jeudi 15 décembre 2011

Troll du jour

Les agences de notation, c'est connu, sont méchantes et incompétentes. Et maintenant, elles s'en prennent à la zone euro, dont la crise est pourtant sous contrôle puisque Sarkozy A.Merkel a décidé qu'imposer une politique d'austérité créerait (magie !) de la croissance.

Ainsi, Standard and Poors pense que les pays les mieux classés de la zone devrait être dégradés. Stupéfaction, en France, dans nos milieux politiques : comment même l'Allemagne, si vertueuse ?

La trollesque vérité est, pourtant, que les agences de notation ont une analyse plutôt favorable des pays de la zone euro, comparé aux marchés financiers.


Je me suis ainsi amusé (figure de style) à rassembler tous les pays de la zone, ainsi que les autres pays du G20 et de l'OCDE, qui ont à la fois une note attribuée par Standard and Poors et dont Bloomberg donne le taux des obligations à 10 ans (le graphique date du début de la semaine dernière). Et l'on voit très clairement, que quelque soit la note, les obligations des pays de la zone euro ont, presque systématiquement, des taux supérieurs à ceux des pays qui ne sont pas membres de la zone. Pour le cas des seuls pays notés AAA, la différence de taux est notable : le taux moyen à 10 ans est de 2,8 % pour les pays de la zone contre 1,9 % pour ceux qui ne le sont pas. Le contraste entre un pays comme la Suède (1,8 %) et la Finlande (2,7%) est, par exemple, frappant. La dégradation semble, ainsi, une évidence, devant laquelle Standard and Poors ne recule que pour des raisons de prudence diplomatique.

Les agences ne donnent qu'une analyse parmi d'autres pour les acteurs financiers (pour autant qu'ils ne soient pas contraint par Bâle II de les suivre). Ainsi, la dégradation de la note américaine par S and P n'a eu strictement aucune conséquence, bien au contraire : les taux ont baissé après sa dégradation. A part la Suisse, aucun pays AAA n'a un taux aussi faible que le Japon, pourtant AA-. Les notes des agences de notation ne sont pas les oracles qui donnent la vérité absolue sur le monde, surtout en ce qui concerne les dettes souveraines. Elles accompagnent, avec délais, la convention boursière du moment.

Dans le cas de la zone euro, elles n'ont pas encore tenu compte de la panique financière. Elles ne sont pas les seules, du reste : la BCE semble ne rien avoir compris également. Et, personnellement, c'est de la BCE dont j'ai surtout peur.
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jeudi 1 septembre 2011

Exclusif : Frédéric Lefebvre est favorable aux 35 heures

La déclaration du Secrétaire d'Etat est passée complètement inaperçue : le sarkoziste canal historique a fait sienne la mesure politique que honnit pourtant son camp. Lefebvre a déclaré qu'il fallait revenir aux 35 heures pour faire baisser le chômage en France !

En fait, pas vraiment, mais presque : il a plutôt affirmé que nous avions un taux de chômage élevé car  "Il faut  dire la réalité : parce qu'on a un taux de natalité beaucoup plus important que beaucoup d'autres pays". J'aime beaucoup le "il faut dire la réalité" de notre Secrétaire d'Etat.

Je l'aime d'autant plus que cela revient à faire des 35 heures une réalité tout aussi substantielle. En effet, l'affirmation du Secrétaire d'Etat se fonde sur la même "théorie" économique : celle qui voit le nombre d'emplois comme un gros gâteau dont la taille est intangible et qu'il est donc d'autant plus difficile -voire impossible- à partager qu'il y a de convives. Ce que nous dit le Secrétaire d'Etat est, en effet, que nous avons des chômeurs parce que le nombre de convives (d'actifs) augmente dans notre pays en raison des naissances nombreuses -alors qu'ailleurs, il stagne (un ailleurs qui se réduit à la seule Allemagne -décidément le seul point de comparaison dont disposent les hommes politiques de droite). Et comme le gâteau (le nombre d'emplois) reste le même, cela fait autant de chômeurs.

C'est très exactement un raisonnement de ce type qui a justifié, du moins pour les plus économiquement naïfs des socialistes, l'adoption des 35 heures, à la fin des années 1990. Car, au moins, les socialistes avaient la vertu d'aller au bout de leur raisonnement : si le problème est que le gâteau (le nombre d'emplois) est fixe, et que le nombre de convives augmente, alors il n'y a qu'une seule solution : diminuer la taille de la part de gâteau de chacun (baisser le nombre d'heures travaillées) pour que tous puissent manger (qu'il n'y ait plus de chômeurs) 1.

Au contraire, le gouvernement auquel appartient Frédéric Lefbvre a adopté tout une série de mesures qui, d'une part, augmentent le nombre de convives et qui, d'autre part, accroissent la part de gâteau de ceux qui ont la chance d'en avoir une. La réforme des retraites conduit, en effet, à ce que les plus de 60 ans ne partent pas à la retraite, augmentant d'autant le nombre d'actifs. Le maintien de la défiscalisation des heures supplémentaires (au delà des emplois bénéficiant de réduction de charges) conduit les actifs en emploi à travailler des heures qui auraient pu être effectuées par des chômeurs.

Et ceci est d'autant plus cruel qu'en effet, le Secrétaire d'Etat a raison à court terme : lors d'une crise de demande massive, comme celle que traverse notre économie, le nombre d'emploi ressemble à un gros gâteau qui n'augmente pas -la demande étant insuffisante pour inciter les entreprises à accroître leur production, et à embaucher pour cela.

Mais ce raisonnement ne vaut que dans des circonstances exceptionnelles et à court terme. Sur le long terme, le nombre d'emplois s'ajustent globalement au nombre d'actifs. Il n'y a aucune raison qu'il en soit autrement : tout actif est par définition capable de travailler et, pour autant que le marché assume sa fonction coordinatrice, il n'y a aucun raison qu'il ne puisse échanger sa production, ou ses capacités productives, avec d'autres acteurs. Plus le nombre d'actifs grandit, plus la production s'accroît : c'est pour cela que le taux de croissance potentielle d'une économie ne dépend que de deux choses : ses gains de productivité et la croissance de sa population active. Le gâteau ne possède pas une taille intangible : il grossit avec le nombre de convives -pour la simple raison que chaque convive en produit sa part.

Et c'est bien ce qui s'est passé en France jusqu'à la crise de 1975. Le problème de la France est le fait que son économie n'a jamais été capable de récupérer, par la suite, durant les phases de croissance rapide, par des créations d'emplois plus importantes que celle de l'augmentation de la population active, les conséquences des périodes de croissance faible ou négative, qui entraînent une croissance du nombre d'emplois plus faible que la population -voire même des destruction d'emplois. Les créations d'emploi soutenues entre 1985-1990 et 1997-2001 n'ont pas compensé les périodes de destruction (1975 ; 1984-1985 ; 1991-1993) ou de faible croissance.

C'est cela qui caractérise en propre l'économie française (et, dans une moindre mesure, les économies européennes), notamment en comparaison avec les Etats-Unis, où ce phénomène ne s'est pas produit (l'économie américaine a même inséré des dizaines de millions de travailleurs immigrés sans difficulté).


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1. Ce qui n'interdisait pas de soutenir les 35 heures pour d'autres raisons (ce qui était mon cas) -à commencer par le fait qu'il est tout aussi légitime d'utiliser les gains de productivité d'une économie pour travailler moins que pour accroître le pouvoir d'achat, le but ultime de l'économie n'étant pas de faire travailler les individus, mais d'accroître la satisfaction qu'ils tirent des biens et services produits -ce qui peut passer par plus de temps libre.

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samedi 28 mai 2011

Un peu de lecture pour Claude Guéant

Un peu de lecture pour notre ministre de l'Education, ministre de l'Intérieur, ministre de l'Immigration, Claude Guéant :

http://www.ac-reims.fr/casnav/enfants_nouv_arrives/formation/parcours.pdf

Résumé des meilleurs moments :


" L’analyse longitudinale des parcours des enfants d’immigrés ne conduit donc pas à conclure à leur échec scolaire massif, mais elle souligne en premier lieu que les ressources socio-économiques et culturelles du milieu familial forment les déterminants premiers de la réussite à l’école. [...]


Que, dans les résultats français, la supériorité des parcours des enfants d’immigrés se fasse jour quand est contrôlé non seulement la catégorie sociale, mais aussi le niveau de diplôme des parents (cf. plus haut pour le baccalauréat) suggère aussi cette conclusion : l’absence ou la faiblesse de la scolarisation parentale n’a pas les mêmes effets, sur la façon d’envisager l’avenir des enfants, selon qu’elle est due à la déficience du système éducatif dans le pays d’origine – cas fréquent des familles immigrées –, ou qu’elle traduit les difficultés scolaires rencontrées durant la jeunesse – cas des parents de même niveau d’études ayant toujours vécu en France.

D’un point de vue plus institutionnel, l’étude des parcours des enfants d’immigrés conduit à penser que le fonctionnement de l’école française ne crée pas, pour ces élèves, un handicap spécifique, en plus de celui – considérable – qu’ils doivent aux caractéristiques socio-économiques et culturelles de leur milieu familial. "



voir également :

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/estat_0336-1454_1996_num_293_1_6053
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mardi 4 janvier 2011

Le zombie des 35 heures

Les 35 heures sont les zombies de la discussion économique en France : on ne peut rien contre elles. Tout discours économique rationnel qui s'efforce de préciser leurs effets sur la compétitivité prix des entreprises françaises est destiné à échouer lamentablement.

Aussitôt tuées, elles ressurgissents, se levant d'entre les idées fausses et mortes, pour mieux rendre impossible tout analyse et conduire à des politiques aberrantes. Le zombie du moment se nomme Manuel Valls, suivant de près un zombie du camp opposé. Ne doutons pas que l'année 2012 verra une invasion massive de zombies dans la campagne politique présidentielle. Après tout, le zombie en chef de 2007 a gagné.

La plupart des journaux ont rappelé que la loi telle qu'elle a été votée entre 1998 et 2000 a été privée de l'essentiel de sa substance. En particulier, la loi Bertrand de 2008 a supprimé toute contrainte légale véritable dans le nombre d'heures travaillées. Mais cela ne suffit pas, manifestement. Le zombie ne veut pas mourir.

Je doute que le zombie expire davantage si l'on examine les effets concrets sur le coût du travail des 35 heures, même si cela constitue le coeur de son argumentaire. Mais je vais quand même essayer.

Le zombie nous explique, en effet, que la France a perdu en compétitivité en raison des 35 heures : le salarié coûte trop cher, dans sa fainéantise légalisée.

Sauf qu'il n'en est rien. Le coût du travail a faiblement augmenté en France entre 2000 et 2008 (avant donc la mise en place de la loi TEPA). Il a moins augmenté que dans la moyenne des pays européen. Infiniment moins que dans les pays d'Europe centrale et orientale, en plein rattrapage. Moins que dans tous les pays européens qui sont confrontés à de graves problèmes de compétitivité en raison de l'explosion de leurs coûts (Espagne, Grèce). En fait, à part l'Italie, dont la productivité du travail a stagné durant la période, seules l'Allemagne et l'Autriche ont vu leur coût du travail augmenter moins qu'en France (conduisant à ce que la moyenne de la zone euro soit faible). Et cela parce que ces deux pays ont choisi une politique de déflation salariale. Politique suicidaire, qui déstabilise la zone euro en produisant des déséquilibres commerciaux massifs, et qui, en outre, a été inefficace, puisque l'Allemagne a eu le 3e taux de croissance le plus faible des pays développés durant la période.


Si l'on élargit, en s'intéressant à l'ensemble des pays développés, en prenant cette fois-ci en compte l'évolution de la productivité du travail, on voit, encore, que l'évolution du coût unitaire du travail en France n'a rien d'exceptionnelle. Elle est plus faible que celle de la moyenne des pays de l'OCDE.

Là encore, c'est l'Allemagne (et le Japon) qui font vraiment exception, en connaissant une baisse de leur coût unitaire du travail : la hausse des salaires y a été plus faible que la hausse de la productivité des travailleurs. Et le moins que l'on puisse dire est que cette déflation salariale n'a pas eu les effets attendus : après l'Italie et le Portugal, le Japon et l'Allemagne sont les pays développés qui ont eu le taux de croissance le plus faible entre 2000 et 2007.


Ce n'est pas en diminuant les salaires que l'on restera compétitif par rapport aux pays asiatiques : l'Allemagne s'y efforce, en pure perte. L'évolution du cours de l'euro a plus qu'annulé la baisse du coût unitaire du travail en Allemagne vis-à-vis des pays hors zone euro. Sa politique de déflation n'a donc constitué qu'une politique non coopérative, qui a généré des excédents commerciaux pour l'essentiel vis-à-vis des seuls pays qui partagent la même monnaie que l'Allemagne, et qui ne peuvent dévaluer. Sans même permettre à l'Allemagne de connaître une croissance économique soutenue.

Le problème n'est pas donc pas l'évolution du coût du travail en France, qui est tout à fait moyenne. C'est l'évolution en Allemagne. Car on ne peut pas généraliser la politique allemande : elle ne peut fonctionner -pour autant qu'elle fonctionne- que si les autres pays européens ne la mènent pas. Si tous la mènent, elle aboutit à une déflation généralisée de l'économie européenne, faute de demande globale. Le choix n'est donc pas entre les 35 heures et sortir de la zone euro. Mais entre la politique allemande de déflation et la mort de la zone euro.

Pour le dire différemment, il est temps de parler sérieusement, en adulte responsable, à l'Allemagne, car il en va de l'avenir de la zone euro. Et ce n'est pas en infantilisant le débat économique français, en faisant resurgir encore et encore le zombie des 35 heures que l'on y parviendra.
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