridge, maintenant ?

Les travaux de Peter Diamond, Dale T. Mortensen et Chris Pissarides, primés cette année par la Banque Centrale de Suède dans son prix en mémoire d'Alfred Nobel, peuvent être conçus comme un approfondissement de la fameuse "courbe de Beveridge", du nom du célèbre lord, inspirateur du Welfare State britannique.

Beveridge met en rapport, dans une courbe, le taux de chômage et le taux d'emplois vacants.

Comme on le voit sur la courbe 1, il présume, assez logiquement, que plus le nombre d'emplois vacants sera important, plus le taux de chômage sera faible. Plus les employeurs ont besoin d'employés, plus ils sont prêts à en embaucher, même si ils ne les satisfont pas pleinement, ce qui a pour effet de faire baisser le chômage. Ainsi, au cours du cycle économique, le taux de chômage fluctue le long de la courbe 1. Plus la conjoncture est favorable, plus le nombre d'emplois vacants s'accroît, et plus le chômage baisse.

Beveridge qualifie de "plein emploi" la situation où nombre de chômeurs est égal au nombre d'emplois vacants, même si le taux de chômage est élevé (point qui correspond à l'intersection de la courbe et de la droite de pente 45°). En effet, si, dans cette situation, il y a des chômeurs cela ne résulte pas d'une situation d'"équilibre de sous emploi", au sens de son contemporain Keynes. Ce n'est pas parce que la demande globale fait défaut qu'il y a du chômage, mais parce que les employeurs ne trouvent pas d'employés qui les satisfassent (et réciproquement). Il s'agit donc d'un problème microéconomique lié au marché du travail. En particulier, cette situation peut résulter du fait que les employeurs peuvent avoir du mal à trouver les employés qu'ils cherchent ou que, réciproquement, les chômeurs peuvent avoir du mal à trouver les emplois qu'ils souhaitent occuper.

Si ces difficultés s'accroissent, on ne fluctue plus alors sur la courbe 1. Au contraire, de la courbe 1, on passe à la courbe 2. Il faut maintenant un nombre d'emplois vacants plus élevé qu'auparavant pour atteindre un même taux de chômage. Le marché du travail fonctionne donc moins bien.

Les travaux de Peter Diamond, Dale T. Mortensen et Chris Pissarides ont consisté, comme beaucoup de travaux en économie "mainstream" depuis les années 1970, à trouver des fondements microéconomiques capables d'expliquer que le marché du travail "fonctionne" plus ou moins bien. Pour ce faire, ils ont fabriqué des modèles où des acteurs rationnels s'efforcent de maximiser leur utilité, en fonction du contexte (et notamment de la présence d'indemnités chômage), dans la découverte d'emplois (pour les chômeurs) ou de travailleurs potentiels (pour les entreprises). On trouve un excellent résumé de ces analyses par Alexandre Delaigue sur le blog d'éconoclaste.

Les principaux fondements de ces analyses sont posés par une série d'articles qui vont, grosso modo, de 1981 à 1993. La date de ces publications n'est pas un hasard. Elles témoignent de l'actualité à l'époque de la courbe de Beveridge.

Avec la récession de la fin des années 1970, le taux de chômage ne fait pas qu'augmenter : la courbe de Beveridge se déplace. Une des raisons de ce déplacement est ce que Blanchard, qui est le coauteur d'un certain nombre des articles de Diamond, appelle l'effet d'hystérèse du chômage. Au fur et à mesure que le chômage augmente et que sa durée s'accroît, les chômeurs se déqualifient, faute d'expérience professionnelle. Ils sont donc moins employables : le taux de chômage ne peut donc plus retrouver son niveau antérieur à la crise. La courbe de Beveridge se déplace ainsi vers la droite du graphique. Il est donc, à l'époque, essentiel de comprendre comment améliorer l'efficacité du marché de l'emploi pour diminuer ce type d'effets. Et c'est ce que proposent les travaux primés par la Banque de Suède cette année.

On ne dispose pas en France de séries statistiques sur le nombre d'emplois vacants. La seule information, bien moins fiable, qui s'en approche est le nombre d'entreprises industrielles qui déclarent des difficultés dans leurs recrutements. On construit donc, à partir de cette variable, des "quasi courbes de Beveridge".

Si l'on croise cette variable et le taux de chômage pour les hommes (principaux concernés par les emplois industriels), voici ce que l'on trouve :
Comme on peut le voir, à la faveur de la récession de 1993, la quasi courbe de Beveridge se déplace vers la droite. On passe de la courbe en bleu à celle en rouge. Entre le début et la fin des années 1990, il y a deux points de taux de chômage en plus pour un nombre équivalent d'entreprises qui déclarent avoir des difficultés de recrutement. Les raisons de ce déplacement sont multiples, mais il me semble que l'effet d'hystérèse joue un rôle essentiel. Les chômeurs se sont déqualifiés au fur et à mesure que la crise dure.

Avec les années 2000, notamment grâce à une modeste "activation" des politiques de l'emploi, la courbe de Beveridge s'est de nouveau déplacé vers la gauche, sans jamais rejoindre toutefois sa position antérieure : la courbe jaune se décale erratiquement et lentement vers la gauche. (Chez les femmes, le déplacement est beaucoup plus marqué, signe de l'amélioration de leur insertion dans le marché du travail : leur quasi courbe est aujourd'hui nettement plus à gauche qu'en 1990).

On voit que la récession qui débute en 2008 a conduit à un déplacement le long de cette nouvelle courbe de Beveridge (la courbe s'arrête au second trimestre 2010 inclus).

Nous n'avons, en effet, pas changé de courbe de Beveridge, avec l'augmentation du taux de chômage : nous n'avons fait que nous déplacer, exceptionnellement rapidement, sur la courbe qui préexistait à la crise. Cette augmentation est le produit d'une économie marquée par une demande insuffisante, et non d'un accroissement du chômage structurel. C'est ce que ne cesse de marteler, pour le cas des Etats-Unis, Paul Krugman sur son blog (voir notamment ce billet).

L'un des enjeux essentiels des politiques économiques dans les prochaines années est en effet clair : il est absolument nécessaire que la courbe ne se déplace plus vers la droite, comme elle l'a fait durant les années 1990. Cela nous condamnerait à revivre le gâchis humain et économique des années 1980 et 1990.

C'est en particulier à cette aune qu'il faut apprécier le potentiel de nuisance des politiques de rigueur dont s'enorgueillissent les hommes politiques européens : en stoppant la reprise, elles menacent de transformer un chômage "keynésien" en un chômage structurel. Et de mettre à bas les minces progrès obtenus dans le fonctionnement du marché du travail en France depuis 15 ans.

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Dans le cadre de l’amélioration du service fourni aux lecteurs de mon blog, je me propose de rendre accessibles les données dont son tirés les graphiques des billets. Pour ce billet, elles sont disponibles ici. Elles sont fournies dans un fichier au format Calc du logiciel libre Open Office, librement téléchargeable ici.

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mardi 12 octobre 2010

Deux enjeux de la réforme des retraites

Au delà des aspects les plus techniques, largement traités ailleurs, ou même ici, j'aimerai revenir sur deux enjeux sous-jacents de la réforme des retraites.

Cette réforme est un échec parce qu'elle n'a pas su prendre en compte la transformation du rapport individuel à la retraite. La retraite a profondément changé de signification : de pension que l'on accorde à celui qui ne peut plus (physiquement) travailler pour lui permettre de ne pas tomber dans l'indigence, elle est devenue un troisième moment dans la vie, vécu comme une libération. Un nombre croissant d'individus aspirent à vivre, encore jeunes et libérés des contraintes du monde professionnel, un moment d'épanouissement. Cette aspiration est forte en France, parce que le monde du travail y est particulièrement difficile à vivre pour les salariés, pour un ensemble de raisons, comme l'ont montré de nombreux travaux, par exemple ceux de Philippon. La volonté de profiter de la vie est ainsi renforcée par le désir de quitter un monde vécu comme oppressant. C'est cela qui rend l'attachement à la retraite à 60 ans si fort.

Face à cela, il y a deux attitudes possibles. Soit l'on considère, à partir d'un a priori normatif implicite, que cette aspiration est illégitime, parce que le travail, ou le PIB/hab dans les comparaisons internationales, sont des vertus en eux-mêmes ; soit l'on pense que les individus doivent être libres de faire ce qu'ils entendent, pour autant qu'ils en assument le coût.
Pour le dire en jargon, qu'on doit laisser les individus libres d'optimiser leur utilité de manière intertemporelle. Si un nombre important d'individus souhaitent partir à 60 ans, que cela leur soit possible : soit en diminuant proportionnellement leur pension, soit en accroissant leurs cotisations.

C'est cette possibilité qu'affecte en particulier le report de l'âge légal de départ à la retraite de 60 à 62 ans. En accroissant l'importance du mécanisme non proportionnel de la décote, elle rend plus impossible encore ce type d'optimisation sous contrainte 1.

Autrement dit, cette réforme amplifie l'inadaptation du système à notre société contemporaine : elle ne tient pas compte de cette aspiration à l'individualisation des retraites. C'est cela qui rend un système à point, inspiré du modèle système suédois, si attractif : il laisse, en effet, libre les individus de réaliser, comme ils l'entendent, le type de parcours de vie qu'ils souhaitent, tout en maintenant équilibrés les comptes des caisses de retraite.

Parallèlement à cet enjeu de l'individualisation, se pose, à l'autre extrême du social, un enjeu collectif, qui renvoie à la lutte entre les différents groupes sociaux sur la richesse produite. Le système actuel est, dans son principe, fondé sur une pure répartition horizontale : des actifs payent des cotisations à des anciens actifs, qui reçoivent une pension en fonction de leurs cotisations passées. C'est donc un système corporatif, ne concernant que le monde professionnel, qui ne vise pas à agir sur la répartition "verticale" de la richesse entre les groupes sociaux hiérarchisés de notre société.

L'extrême opacité du système rend difficile une évaluation précise, mais il n'en est, en fait, pas ainsi. Notamment, parce que ce système ne tient pas compte de l’espérance de vie différentielle entre les groupes sociaux. En 2002, à 35 ans, les cadres hommes avaient 47 ans d'espérance de vie, soit 6 ans en plus que les ouvriers ; et 34 ans sans incapacité, soit 10 ans de plus que les ouvriers. Dans la mesure où, qui plus est, les ouvriers sont deux fois plus nombreux que les cadres, cela signifie qu'une partie de la retraite des cadres est financée par les ouvriers.

La réforme actuelle amplifie ce mécanisme. En effet, en relevant l'âge légal de départ à la retraite, elle impose à tous ceux qui ont commencé à travailler avant 18 ans et demi de cotiser plus longtemps que les 41.5 annuités imposées à tous. Une personne qui a commencé à travailler à 14 ans devra ainsi avoir 2 annuités en plus que le minimum requis pour le taux plein : pendant deux ans, il travaillera "pour rien", du moins pas pour lui. Et ces individus sont presque tous des ouvriers, qui ont été apprentis, et qui mourront pourtant 6 ans plus tôt que les cadres.

Ces injustices ont largement été relevées. Elles forment le coeur de la revendication des syndicats. Mais, on a manqué d'en voir le sens profond. Elle signifie que la réforme assure, pour partie, la pérennité du système actuel par une répartition verticale à l'envers, des ouvriers vers les cadres.

Les propositions de réformes de la gauche vont dans l'autre sens. Elles suggèrent toutes, à des degrés divers, d'utiliser de nouveaux prélèvements, qui ne relèvent plus de la logique "corporative" des cotisations. En particulier de taxer les revenus financiers. Ces propositions surestiment l'ampleur des recettes que rendent possibles ces taxes par rapport aux besoins de financement. Toutefois, leur signification est évidente : il s'agit de financer le maintien de l'âge de départ actuel par une redistribution verticale des richesses. C'est-à-dire de changer le principe même du système.

L'enjeu sous-jacent est clair : à mesure que les ressources s'amenuisent au regard des besoins à financer, apparaît des tensions entre les différents groupes sociaux, qui entendent financer la pérennité de leur mode de vie grâce à la richesse produite par les autres.

C'est toute la limite des propositions de la gauche. Pour que le système français soit pérenne, il faut qu'il obtienne l'acceptation de toute la population, en particulier des classes supérieures. Ces classes ont mené, avec succès, dans les pays anglo-saxon des révoltes fiscales face aux prélèvement d'un Etat-providence dont elles jugeaient qu'il ne leur profitait pas. Comme le note Sterdyniak : "Un système financé par les riches qui ne bénéficie qu'aux pauvres est socialement fragile : les classes moyennes, nombreuses, y sont indifférentes et les riches, influents, hostiles. "

En transformant le principe du système, c'est donc le pacte social implicite sur lequel il est assis que menace de briser la gauche.

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1. Le système de décote est particulièrement mal compris. Il fonctionne, comme le note (p.25) Thomas Piketty, à la façon d'une double peine. On calcule, en effet, premièrement un taux de reversion, qui est proportionnel au nombre d’annuités cotisées. Puis, s'il manque des annuités, en plus de la baisse proportionnelle du taux que cela implique, on ajoute une décote de -1.25 points de % au taux de reversion par trimestre manquant, soit 5 points par année. Atteindre 65 ans permet uniquement de supprimer le mécanisme de la décote, pas celui de la proportionnalité dans la reversion.

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mardi 5 octobre 2010

Les retraites : d'un déficit à l'autre

La réforme des retraites a, sans doute, deux finalités politiques.

Prouver à son électorat que Nicolas Sarkozy est capable de prendre les "douloureuses" mesures qui s'imposent pour relever la France de son lent déclin ; envoyer un message aux marchés financiers, dont on suppose qu'ils menacent tout pays négligeant de réduire son déficit budgétaire.

Ces deux raisons en font une mesure de circonstance, adoptée dans l'urgence, sans concertation.

Un petit compte d'apothicaire suffit à comprendre que, pour cette raison, cette réforme risque de déplacer les problèmes, et donc de faire vivre encore le cycle sans fin de la réformes des retraites (on en est à la 5e depuis 15 ans, si mon décompte est correct).

Pour que cette réforme fonctionne, il faut que la pyramide des âges des taux d'emploi se décale de deux ans. Autrement dit, qu'il y ait, en 2018, autant de personnes de 62 ans qui travaillent par rapport aux personnes de 60 ans aujourd'hui, autant de personnes de 63 ans que les 61 ans d'aujourd'hui, etc.

Si ce n'est pas le cas, cette réforme est au choix une manœuvre cynique, ou un échec. En effet, cela reviendrait à réduire le déficit des caisses de retraites en diminuant les pensions : les travailleurs qui auraient pu prendre leur retraite à taux plein aujourd'hui, et qui ne le peuvent plus avec la réforme, verraient leur pension diminuer puisqu'ils seraient au chômage ou en inactivité forcée avant l'âge légal de départ à la retraite (d'où une décote). Il y aurait certes moins de pensions à verser, et donc moins de déficit, mais au prix d'une combinaison variable de : 1) une dégradation du sort des retraités 2) un report du problème du déficit des caisses de retraites à celui de l'UNEDIC, qui s'en inquiète d'ailleurs. Ce qui ne plairait guère aux marchés financiers, qui se moquent de savoir qui génèrent les déficits publics.

Examinons donc ce que cela signifie. Si l'on suit les prédictions de l'INSEE, il y aura approximativement 1,914 millions de personnes âgées de 60 à 62 ans en 2018 (je prend la donnée de 2020).

Le taux d'emploi des 55-59 ans est actuellement de 63%. Appliquons le à nos 60-62 ans de 2018, puisque telle est la condition du succès de la réforme : que la pyramide des taux d'emploi se décale de deux ans. Cela nous fait 1,23 millions d'actifs supplémentaires.

Il faut donc créer 1,23 millions d'emploi en plus d'ici 2018. Il y a actuellement 2, 615 millions de chômeurs en France. Si l'on ne parvient pas à créer ces emplois, cela signifie que le nombre de chômeur augmenterait de près de 50% (sans doute moins, bien sûr, un certain nombre d'entre eux se décourageant et ne s'inscrivant plus au Pôle Emploi).

Ce premier calcul d'apothicaire nous donne une mesure du défi, et permet d'expliquer les craintes de l'UNEDIC.

On peut préciser ce défi. Il y a 1, 23 millions d'emplois à créer environ, auxquels on peut ajouter approximativement 400 000 emplois pour retrouver un taux de chômage de 8% et stabiliser plus ou moins les caisses de l'UNEDIC. Cela fait 1,6 millions d'emplois, soit environ 6 % de plus qu'actuellement.

Si on prend le scénario le plus pessimiste du COR sur l'évolution de la productivité par tête du travail (+ 1,5 % par an), cela signifie qu'il faut que l'économie française ait un taux de croissance de 2,1 % chaque année en moyenne dans les 7 années qui nous séparent de début 2018. Si le scénario le plus optimiste du COR se confirme (+1,8% de hausse de la productivité du travail), il faudra 2,6% de croissance.

Or, la crise, qui a poussé à agir dans l'urgence, rend ce type de croissance totalement illusoire : à la crise va succéder probablement des années de croissance faible. En janvier 2010, l'OFCE établissait trois scénarios de croissance entre 2011 et 2018. Le noir anticipe 1,3% de croissance annuelle. Le rose, 2,1%.

Tout ceci est totalement approximatif, bien sûr. Mais cela donne une idée des ordres de grandeur auxquels nous allons faire face.

Une chose apparaît alors clairement : Nicolas Sarkozy va devoir vraiment aller chercher la croissance avec ses dents, très longues, il est vrai.

A défaut, bien sûr, d'avoir négocié une réforme avec le MEDEF pour imposer que les entreprises changent leurs stratégies d'embauche des plus âgés, qui rendent, actuellement, encore plus illusoires ces créations d'emplois de seniors. Et un étalement de la mise en oeuvre de la réforme réaliste, étant donné la capacité actuelle de l'économie à créer des emplois. C'est d'ailleurs ce qu'ont fait tous les pays ayant adopté des réformes de ce type, et cela avant même la crise, comme le rappelle le COR (p.5).

On a le courage politique que l'on peut, il est vrai.


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