jeudi 24 septembre 2009

La fin de Wikipédia (III)

Le nombre de nouveaux contributeurs diminue aujourd'hui fortement, tandis que celui de contributeurs réguliers stagne. Dans l'ensemble, le nombre de contributeurs a suivi la forme suivante (dite logistique) : croissance exponentielle, puis freinage de plus en plus fort de celle-ci, jusqu'à un niveau maximum.

Or, les contributeurs sont sur Wikipédia pour écrire des articles. On pourrait donc penser que le nombre d'articles suit une croissance du même type que celui du nombre des contributeurs : une croissance d'abord exponentielle, puis de plus en plus faible, jusqu'à devenir nulle. On atteindrait alors le nombre maximal d'articles possibles, représentant la somme de connaissances que l'on peut écrire sur le monde dans le cadre de Wikipédia en français.

Cette croissance serait le produit de trois mécanismes :

1) Plus il y a d'articles, plus viennent de nouveaux contributeurs. Plus il y a de contributeurs, plus il y a de nouveaux articles, etc. Ce mécanismes est à l'origine de la croissance exponentielle.

2) Mais plus il y a de contributeurs, moins il y a de nouvelles personnes disponibles pour contribuer à Wikipédia dans les conditions que fixe l'encyclopédie.

3) Et moins il y a de nouveaux articles potentiellement encore à créer, et moins il y a de contenus modifiables, puisque les connaissances des contributeurs qui sont disposés à contribuer sur Wikipédia sont bornées, de même que le sont les connaissances humaines. Ces deux derniers mécanismes freinent la croissance du nombre d'articles, jusqu'à un maximum.

Or comme on peut le constater, ce n'est pas ce qui s'est passé.

Le nombre d'article a bien suivi une courbe logistique l'essentiel de l'existence de Wikipédia, mais à partir de la fin 2007, la croissance du nombre d'article a certes diminué, mais moins vite que le supposerait un modèle logistique.

On comprend mieux ce qui s'est passé, si l'on s'intéresse au nombre de nouveaux articles par mois :

Comme on peut le voir, ce nombre suit assez étroitement ce que prédit le modèle logistique jusqu'en 2007. Puis, au lieu de continuer à diminuer, le nombre de nouveaux articles stagne, à un niveau relativement proche du sommet historique.

C'est exactement la même chose qui s'est produite pour le nombre d'éditions par mois sur l'encyclopédie, selon une temporalité identique :


Par conséquent, les mécanismes de freinage n'ont pas joué à plein. Que s'est-il passé ?

Premièrement, s'il est exact que le nombre de nouveaux contributeurs baisse très fortement, le nombre de contributeurs réguliers lui stagne, les arrivées compensant les départs. Il y a donc un nombre à peu près constant de contributeurs sur Wikipédia. Le nombre d'éditions n'a donc certes plus de raison d'augmenter, mais il n'en a pas non plus de baisser. Il stagne -comme le nombre de contributeur.

Deuxièmement, ces contributeurs continuent grosso modo à créer une quantité à peu près constante de contenu, même si l'on pressent une légère baisse.

C'est par exemple ce que montre le nombre d'éditions par mois en fonction du nombre d'éditeurs actifs. Pourquoi ? Parce que, malgré son presqu'un million d'articles, Wikipédia en français est loin d'avoir fait le tour de l'ensemble des connaissances humaines, comme le prouve d'ailleurs la version anglophone qui possède trois fois plus d'articles.

Mais surtout parce que le contenu de connaissance n'est pas fixe : aussi limitées que soient les compétences des contributeurs de Wikipédia, il y aura toujours suffisamment du nouveau pour que l'encyclopédie grandisse. Comme le notait Max Weber 1,

Il y a des sciences auxquelles il a été donné de rester éternellement jeunes. C'est le cas de toutes les disciplines historiques, de toutes celles à qui le flux éternellement mouvant de la civilisation procure sans cesse de nouveaux problèmes.
De ce point de vue, il a été donné à Wikipédia de rester éternellement jeune. On peut donc prédire une diminution progressive du nombre de nouveaux articles et d'éditions au fur et à mesure que s'épuisent les sujets que peuvent traiter les contributeurs de Wikipédia, et parce que les arrivées de nouveaux contributeurs, en nombre plus faibles, ne compenseront plus les départs. Mais ce niveau ne sera jamais nul, étant donné la gamme extrêmement large de sujets dont traite Wikipédia, dont certains connaissent ce "flux éternellement mouvant" qu'évoque Weber.

Il n'en demeure pas moins que la Wikipédia des débuts est en train de finir : l'encyclopédie fait face à de nouveaux défis. Le monde de la croissance exponentielle est achevé. Il ne s'agit plus de structurer une encyclopédie connaissant un développement très rapide de son contenu et de ses acteurs. Il s'agit au contraire de limiter la diminution probable dans le futur du nombre de contributeurs réguliers, et d'assurer au moins autant l'entretien des contenus que leur développement.

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1. Dans le premier de ses Essais sur la théorie de la science disponible ici, page 153 de la version PDF.

4 commentaires:

  1. Il me semble y avoir un souci avec la phrase suivante :

    "Premièrement, s'il est exact que le nombre de nouveaux contributeurs baisse très fortement, celui de contributeurs stagne."

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  2. J'espère que c'est plus clair maintenant. L'idée est qu'il y a de moins en moins de nouveaux contributeurs, mais ils suffisent à compenser les départs pour qu'au final le nombre de contributeurs réguliers stagne grosso modo.

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  3. Oui, en fait on peut dire que si le nombre global de nouveaux contributeurs diminue, parmi eux le nombre de contributeurs réguliers reste à-peu-près constant, assurant en gros le renouvellement de ce sous-groupe.

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