jeudi 17 septembre 2009

Lucidité tardive au Monde

Les lecteurs de ce blog se souviennent sans doute de mon énervement considérable face à la désinformation systématique qu'avait opéré Le Monde dans le traitement du mouvement universitaire de l'année dernière.

Une journaliste était particulièrement en pointe, Catherine Rollot ; et un de ses arguments avait particulièrement retenu mon attention, parce qu'il reposait sur une erreur méthodologique élémentaire. Selon cet argument, les mouvements universitaires des années précédentes avaient fait perdre des étudiants aux universités et celui en cours allait achever de les faire déserter. C. Rollot écrivait notamment :


[Du côté des universitaires], les blessés se comptent aussi. L'image de l'université en a pâti. Le premier bilan des demandes d'inscription dans l'enseignement supérieur en Ile-de-France est mauvais ; seuls 27,6 % des lycéens franciliens ont placé l'université en premier choix. C'est très peu quand on sait qu'au final, en septembre, sept bacheliers sur dix vont s'asseoir sur ses bancs.


Cette affirmation était du n'importe quoi au dernier degré, comme je l'indiquais ici.

Et que peut-on lire aujourd'hui dans Le Monde ? Surprise, surprise : un article dont le titre est : "Après la contestation du printemps, les étudiants ne désertent pas les universités". On peut notamment y apprendre que selon l'"entourage" du Ministre :

Après le mouvement qui a perturbé un certain nombre d'établissements au début de l'année, il n'y pas eu d'évitement des universités par les bacheliers.


On peut se rassurer : l'article n'est pas signé par Catherine Rollot. Il est néanmoins révélateur de la même limite du travail journalistique : la dépendance structurale à l'égard des sources primaires. C'était manifestement l'"entourage" de la Ministre qui avait inventé l'argument que reprenait C. Rollot (qui d'autre aurait pu lui fournir ses chiffres ?). Et c'est encore celui-ci dont les propos sont rapportés aujourd'hui sans analyse complémentaire. Cette dépendance est multiple : rapport d'échange qui implique de satisfaire la source en lui donnant au moins pour partie ce qu'elle attend ; proximité sociale et professionnelle qui devient proximité intellectuelle ; travail bâclé où l'on cite la source la plus prestigieuse, et de manière moindre une source contradictoire, pour former cet équilibre des points de vue auquel tend à se réduire la "neutralité" journalistique, au mépris du travail d'enquête par soi même.

De ce point de vue, la parole de "l'entourage" du Ministre est une parole forte, capable de définir la problématique du débat public -ne serait-ce que parce qu'il possède un monopole au moins temporaire sur les données statistiques, qui lui permet d'affirmer des choses fausses, mais face auxquelles tout le monde doit réagir. Ce jeu ne fonctionne bien sûr que pour autant que les journalistes relaient ces affirmations, sans en opérer une analyse préalable, qui était, dans le cas présent, dévastatrice.

4 commentaires:

  1. Le poids des sources gouvernementales et para gouvernementales dans la production journalistique est très bien analysée (dans le contexte nord américain) par Chomsky et Herman dans "La Fabrication du consentement". Ils en font un des cinq filtres de leur modèle de propagande.

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  2. Au delà de Chomski, c'est une idée assez courante dans la littérature spécialisée, mais particulièrement pertinente dans le cas présent.

    Quant à Chomski lui même, il faudrait peut être que je le lise un jour. Même si, a priori, je suis assez réservé.

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  3. Contrairement à ce que pensent trop de personnes, l'étude de Chomsky et Herman est désormais un "classique" de l'étude des médias (et non un obscur pamphlet rédigé par deux hurluberlus).

    Lire Chomsky est facile : tu as de nombreux textes disponibles en VO sur son site officiel (www.chomsky.info).

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  4. J'ai trouver que lire Chomsky etait tres facile, voire meme plus facile que l'ecouter.
    :)

    Je suis nouveau a lire ce blog, que j'apprecie, je compte donc bien revenir souvent.
    Et ca fait du bien de voir que d'autres reflechissent egalement, et que le monde n'est pas cette masse de moutons abetis que les medias nous montre en permanence, allant jusqu'a nous convaincre que nous sommes seuls et isoles.

    A propos de sources, de medias etc, je suis tombe recemment sur cet article du site de Manticore:
    http://manicore.com/documentation/climatosceptiques.html

    Vive internet!

    Bonne journee.
    /glattering

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