lundi 19 avril 2010

Les ebooks, les DRM et moi

Il n'y a pas de détermination mécanique entre innovation technologique et processus économique de production : les innovations deviennent ce que les acteurs en font économiquement. La façon dont les acteurs économiques se saisissent des innovations est au moins aussi importante que les potentialités technologiques inscrites dans celles-ci. Il n'y a pas de déterminisme technologique mécanique.

C'est du moins ce que je me disais alors que les éditeurs français avait fait de moi un délinquant, capable de supprimer un DRM d'un livre électronique.

Depuis 2 mois, je suis l'heureux propriétaire d'un Kindle d'Amazon. L'offre de livres est gigantesque, la livraison instantanée et les livres n'ont plus aucune poids, si ce n'est celui (très faible) de la machine. Idéal dès que l'on est mobile, par conséquent, ou que l'on veut lire des livres en anglais sans avoir à attendre 10 jours d'être livré.

J'ai certes dû mentir et me découvrir une résidence américaine : il existe des restrictions à l'exportation de certains livres électroniques (exemple : le dernier Stiglitz ou Delong). Pour les obtenir, il faut vivre aux Etats-Unis.

Mais cela n'est pas grand chose face au désert de désolation du paysage éditorial français. L'offre légale de livres récents est quasi inexistante. Pire, les éditeurs n'ont pas su s'entendre : il existe ainsi deux sites principaux. Premièrement, epagine.fr, qui regroupe notamment Gallimard et le Seuil, dans un modèle économique bizarroïde où l'on achète à diverses librairies en France, que l'on peut choisir, et non directement à l'éditeur. Il y a, également, Fnac livre électronique, où l'on trouve notamment Albin Michel.

Cette offre a quatre caractéristiques :

1) elle est dispersée, ce qui implique une recherche pour savoir où trouver le livre que l'on cherche.

2) elle est très faible : quelques milliers de livres au total. Aucun fond, presque exclusivement une sélection de nouveautés.

3) elle est coûteuse : la Fnac vend quasiment au prix du papier (ex : le dernier Cohen/Askenazy coûte 22.5 euros contre 23.75 euros sous forme papier), ce qui n'a aucun sens puisqu'un des avantages de l'édition électronique est de réaliser d'importantes économies de coût (frais d'impression réduit à la mise en forme, pas de magasin, pas de stock, etc.).

4) elle est sous deux formats : ebook et pdf (pour certains livres, on peut avoir le choix entre les deux), protégée par un DRM, qui restreint les supports de lecture : les liseuses qui acceptent ces formats et le logiciel Adobe pour une lecture sur ordinateur.

C'est cette dernière caractéristique qui m'a transformé en délinquant : mon Kindle d'Amazon ne peut pas lire ces formats. Les éditeurs français ont, en effet, une peur extrême du grand méchant américain. Ils ne lui permettent pas de vendre le moindre de leurs livres, et ils vendent les quelques leurs sous un format non compatible avec la liseuse d'Amazon.

Et c'est ainsi que j'ai découvert comment l'on pouvait faire sauter la protection, pour pouvoir lire les livres que j'avais légalement achetés sur mon Kindle. Et que je lis surtout des livres en anglais, ou des livres non couvert par les droits d'auteur.

Ce qu'il y a de fascinant, c'est de voir à quel point les éditeurs français sont en train de reproduire point par point les causes qui ont fait d'une innovation possiblement porteuse de croissance l'origine d'une destruction créatrice majeure dans l'industrie de la musique.

Si le téléchargement illégal s'est développé, c'est en effet :

1) parce que l'offre légale était difficile à trouver et limitée -en tout cas plus limitée et plus difficile d'accès que l'offre non légale.

2) vendue à un prix sans aucun rapport avec son coût véritable, presque aussi cher que l'offre matérielle traditionnelle, sans en offrir le contenu (belle pochette, etc.)

3) avec des protections de type DRM limitant l'usage des produits légalement achetés, rendant l'offre non légale attractive, puisque ne possédant pas ce genre de limitation.

Pire, on sent que les acteurs traditionnels français se sont lancés dans une stratégie désespérée de recherche de rente légale : ils entendent, tout comme les éditeurs de musique, obtenir une protection légale par l'Etat leur permettant d'annuler l'essentiel des transformations qu'imposerait l'innovation technologique. Il semblerait notamment qu'ils tentent d'obtenir la création d'un prix unique du livre électronique, fixé à un niveau proche de celui du format papier.

Ce qu'il y a d'inquiétant est que l'Etat est à leur écoute : plutôt que de favoriser le consommateur (en imposant un format unique, par exemple), et de réfléchir à des aides qui permettrait de financer la reconversion des acteurs que l'innovation rend obsolète, l'Etat français semble croire lui aussi que quelques lois permettront de nier l'innovation technologique. Ce qui est une erreur : les innovations deviennent ce que les acteurs en font, mais elles n'ont jamais cessé d'exister du jour où l'Etat a déclaré qu'elles ne le devaient pas.

7 commentaires:

  1. Information wants to be free, yo!

    Et 300% d'accord avec ta démonstration en trois points.

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  2. On dirait qu'il est récurrent que les gens tentent de contrer le sens de l'histoire quand il est à leur défaveur, plutôt que d'essayer de s'adapter.

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  3. " ils vendent les quelques leurs sous un format non compatible avec la liseuse d'Amazon."

    Le problème vient plutôt d'Amazon qui utilise un format leur appartenant plutôt que les standards epub et pdf, pour le coup...

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  4. Et sinon, côté confort de lecture du bouzin ?

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  5. Raaah, c'est pas vrai ! J'attends avec impatience que le livre électronique "trouve son modèle" pour me jeter dessus et votre billet me fait désespérer.

    Encore une fois, une invention géniale va être ligotée par des lois anti-concurrentielles qui visent à protéger les acteurs en place.

    C'est complètement con, et ça m'énerve.

    J'espère du fond du coeur que le marché va reprendre le dessus sur le lobbying.

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  6. @DC : le confort est acceptable, pour autant que l'on lise des livres au format natif du Kindle, et pas des Pdf. Ce qu'il y a de déplaisant, c'est plutôt que, pour gagner de la place, le kindle affiche toujours la même police, et n'essaie pas de reproduire la mise en forme du format papier (comme le fait le format ebook). Le toujours semblable a un côté uniforme qui fatigue, à la longue.

    J'ai oublié d'ajouter un avantage (dont je viens de bénéficier) : dans pas mal de pays du monde, on peut surfer (de manière élémentaire) gratuitement sur le réseau 3G, ce qui permet de consulter wikipedia, son mail (répondre est un peu complexe), google et tous les sites optimisés en mode "basic".

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  7. 100% daccord, surtout sur ce point:

    "les acteurs traditionnels français se sont lancés dans une stratégie désespérée de recherche de rente légale"

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