mardi 6 octobre 2009

La France va-t-elle faire faillite ?

Hier, en regardant dans ma boite aux lettres, et en y trouvant, pour la première fois, un exemplaire promotionnel de Valeurs Actuelles, je me suis dit que j'avais dû commettre une erreur grave dans ma vie, pour être ainsi inscrit dans le listing des clients potentiels de ce magazine.

Mais ma méditation sur mon existence fut brutalement interrompue par la lecture du titre de la couverture ("Déficits publics : l'explosion") et de cette affirmation :
L’alerte est claire : sans une politique drastique d’austérité budgétaire, il y a désormais un vrai risque de faillite de l’État.
Je me suis immédiatement rasséréné : depuis qu'on nous l'annonce, l'apocalypse ne s'est pas produite et je ne doute pas des motivations politiques inhérentes à ce genre de propos.

Mais, d'un autre côté, il est exact que la crise actuelle se traduit par une forte augmentation de la dette publique. Au cours des seuls deux premiers trimestres de 2009, la dette publique a augmenté de 6 points de PIB, atteignant 74%. Elle sera probablement de 77% à la fin de l'année, contre 67% un an plus tôt. Si l'on suit les dernières prévisions du FMI, la dette atteindra même 92,6% du PIB en 2014. Dans ces conditions, l'État français va-t-il faire faillite ?

La réponse est : il n'y a pas le moindre risque que cela se produise. Avec un peu de chance, cet accroissement de l'endettement se produira même sans douleur.

Un emprunteur fait faillite lorsqu'il n'est plus capable de faire face à ses engagements. Or, l'État a une propriété importante en tant qu'emprunteur, qui le différencie des emprunteurs privés : il peut se contenter de ne rembourser que les intérêts de sa dette et jamais le principal. Il est en effet éternel, et personne ne lui demande de rembourser à un moment donné la totalité de sa dette, de peur qu'il ne meure sans l'avoir payée. De fait, l'État français n'a pas remboursé le principal depuis plus de 30 ans. La vraie mesure de la capacité de l'État français à faire face à ses échéances est donc constituée par l'importance du paiements des intérêts en proportion de ses recettes : il y aura faillite le jour où l'État ne pourra plus financer ses dépenses, parce qu'une partie trop importante (mais difficile à déterminer précisément) de ses recettes passera dans le remboursement des intérêts échus.

On en était très loin à l'époque (2006-2008) du débat hystérique sur la dette publique. A cette période, la proportion du paiements des intérêts par rapport aux recettes des administrations publiques était même la plus faible depuis 20 ans : un peu plus de 5% en 2006. Ce qui représentait 2,6% du PIB.

L'État français était très loin de la faillite, puisqu'il n'utilisait que 5,3% de ses recettes à honorer ses créanciers, soit 2,6% du PIB du pays. Il est vrai que ces 2,6% de PIB n'étaient pas consacrés à construire des écoles ou des hôpitaux, mais l'on voit immédiatement le poids certes non négligeable mais au final limité que ces paiements faisaient peser sur l'action publique.

Mais qu'en sera-t-il en 2014, lorsque l'endettement représentera 92,6 % du PIB ? La réponse est que l'on ne peut savoir exactement, puisque cela sera fonction de l'évolution du taux d'intérêt auquel l'État se refinance, dont dépend le taux d'intérêt moyen qu'il paye sur sa dette. Le taux d'intérêt moyen sur la dette publique était en 2008 de 4,15 %. Depuis les taux d'intérêt sur les titres publics ont nettement baissé : ils sont même très inférieurs à 4% si l'Etat emprunte pour moins de 20 ans.

Il est donc raisonnable de faire l'hypothèse que l'État payera, en moyenne, environs 4% d'intérêt sur sa dette. Avec cette hypothèse, un calcul immédiat permet de constater qu'une augmentation de 25 points de PIB de la dette publique va se traduire par un accroissement de 1 point de PIB des paiements des intérêts de la dette (25 x 0.04).

Au final, l'État français ne rentrera pas dans les territoires inconnus qui précèdent la faillite : le paiements des intérêts ne sera, proportionnellement au PIB, que très légèrement supérieur à son sommet historique de l'après guerre : 3,7 % en 2014 contre 3,6% en 1996. A l'époque, cela représentait 7,1 % des recettes publiques : pas exactement la situation d'un emprunteur qui s'apprêtent à faire faillite, ni même un poids insupportable pour l'action publique.

La faillite paraît d'autant moins probable que, depuis 1996, les recettes publiques, proportionnellement au PIB, ont baissé.

Entre 2006 et 2008 seulement, les recettes publiques ont baissé de 1 point de PIB : très exactement ce qu'il faudra trouver en plus pour payer les intérêts en 2014.

Mais il faudrait que le gouvernement augmente les prélèvements obligatoires. Gordon Brown l'a fait au Royaume-Uni, en faisant passer la tranche supérieure de l'impôt sur le revenu de 40% à 50%. Obama s'apprête à le faire aux États-Unis. Pour la France, cette augmentation serait somme toute modérée : il suffirait de retrouver le niveau d'avant l'élection de N. Sarkozy. C'est dans ce sens que l'accroissement de l'endettement public peut se faire, avec un peu de chance, sans douleur : pour autant que N. Sarkozy revienne sur son bouclier fiscal, et pour autant que les taux d'intérêt n'augmentent pas.

Première fragilité du scénario : l'évolution des taux. Si ceux-ci augmentent, le paiements des intérêts peut devenir véritablement important. Si l'on fait l'hypothèse légèrement moins optimiste d'un taux moyen de 4,5% au lieu de 4%, le paiements des intérêts représentent une part nettement plus significative des recettes -même si on est toujours loin de la faillite.

Mais le vrai risque est ailleurs : si N. Sarkozy accroit les prélèvements obligatoires, il en sera fini de la loi TEPA, et de l'objectif fondamental de la majeure partie de la droite française : la baisse des impôts. Plus : cela constituerait une grave défaite politique pour Sarkozy qui a identifié son action à cette baisse. C'est pourtant très exactement ce que demande la logique économique, qui a toujours conduit à des hausses d'impôts après un accroissement de l'endettement dû à des circonstances exceptionnelles.

Il est donc à craindre qu'une toute autre voie ne soit choisie : la réduction des dépenses publiques, hors paiements des intérêts. En appelant à une "politique drastique d’austérité budgétaire", c'est très exactement ce que demande Valeurs actuelles, dont les lecteurs ne sont pas prêts d'accepter de se passer du bouclier fiscal, au moment même où on leur enlève les paradis fiscaux. En attendant, il ne me reste plus qu'à espérer que le magazine mène une "politique drastique d'austérité de son budget publicitaire" et me raye de ses listings.

3 commentaires:

  1. Société avancée = haut niveau de prélèvements obligatoires (même après une décennie de thatchérisme, leur niveau n'avait pas baissé en Angleterre !). La droite jette un véritable écran de fumée sur cet état de fait et ne souhaite pas qu'on pose la seule question (authentiquement politique) qui fonde un régime démocratique : qui paie quoi et combien ?

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  2. La question est ici un peu différente : il s'agit de financer le remboursement du déficit, dû à la récession.

    La question est, au final : qui va payer le prix de la crise ? Pour l'instant, le privé (les banques) se sont défaussé sur l'État, transférant leurs dettes vers celui-ci. C'est l'État qui paye le maintien de l'économie au dessus d'une spirale à la 1929. Reste à savoir qui va financer la dette qui appartient maintenant à l'État. En particulier, cela sera-t-il plutôt les plus hauts revenus (hausse des impôts), ou les plus faibles (baisse des prestations sociales) ?

    Il serait logique de faire payer ceux qui ont le plus profité de la prospérité qui a précédé et conduit à cette crise. C'est ce que fait G. Brown, et c'est ce qu'avait fait Roosevelt à partir de 1933. Cela serait d'ailleurs un des moyens de lutter contre le possible retour de cette crise, comme le souligne Piketty, les systèmes et les niveaux de rémunérations, en particulier dans la finance, étant une des incitations perverses à l'origine des prises de risque qui ont porté la crise. Et le meilleur moyen de rendre impossible certains niveaux de rémunération est de les taxer à 90%, comme le note toujours Piketty : c'est infiniment plus efficace qu'un appel à l'ordre moral. Si on ne veut pas qu'il soit possible de gagner 10 millions de dollars en prenant le risque de faire sauter la banque, le plus efficace est d'être certain que personne ne pourra gagner 10 millions de dollars, l'État en ayant pris l'essentiel.

    Le problème est que la droite française est en décalage : elle s'est mis à baisser la fiscalité au moment même où il n'est plus possible de le faire.

    Le temps qu'elle en fasse le constat, on peut craindre, soit une diminution drastique et au final intenable de l'action publique, soit une troisième voie: celle d'un endettement croissant, la dette servant à payer les intérêts, tout en garantissant à la fois les baisses d'impôts et le maintien des dépenses existantes. Je ne mentionnais pas cette possibilité, mais je sens N. Sarkozy très capable de l'explorer.

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  3. glattering@free.fr16 avril 2010 à 19:47

    Sans rationalité et sans finalité a dit:
    "c'est infiniment plus efficace qu'un appel à l'ordre moral. Si on ne veut pas qu'il soit possible de gagner 10 millions de dollars en prenant le risque de faire sauter la banque, le plus efficace est d'être certain que personne ne pourra gagner 10 millions de dollars, l'État en ayant pris l'essentiel."

    C'est, au passage, l'objet d'une proposition de Frederic Lordon, economiste au CNRS.
    http://www.monde-diplomatique.fr/2007/02/LORDON/14458

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