mercredi 1 juillet 2009

Le Très Grand Emprunt National

Dès que l'on me pose une question sur le Très Grand Emprunt promis par notre président, je me trouve stupide et comme pris en défaut. Je ne parviens pas, en effet, à y trouver la moindre rationalité économique. Pourtant je ne doute pas des immenses compétences en ce domaine de notre Président et de ses conseillers. Mais j'ai beau prendre le problème par tous ses bouts, je n'aboutis qu'à des conclusions qui relèvent de la science politique de café du commerce.

Le président explique, en substance, que la situation est grave : le déficit budgétaire est considérable, 7 % du PIB cette année, pas beaucoup moins en 2010. Bon. La situation est si grave qu'il va falloir solliciter l'épargne des français, dans un vaste appel à l'unité nationale.

Et c'est là que je ne comprend plus rien. Je regarde ma courbe des taux sur les titres publics de l'État français, et je vois ça :


Les taux se sont effondrés depuis le sommet de la crise financière, surtout pour les maturités les plus courtes. Ce qui veut dire une chose simple : l'offre de fonds prêtables à l'État français a plus augmenté que la demande, bien que celle-ci se soit fortement accrue because les déficits abyssaux et tout ça. Sur le marché des titres publics, les choses sont en effet simples : il y a d'un côté l'État qui emprunte, et de l'autre les investisseurs qui prêtent. L'équilibre entre la demande d'emprunt et l'offre est constitué par le taux d'intérêt. Si celui-ci baisse, cela veut dire une chose simple : il n'y a aucun problème pour trouver des prêteurs. Au contraire, ceux-ci sont si nombreux que leur concurrence fait baisser les cours.

Alors pourquoi faire appel directement à l'épargne des français, puisque l'on en a pas besoin ? Voilà ce que je ne comprend pas.

Peut-être qu'il faut voir là un moyen pour payer encore moins cher les intérêts sur l'emprunt. Mais là, non plus, je ne comprend toujours pas. Depuis 30 ans, l'Etat français s'est efforcé de créer un marché profond des obligations publiques, de manière à pouvoir emprunter facilement avec de très faibles coûts de transaction, en mobilisant l'épargne du monde entier. Et voilà que l'on retourne à l'époque de Poincaré, en passant par des opérations aux coûts de transaction invraisemblables, par comparaison avec ceux des marchés obligataires publics modernes. Mais il y a pire : comme le dit ce banquier anonyme, qui ne doit rien avoir compris non plus : "Quand vous faites un emprunt auprès des particuliers, vous devez les inciter à souscrire avec un taux attractif qui permettra certes de rivaliser avec d'autres produits d'épargne, mais qui grèvera d'autant les finances de l'État". La rumeur évoque un emprunt à maturité de 5 ans, du type de celui que vient de lancer EDF. EDF emprunte à 4.5%. L'État, qui incite plus à la confiance, doit pouvoir attirer le petit prêteur à 4%, disons 3.7%. Aux dernières nouvelles, les BTAN à 5 ans étaient à 2.7 %, soit au moins 1 point de % de moins. Exercice : si l'emprunt est de 100 milliards, combien le contribuable va payer d'intérêt en plus, au bout de 5 ans, en ayant recours au Très Grand Emprunt National ?

Mais mes incompréhensions ne s'arrêtent pas là : on nous explique que cet emprunt aura pour but de financer des mesures précises, longuement réfléchies. Ah bon ? Je croyais pourtant qu'une règle fondamentale des finances publiques est la non affection des recettes aux dépenses. Il doit y avoir quelque chose que je n'ai pas saisi : notre président a toujours été soucieux de respecter les principes fondamentaux de notre droit.

Et c'est ainsi que je me retrouve contraint de faire de la science politique de bas étage. Je ne peux, en effet, m'empêcher de penser la chose suivante : si l'on lance ce Très Grand Emprunt National, c'est pour faire une campagne de communication politique et pas pour recueillir des fonds, dont on n'a pas besoin et qui coûteront cher. La seule finalité est de remettre au cœur de l'agenda politique l'équation de base qui sert en France à légitimer les réformes de l'État : l'État n'a plus d'argent, il faut donc qu'il diminue ses dépenses, et donc qu'il se réforme. Cette équation a été ruinée par la crise qui a vu l'État en faillite et aux caisses vides être capable de dépenser des milliards pour sauver le système financier. Il s'agit donc de la faire revivre, coûte que coûte, puisque sans elle, le roi est nu. Pour avoir un débat mature, informé, sur les véritables questions que pose la dette publique, il faudra donc encore attendre. Et subir ce déferlement de n'importe quoi économique devant lequel personne ne proteste tant semble être grande l'ignorance des mécanismes économiques de base, même dans l'opposition.

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