mardi 4 janvier 2011

Le zombie des 35 heures

Les 35 heures sont les zombies de la discussion économique en France : on ne peut rien contre elles. Tout discours économique rationnel qui s'efforce de préciser leurs effets sur la compétitivité prix des entreprises françaises est destiné à échouer lamentablement.

Aussitôt tuées, elles ressurgissents, se levant d'entre les idées fausses et mortes, pour mieux rendre impossible tout analyse et conduire à des politiques aberrantes. Le zombie du moment se nomme Manuel Valls, suivant de près un zombie du camp opposé. Ne doutons pas que l'année 2012 verra une invasion massive de zombies dans la campagne politique présidentielle. Après tout, le zombie en chef de 2007 a gagné.

La plupart des journaux ont rappelé que la loi telle qu'elle a été votée entre 1998 et 2000 a été privée de l'essentiel de sa substance. En particulier, la loi Bertrand de 2008 a supprimé toute contrainte légale véritable dans le nombre d'heures travaillées. Mais cela ne suffit pas, manifestement. Le zombie ne veut pas mourir.

Je doute que le zombie expire davantage si l'on examine les effets concrets sur le coût du travail des 35 heures, même si cela constitue le coeur de son argumentaire. Mais je vais quand même essayer.

Le zombie nous explique, en effet, que la France a perdu en compétitivité en raison des 35 heures : le salarié coûte trop cher, dans sa fainéantise légalisée.

Sauf qu'il n'en est rien. Le coût du travail a faiblement augmenté en France entre 2000 et 2008 (avant donc la mise en place de la loi TEPA). Il a moins augmenté que dans la moyenne des pays européen. Infiniment moins que dans les pays d'Europe centrale et orientale, en plein rattrapage. Moins que dans tous les pays européens qui sont confrontés à de graves problèmes de compétitivité en raison de l'explosion de leurs coûts (Espagne, Grèce). En fait, à part l'Italie, dont la productivité du travail a stagné durant la période, seules l'Allemagne et l'Autriche ont vu leur coût du travail augmenter moins qu'en France (conduisant à ce que la moyenne de la zone euro soit faible). Et cela parce que ces deux pays ont choisi une politique de déflation salariale. Politique suicidaire, qui déstabilise la zone euro en produisant des déséquilibres commerciaux massifs, et qui, en outre, a été inefficace, puisque l'Allemagne a eu le 3e taux de croissance le plus faible des pays développés durant la période.


Si l'on élargit, en s'intéressant à l'ensemble des pays développés, en prenant cette fois-ci en compte l'évolution de la productivité du travail, on voit, encore, que l'évolution du coût unitaire du travail en France n'a rien d'exceptionnelle. Elle est plus faible que celle de la moyenne des pays de l'OCDE.

Là encore, c'est l'Allemagne (et le Japon) qui font vraiment exception, en connaissant une baisse de leur coût unitaire du travail : la hausse des salaires y a été plus faible que la hausse de la productivité des travailleurs. Et le moins que l'on puisse dire est que cette déflation salariale n'a pas eu les effets attendus : après l'Italie et le Portugal, le Japon et l'Allemagne sont les pays développés qui ont eu le taux de croissance le plus faible entre 2000 et 2007.


Ce n'est pas en diminuant les salaires que l'on restera compétitif par rapport aux pays asiatiques : l'Allemagne s'y efforce, en pure perte. L'évolution du cours de l'euro a plus qu'annulé la baisse du coût unitaire du travail en Allemagne vis-à-vis des pays hors zone euro. Sa politique de déflation n'a donc constitué qu'une politique non coopérative, qui a généré des excédents commerciaux pour l'essentiel vis-à-vis des seuls pays qui partagent la même monnaie que l'Allemagne, et qui ne peuvent dévaluer. Sans même permettre à l'Allemagne de connaître une croissance économique soutenue.

Le problème n'est pas donc pas l'évolution du coût du travail en France, qui est tout à fait moyenne. C'est l'évolution en Allemagne. Car on ne peut pas généraliser la politique allemande : elle ne peut fonctionner -pour autant qu'elle fonctionne- que si les autres pays européens ne la mènent pas. Si tous la mènent, elle aboutit à une déflation généralisée de l'économie européenne, faute de demande globale. Le choix n'est donc pas entre les 35 heures et sortir de la zone euro. Mais entre la politique allemande de déflation et la mort de la zone euro.

Pour le dire différemment, il est temps de parler sérieusement, en adulte responsable, à l'Allemagne, car il en va de l'avenir de la zone euro. Et ce n'est pas en infantilisant le débat économique français, en faisant resurgir encore et encore le zombie des 35 heures que l'on y parviendra.

11 commentaires:

  1. Wikipedia indique que "le terme dézombifier introduit une connotation de destruction de masse à grand renfort d'armes et d'objets et où la finesse n'est pas de mise." L'alternative étant de ne pas offrir de sel au zombi (je fais ce que je peux pour aider, hein, n'ayant pas trop de solutions pour l'Allemagne).

    Je relèverai juste que le ralentissement que tu observes en 2000-2007 correspond peu ou prou aux réformes de l'ère Schröder, et que la comparaison avec le Japon est circonstancielle, mais pas plus (en clair, mettre deux chiffres à côté parce qu'ils se ressemblent alors que les environnements sont bien distincts, ce n'est pas très heureux (mais c'est un détail)).

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  2. Zombie, c'est un terme emprunté à Krugman, j'imagine :

    http://www.nytimes.com/2010/12/20/opinion/20krugman.html?_r=1&ref=opinion

    http://www.nytimes.com/2009/08/24/opinion/24krugman.html

    Sinon, bravo pour votre papier, lumineux, comme d'hab.

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  3. @Anonyme : l'inspiration est bien de Krugman, pour les zombies. L'image est superbe. Je ne sais qui l'a trouvé en premier. Elle est, aujourd'hui, à la mode, cf. par exemple le dernier livre de John Quiggin, tant les zombies nous cernent, et ne nous veulent pas du bien.

    @Popo : ok sur ce que tu dis du Japon. Ce n'était d'ailleurs pas le coeur de mon propos. En l'occurrence, la baisse du coût unitaire au Japon est une dimension de la déflation générale qu'a connu l'économie nippone. Ce n'est pas le produit d'une stratégie de compétitivité, comme en Allemagne.

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  4. Le déséquilibre des échanges mondiaux est à la racine de tous nos maux. Entre pays émergents et pays développés, le différentiel des coûts du travail constitue évidemment le moteur de l’avantage concurrentiel des uns sur les autres. Il est certain que le combat semble perdu d’avance si nous ne disposons que du seul levier de la réduction du coût du travail pour nous positionner dans la concurrence. Observons néanmoins une certaine convergence entre les modes de vie et de consommation des quelques centaines de millions de chinois urbanisés acteurs de l’économie high-tech des grandes villes chinoises et notre classe moyenne, avec une différence claire entre une dynamique montante en Chine et descendante chez nous. Nous n’avons malheureusement pas les leviers pour éviter cette convergence qui se fera à notre détriment.
    Un levier néanmoins serait le renforcement de la zone économique européenne, au sein de laquelle les mêmes déséquilibres des échanges sont à l’œuvre. Le modèle allemand est mieux adapté à la mondialisation que vous ne le prétendez dans votre papier. Il repose sur une forte externalisation de la composante la moins forte en valeur ajoutée dans la chaîne de production industrielle, et sur une modération des coûts salariaux, ce qui a eu des effets vertueux pour l’Allemagne, maintien d’un taux d’emplois industriels très supérieurs à nos 17 % d’emplois industriels en France, qui se réduisent comme peau de chagrin, et excédents des échanges commerciaux, les exportations allemandes ne se portant pas si mal, aux dernières nouvelles.
    Bien sur, le différentiel de compétitivité s’est creusé au détriment de ses partenaires européens, et de la France en particulier.
    La crise de l’euro et de la dette souveraine appelle une convergence des politiques économiques et notre « zombie en chef », comme vous l’appelez, plaide à juste titre pour une convergence avec l’Allemagne, sur le plan fiscal dans un premier temps, et ultérieurement sur le plan du budget, peut-être, et en ayant en ligne de mire l’amélioration de la compétitivité des entreprises françaises et en connaissant les fontes qui pèsent sur les basques de notre économie, avec un différentiel de taux de prélèvements obligatoires avec l’Allemagne de cinq ou six points ?
    Si on parle de convergence en Europe, on pourrait certes demander à nos amis allemands de relâcher leur effort, et de consommer un peu plus, mais nous devons nous aussi « converger », et dans ce contexte, tout est bon à prendre. Les 35 heures ne sont qu’un seuil à partir duquel est déclenché le mécanisme des heures supplémentaires. Relever ce seuil au niveau allemand ou au standard moyen européen, aux alentours de 37 heures, avec un petit coup de pouce sur les salaires, que permettrait la suppression de la défiscalisation des heures supplémentaires, c’est un débat à 3-4 milliards d’euros, et donc c’est un débat qui en vaut la chandelle.
    Laissons se faire le débat démocratique, et éclairons le avec nos positions respectives dans la société. Vous l’éclairez avec une approche macro-économique, basée sur le différentiel du coût du travail sur la période 2000-2007, ce qui ne me paraît pas prendre en compte un nombre suffisant de paramètres, mais qui est certainement intéressante et riche d’informations. Les non-économistes, mais plongés dans l’économie réelle sont plutôt contents que le débat au sein de la classe politique vienne sur les sujets économiques, des sujets de la vraie vie, et celui-ci me semble intéressant, même si je vous concède qu’il n’est pas dénué d’arrière-pensées.

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  5. John Quiggins qualifie de Zombie des idées et pas des individus ( Zombie economics), celles qui ont prévalu pour inspirer trois décennies de dérégulation. Critiquons sérieusement et courtoisement les idées et pas les personnes qui les émettent, c'est un préalable à un " discours économique rationnel"

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  6. L'augmentation du contingent d'HS permet effectivement à une entreprise qui le souhaiterait de repasser à 39 heures comme horaire affiché
    Il reste que ce qui a été fait à cause des 35 heures pour les bas salaires (augmentation du SMIC horaire et aides jusqu'à 1
    7 fois le SMIC a accentué un problème important : l'écrasement de la hiérarchie pour les salaires en dessous du salaire médian
    et qu'on ne sait pas trop comment en sortir, à moins de bloquer tout coup de pouce au SMIC pendant 20 ans!

    Pour ce qui est de l'Allemagne, tout à fait d'accord pour noter qu'elle a fait une politique non coopérative (ou pour le moins peu coopérative)
    Mais!
    afficher un graphe où les résultats sont écrasés visuellement à cause du cas de la Lettonie et de la Biélorussie n'est pas vraiment un moyen de présenter honnêtement la situation comparée de la France et de l'Allemagne
    de même que regarder les résultats de l'Allemagne entre 2000 et 2008 n'est pas forcément le plus représentatif : pourquoi justement ces deux dates? qu'en est il des résultats depuis, en particulier ceux de 2010?

    En dehors du cas particulier de la période récente de crise où les écarts de l'Allemagne plus importants à la baisse et à la hausse que ceux de la France s'expliquent par l'importance qu'a ce pays dans le commerce international, la comparaison entre les deux pays doit prendre en compte deux réalités qui défavorisent le résultat chiffré de l'évolution du PIB de l'Allemagne :
    D'abord la situation démographique : si on raisonne en PIB/ habitant, les résultats changent assez notablement
    Ensuite le secteur de la construction passé en Allemagne de 700 000 logements construits par an après la chute du mur à 200 000 actuellement, sans qu'il y ait pénurie, pour les raisons démographiques évoquées plus haut. Dans le même temps la construction augmentait de 50% en France sans que cela suffisse à assurer un bon logement
    On imagine assez ce que deviendrait l'évolution des PIB des deux pays si on enlevait la construction dans les comptes. En réalité, dans tous les autres secteurs, l'Allemagne a continué à progresser beaucoup plus vite que la France

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  7. @Verel. Je suis plutôt en accord sur ce que vous dites à propos des bas salaires (pour d'autres raisons en plus des vôtres). Je ne commenterai donc pas.

    Vous me prêtez des intentions que je n'ai pas pour le choix des graphiques. Si vous trouvez le premier malhonnête, en ce qu'il inclut les pays d'Europe centrale et orientale, il y a le second. Et son message est exactement le même.

    Pour le choix des dates. C'est une excellente remarque. J'aurais dû le préciser dans le post. 2000 : parce que c'est la mise en oeuvre de la première loi sur les 35 heures. 2008 : parce qu'ensuite, il y a eu la plus grave récession depuis 70 ans. Or, dans une récession, il y a un "cycle de la productivité", qui fausse la comparaison entre pays, les économies adoptant des ajustements différents en fonction de la flexibilité de leur marché du travail, et qui fausse également les comparaisons intertemporelles, dans le cas d'un même pays -cette récession ayant provoqué un "cycle de la productivité", totalement anormal, étant donné l'ampleur de la crise. Lors d'une récession, les entreprises n'ajustent jamais complètement leur main d'oeuvre à la variation de la production. Elles ne licencient pas autant que leur production baisse. Cela entraîne, mécaniquement, une baisse de la productivité du travail, et une hausse du coût unitaire du travail. L'Allemagne a eu le cycle le plus marquée en Europe, parce qu'elle a choisi, bien plus que la France et les autres pays développés, de maintenir sa main d'oeuvre en emploi, notamment en diminuant le temps de travail (et oui...). Le coût unitaire du travail a donc augmenté fortement. Mais c'est une situation anormale, liée à la crise, et qui ne saurait se poursuivre. Les entreprises sont toujours forcées, sur le moyen terme, d'ajuster leur main d'oeuvre à leur production. Si la production n'augmente finalement pas, elles licencient. Dans tous les cas, elles font en sorte que la productivité du travail ne se dégrade durablement pas. Mais, avant que la productivité ne retrouve son trend de long terme, les comparaisons sont, pour l'instant, peu significatives.

    Pour le dernier point. Il est exact que l'Allemagne est le seul pays européen (avec le Portugal) où la valeur ajoutée du secteur de la construction ait diminué (-22% entre 2000 et 2008). Mais il ne faut pas surestimer l'importance de ce secteur dans la croissance des années 2000. Il a compté pour approximativement 0.1 point de croissance pour les 2% de croissance annuelle moyenne en Europe entre 2000 et 2008. De fait, il ne représente qu'environ 6% du PIB en Europe (4% en Allemagne).

    Au final, si l'on prend la croissance sectorielle, la croissance en France a été supérieure, entre 2000 et 2008, à celle de l'Allemagne dans tous les secteurs, à l'exception de l'industrie (hors construction). Et, dans ce secteur, la croissance allemande que l'on présente comme exceptionnelle ne l'est pas : entre 2000 et 2007 (sommet de la production industrielle), elle a été de 2.2% par an en moyenne. En France, elle a été de 1.2% par an en moyenne.

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  8. Bonsoir,

    Quand une idée est dans l'air. sans avoir lu votre billet (je le jure) j'ai écris sur le même thème, mais d'une tout autre manière.

    C'est ici :
    http://bleuhorizon.over-blog.com/article-sortie-de-valls-sur-les-35-heures-malgre-leur-mort-elles-agitent-encore-64635842.html

    Au passage, les 35 heures sont entrées dans une lente agonie dès 2001 (sous la gauche donc), et furent achevées en 2004...

    2008 n'est que l'enterrement avec fleurs et couronnes.

    Verdun

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  9. Tres bon blog... Meme les commentaires sont bons. Merci !

    Newcomer

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  10. Pas mal le titre, en plus ton article l'illustre bien :)

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