Il me semble pourtant que, comme beaucoup de documentaires populaires, il a négligé la dimension économique du conflit, dont il a, par ailleurs, véhiculé une image fausse. Cette image implicite tient dans la figure d'Albert Speer, qui a dirigé le Ministère des armements et de la production de guerre à partir de 1942, et qui apparaît comme l'incarnation tout à la fois de la dévotion à Hitler et de l'efficacité de l'appareil nazi. Derrière Albert Speer se cache un stéréotype : celui d'un peuple allemand ordonné et efficace, particulièrement dans le domaine économique, particulièrement sous une dictature.
Rien n'est pourtant plus faux : l'Allemagne a en grande partie perdu la guerre par inefficacité économique. La Seconde Guerre mondiale, plus que la Première, fut une guerre industrielle : la remporter supposait de disposer de plus d'armements -produits industriels- que l'adversaire, et donc d'en produire davantage. A ce jeu, l'Allemagne fut plus que médiocre : elle fut presque nulle, surtout en comparaison avec les États-Unis. L'Allemagne n'est en effet parvenu que mal et très tard à mettre en place une véritable économie de guerre.
Elle fut, tout d'abord, incapable d'accroitre le volume global de sa production économique dans le cadre de la mobilisation totale qu'impliquait la guerre.
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Mais il y a plus : la mobilisation économique totale qu'implique la guerre ne suppose pas seulement d'accroitre le volume de la production, elle impose également de transformer la production civile existante en production de guerre : par exemple, d'utiliser tout l'acier disponible pour fabriquer des avions et non des voitures et de transformer les usines d'automobile en usines de tanks. Il va s'en dire que ce genre de mesures n'est populaire ni parmi les industriels, qui passent sous le contrôle de l'État, ni parmi la population qui subit alors le rationnement.
Là encore, la performance américaine est exceptionnelle : une part essentielle du doublement de la production fut consacrée à l'industrie de guerre. En 1944, sur un PIB de 182 milliards de dollars, 96 étaient consacrés aux dépenses militaires de l'État. Les États-Unis produisirent ainsi 86 338 tanks, 297 000 avions, 17.4 millions de fusils et 64 500 navires en 4 années de guerre.
Rien de tel en Allemagne : les dirigeants allemands furent longtemps incapables d'utiliser vers des finalités militaires les ressources économiques jusque là employées pour satisfaire des besoins civils. La lenteur de cette reconversion peut être évoquée par un chiffre : entre février et mars 1944, la production d'avion de combat a augmenté de 48%. C'est dire le potentiel de reconversion des ressources qui existait encore en Allemagne presque un an avant la défaite. Cette reconversion fut, de fait, tardive et insuffisante : elle ne débute vraiment qu'à la fin 1942, lorsque Speer arrive au pouvoir, et que l'Allemagne subit ses premières défaites.
Comment expliquer cette mauvaise performance ? Galbraith, le célèbre économiste hétérodoxe, nous en donne quelques clés dans son Voyage dans le temps économique. Chose peu connue, il fut chargé par le gouvernement américain d'évaluer la performance économique allemande, après avoir joué un rôle important dans la mise en place de l'économie de guerre aux États-Unis.
Première cause, paradoxale : les Allemands ont été victimes de la bonne santé de leur économie avant la guerre. L'arrivée au pouvoir d'Hitler en 1933 coïncide en effet avec une reprise économique, qui a presque épargné à l'Allemagne la crise de 1929. Rien de tel aux États-Unis : en 1939 leur production économique retrouve à peine son niveau de 1929. En Allemagne, elle est en 1939 supérieure de 50% à 1929.
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Rien de tel en Allemagne : l'économie tourne déjà à plein en 1939, utilisant toutes les ressources en hommes et en capital disponibles. Tout accroissement de la production militaire implique donc de diminuer la production civile : et cela, comme on l'a vu, est toujours difficile, parce qu'impopulaire.
Cela implique, d'autre part, des talents d'organisation dont étaient dépourvus la structure de commandement nazi, et les hommes qui était à sa tête -à la différence des États-Unis, où les meilleurs économistes de la planète furent employés à cette tache.
Telle est l'autre cause profonde de l'échec économique allemand : le chaos régnait dans cette structure, et comme le notait Harendt, l'idéologie y était si forte qu'à un an de la défaite, on préférait envoyer un million de juifs hongrois à la mort plutôt que de les utiliser comme main d'œuvre dans des usines d'armement. Le commandement allemand était plus qu'incompétent : il était irrationnel. Et c'est ce qui a sauvé le monde.
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