Les 35 heures sont les zombies de la discussion économique en France : on ne peut rien contre elles. Tout discours économique rationnel qui s'efforce de préciser leurs effets sur la compétitivité prix des entreprises françaises est destiné à échouer lamentablement.
Aussitôt tuées, elles ressurgissents, se levant d'entre les idées fausses et mortes, pour mieux rendre impossible tout analyse et conduire à des politiques aberrantes. Le zombie du moment se nomme Manuel Valls, suivant de près un zombie du camp opposé. Ne doutons pas que l'année 2012 verra une invasion massive de zombies dans la campagne politique présidentielle. Après tout, le zombie en chef de 2007 a gagné.
La plupart des journaux ont rappelé que la loi telle qu'elle a été votée entre 1998 et 2000 a été privée de l'essentiel de sa substance. En particulier, la loi Bertrand de 2008 a supprimé toute contrainte légale véritable dans le nombre d'heures travaillées. Mais cela ne suffit pas, manifestement. Le zombie ne veut pas mourir.
Je doute que le zombie expire davantage si l'on examine les effets concrets sur le coût du travail des 35 heures, même si cela constitue le coeur de son argumentaire. Mais je vais quand même essayer.
Le zombie nous explique, en effet, que la France a perdu en compétitivité en raison des 35 heures : le salarié coûte trop cher, dans sa fainéantise légalisée.
Sauf qu'il n'en est rien. Le coût du travail a faiblement augmenté en France entre 2000 et 2008 (avant donc la mise en place de la loi TEPA). Il a moins augmenté que dans la moyenne des pays européen. Infiniment moins que dans les pays d'Europe centrale et orientale, en plein rattrapage. Moins que dans tous les pays européens qui sont confrontés à de graves problèmes de compétitivité en raison de l'explosion de leurs coûts (Espagne, Grèce). En fait, à part l'Italie, dont la productivité du travail a stagné durant la période, seules l'Allemagne et l'Autriche ont vu leur coût du travail augmenter moins qu'en France (conduisant à ce que la moyenne de la zone euro soit faible). Et cela parce que ces deux pays ont choisi une politique de déflation salariale. Politique suicidaire, qui déstabilise la zone euro en produisant des déséquilibres commerciaux massifs, et qui, en outre, a été inefficace, puisque l'Allemagne a eu le 3e taux de croissance le plus faible des pays développés durant la période.
Si l'on élargit, en s'intéressant à l'ensemble des pays développés, en prenant cette fois-ci en compte l'évolution de la productivité du travail, on voit, encore, que l'évolution du coût unitaire du travail en France n'a rien d'exceptionnelle. Elle est plus faible que celle de la moyenne des pays de l'OCDE.
Là encore, c'est l'Allemagne (et le Japon) qui font vraiment exception, en connaissant une baisse de leur coût unitaire du travail : la hausse des salaires y a été plus faible que la hausse de la productivité des travailleurs. Et le moins que l'on puisse dire est que cette déflation salariale n'a pas eu les effets attendus : après l'Italie et le Portugal, le Japon et l'Allemagne sont les pays développés qui ont eu le taux de croissance le plus faible entre 2000 et 2007.
Ce n'est pas en diminuant les salaires que l'on restera compétitif par rapport aux pays asiatiques : l'Allemagne s'y efforce, en pure perte. L'évolution du cours de l'euro a plus qu'annulé la baisse du coût unitaire du travail en Allemagne vis-à-vis des pays hors zone euro. Sa politique de déflation n'a donc constitué qu'une politique non coopérative, qui a généré des excédents commerciaux pour l'essentiel vis-à-vis des seuls pays qui partagent la même monnaie que l'Allemagne, et qui ne peuvent dévaluer. Sans même permettre à l'Allemagne de connaître une croissance économique soutenue.
Le problème n'est pas donc pas l'évolution du coût du travail en France, qui est tout à fait moyenne. C'est l'évolution en Allemagne. Car on ne peut pas généraliser la politique allemande : elle ne peut fonctionner -pour autant qu'elle fonctionne- que si les autres pays européens ne la mènent pas. Si tous la mènent, elle aboutit à une déflation généralisée de l'économie européenne, faute de demande globale. Le choix n'est donc pas entre les 35 heures et sortir de la zone euro. Mais entre la politique allemande de déflation et la mort de la zone euro.
Pour le dire différemment, il est temps de parler sérieusement, en adulte responsable, à l'Allemagne, car il en va de l'avenir de la zone euro. Et ce n'est pas en infantilisant le débat économique français, en faisant resurgir encore et encore le zombie des 35 heures que l'on y parviendra.
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mardi 4 janvier 2011
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