mardi 31 mars 2009
lundi 30 mars 2009
Élitisme républicain
La publication du dernier livre de Baudelot et Establet, L'élitisme républicain, que je n'ai pas encore lu, m'a conduit à me replonger dans quelques statistiques que j'avais construites avec la même problématique (mais bien moins de talent) : que peuvent nous apprendre les enquêtes internationales sur le système éducatif français ?
La comparaison permet de faire ressortir, presque immédiatement, que notre système est profondément élitiste et qu'il est inefficace en raison de cet élitisme. Ce constat constitue d'ailleurs, à suivre la quatrième de couverture, le cœur de l'ouvrage du couple le plus célèbre de la sociologie française (après Mauss et Durkheim !) .
Pour introduire à la question, on peut se fonder sur l'enquête PISA, menée à partir de 2000 par l'OCDE, et qui a porté sur tous les membres de l'institution (qui inclut tous les pays développés, plus quelques pays en développement, comme le Mexique). Elle est fondée sur la passation de questionnaires standardisés à des échantillons d'élèves de 15 ans (soit le niveau de la seconde en France). Les questionnaires ont été conçus en concertation avec tous les pays membres, de manière à minimiser les biais de différences culturelles.
Ce graphique, qui porte sur les performances en lecture, en est tiré : sur l'axe vertical, les pays sont classés en fonction du score moyen de leurs élèves ; sur l'axe horizontal, les pays sont classés en fonction de l'écart type de ce score, qui est une mesure des inégalités de performances entre les élèves de chaque pays. Le graphique est fait à l'arrache, les écarts types ne sont pas normalisés, notamment. Mais le portrait général est clair.
Les élèves français (en rouge) ont un niveau très moyen de lecture comparé à la moyenne des autres pays industrialisés : ils sont tout juste à la moyenne OCDE, qui inclut des pays comme le Mexique ou la Turquie. Par contre, les différences de niveau entre élèves sont très élevés : elles sont les plus fortes des grands pays développés après l'Allemagne. On retrouve ce genre de régularités en sciences et en maths, de manière à peine moins nette.
De là, on peut faire quelques observations :
1-Plus un pays a de fortes inégalités de performances scolaires entre élèves, plus le niveau général des élèves est faible. Les hautes performances des meilleurs élèves ne compensent pas les mauvaises performances des moins bons. C'est ce que montre le graphique au dessus, où l'on voit que les pays s'alignent, dans l'ensemble, sur une ligne descendante, où le niveau baisse à mesure que les inégalités augmentent.
2- Dans le cas de la France, ces très fortes inégalités résultent d'un système, conçu il y a un siècle, et qui ne visait qu'à former et à sélectionner une élite, les autres élèves n'y participant pas et étant écartés avant la 6ième, sur une base avant tout sociale (c'était d'ailleurs le message de Baudelot et Establet dans L'école capitaliste en France, il y a quarante ans, où ils faisaient apparaître l'existence d'un double système éducatif en France : le système "secondaire-supérieur", reproduisant la bourgeoisie et le système "primaire-professionnel" dont la finalité était de reproduire la classe ouvrière.)
La massification scolaire, qui a débuté avec les années 1960 (10% des membres d'une génération a alors le bac), a rompu avec cette finalité. Toutefois, la massification n'a pas transformé la logique profonde du système, qui ne sait toujours pas fournir une bonne formation aux élèves moyens et médiocres. Le système reste dual, même s'il a élargi son recrutement. Aujourd'hui, 66% des membres d'une génération a le bac. Mais seuls 33% d'entre eux ont un bac général, un autre tiers a un bac professionnel et techniques, le derniers tiers aucun diplôme ou un diplôme plus faible. Et parmi les bacs généraux, les hiérarchies de niveau sont très puissantes, entre filières et entre lycées. S'il en est ainsi, c'est parce que le système reste finalement organisé autour de la production de hiérarchies rigides et marquées et dont le sommet est occupé par un très petit nombre d'élèves. Il reste dual, en formant bien une petite élite et mal ou médiocrement le reste.
3- Ce système est donc profondément inefficace à une époque où il faut former la masse de la population à des savoirs de plus en plus sophistiqués.
4- Il est, en outre, d'une violence sociale inouïe en ce qu'il est en symbiose (socio)logique avec la tyrannie de la formation initiale, plus puissante en France qu'ailleurs. Une petite élite est tôt sélectionnée, à bac +2, au moment de l'intégration à une grande école. Et il est très difficile à qui n'en a pas fait parti initialement de la rejoindre plus tard.
5- Enfin, ce système construit cette élite sur une base qui demeure sociale. Sa dualité est inséparablement scolaire et sociale. Réciproquement, pour rompre avec les inégalités sociales, il faudrait diminuer d'abord les inégalités scolaires.
Bref l'élitisme républicain est inefficace économiquement et injuste socialement.
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La comparaison permet de faire ressortir, presque immédiatement, que notre système est profondément élitiste et qu'il est inefficace en raison de cet élitisme. Ce constat constitue d'ailleurs, à suivre la quatrième de couverture, le cœur de l'ouvrage du couple le plus célèbre de la sociologie française (après Mauss et Durkheim !) .
Pour introduire à la question, on peut se fonder sur l'enquête PISA, menée à partir de 2000 par l'OCDE, et qui a porté sur tous les membres de l'institution (qui inclut tous les pays développés, plus quelques pays en développement, comme le Mexique). Elle est fondée sur la passation de questionnaires standardisés à des échantillons d'élèves de 15 ans (soit le niveau de la seconde en France). Les questionnaires ont été conçus en concertation avec tous les pays membres, de manière à minimiser les biais de différences culturelles.
Ce graphique, qui porte sur les performances en lecture, en est tiré : sur l'axe vertical, les pays sont classés en fonction du score moyen de leurs élèves ; sur l'axe horizontal, les pays sont classés en fonction de l'écart type de ce score, qui est une mesure des inégalités de performances entre les élèves de chaque pays. Le graphique est fait à l'arrache, les écarts types ne sont pas normalisés, notamment. Mais le portrait général est clair.
Les élèves français (en rouge) ont un niveau très moyen de lecture comparé à la moyenne des autres pays industrialisés : ils sont tout juste à la moyenne OCDE, qui inclut des pays comme le Mexique ou la Turquie. Par contre, les différences de niveau entre élèves sont très élevés : elles sont les plus fortes des grands pays développés après l'Allemagne. On retrouve ce genre de régularités en sciences et en maths, de manière à peine moins nette.
De là, on peut faire quelques observations :
1-Plus un pays a de fortes inégalités de performances scolaires entre élèves, plus le niveau général des élèves est faible. Les hautes performances des meilleurs élèves ne compensent pas les mauvaises performances des moins bons. C'est ce que montre le graphique au dessus, où l'on voit que les pays s'alignent, dans l'ensemble, sur une ligne descendante, où le niveau baisse à mesure que les inégalités augmentent.
2- Dans le cas de la France, ces très fortes inégalités résultent d'un système, conçu il y a un siècle, et qui ne visait qu'à former et à sélectionner une élite, les autres élèves n'y participant pas et étant écartés avant la 6ième, sur une base avant tout sociale (c'était d'ailleurs le message de Baudelot et Establet dans L'école capitaliste en France, il y a quarante ans, où ils faisaient apparaître l'existence d'un double système éducatif en France : le système "secondaire-supérieur", reproduisant la bourgeoisie et le système "primaire-professionnel" dont la finalité était de reproduire la classe ouvrière.)
La massification scolaire, qui a débuté avec les années 1960 (10% des membres d'une génération a alors le bac), a rompu avec cette finalité. Toutefois, la massification n'a pas transformé la logique profonde du système, qui ne sait toujours pas fournir une bonne formation aux élèves moyens et médiocres. Le système reste dual, même s'il a élargi son recrutement. Aujourd'hui, 66% des membres d'une génération a le bac. Mais seuls 33% d'entre eux ont un bac général, un autre tiers a un bac professionnel et techniques, le derniers tiers aucun diplôme ou un diplôme plus faible. Et parmi les bacs généraux, les hiérarchies de niveau sont très puissantes, entre filières et entre lycées. S'il en est ainsi, c'est parce que le système reste finalement organisé autour de la production de hiérarchies rigides et marquées et dont le sommet est occupé par un très petit nombre d'élèves. Il reste dual, en formant bien une petite élite et mal ou médiocrement le reste.
3- Ce système est donc profondément inefficace à une époque où il faut former la masse de la population à des savoirs de plus en plus sophistiqués.
4- Il est, en outre, d'une violence sociale inouïe en ce qu'il est en symbiose (socio)logique avec la tyrannie de la formation initiale, plus puissante en France qu'ailleurs. Une petite élite est tôt sélectionnée, à bac +2, au moment de l'intégration à une grande école. Et il est très difficile à qui n'en a pas fait parti initialement de la rejoindre plus tard.
5- Enfin, ce système construit cette élite sur une base qui demeure sociale. Sa dualité est inséparablement scolaire et sociale. Réciproquement, pour rompre avec les inégalités sociales, il faudrait diminuer d'abord les inégalités scolaires.
Bref l'élitisme républicain est inefficace économiquement et injuste socialement.
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dimanche 22 mars 2009
Indéracinable croyance
Obama devait mettre un terme aux 8 années de pouvoir de Bush, fondées sur une série de croyances extravagantes, destructives et non questionnables à partir du monde réel.
C'est ce qu'il semble s'être engagé à faire en politique étrangère.
Mais c'est ce qu'il n'a certainement pas fait en matière de politique économique, où réside le cœur même du bloc idéologique aujourd'hui structurant aux États-Unis. Ce cœur est fondé sur une idée simple, à l'origine des politiques des 30 dernières années : le marché sait mieux, et peut mieux faire que l'État, dans n'importe quelle situation et pour n'importe quel domaine économique.
C'est ainsi que l'administration propose une usine à gaz, où tout semble être idéologique, pour sauver le système bancaire. L'histoire est simple : le système bancaire est à l'article de la mort, parce qu'il a parié sur la hausse du prix du marché immobilier. Le marché s'est effondré, et les banques se retrouvent avec tellement d'actifs qui ont perdu presque toute valeur qu'elles sont devenues insolvables.
Faisons en sorte que les actifs revalent quelque chose, et le problème cessera d'exister, semble croire naïvement l'administration Obama, qui ne peut accepter l'idée que les banques ont tout simplement fait preuve d'incompétence et que ce qu'elles ont acheté ne vaut rien. Que la chute des cours des CDO, MBS et autres RMBS, n'est pas que le produit d'un peu de panique, mais du simple fait que les emprunteurs ne peuvent et ne pourront pas rembourser leurs dettes.
Puisque le marché seul est compétent, il nous faut donc trouver un moyen pour que celui évalue à leur juste valeur ces milliards de CDO, MBS, RMBS, etc., continue à penser Obama.
Pour cela prêtons lui de l'argent, pour qu'il puisse les acheter, et relever ainsi les cours à leur juste valeur, que lui seul sait évaluer, comme il l'a si bien montré lors de la folie spéculative des années 2000.
Autrement dit, le gouvernement Obama s'apprête à se transformer en une banque d'investissement pour hedge funds : il va distribuer jusqu'à des centaines de milliards de dollars à des spéculateurs pour qu'ils achètent ces actifs -et ils ne les achèteront que parce qu'ils espèrent obtenir des plus values. Et s'ils n'obtiennent rien, rien ne les forcera à rembourser leur dette. L'engagement sur fond propre à l'opération, nécessaire pour limiter l'aléa moral, semble minimum : le levier d'endettement va retrouver ses niveaux d'avant la crise. Le risque est donc presque nul pour les spéculateurs, maximal pour les contribuables. Le contribuable américain risque donc de perdre des milliards supplémentaires, risque inexistant si l'option de la nationalisation avait été choisie. Mais le sauvetage du système bancaire aura ainsi lieu à travers un système de marché, même si ce marché a été construit entièrement artificiellement grâce à des prêts de milliards de dollars par l'État à des acteurs privés. Avec une efficacité qui risque de s'avérer douteuse.
Mais tel semble être le prix de la croyance.
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C'est ce qu'il semble s'être engagé à faire en politique étrangère.
Mais c'est ce qu'il n'a certainement pas fait en matière de politique économique, où réside le cœur même du bloc idéologique aujourd'hui structurant aux États-Unis. Ce cœur est fondé sur une idée simple, à l'origine des politiques des 30 dernières années : le marché sait mieux, et peut mieux faire que l'État, dans n'importe quelle situation et pour n'importe quel domaine économique.
C'est ainsi que l'administration propose une usine à gaz, où tout semble être idéologique, pour sauver le système bancaire. L'histoire est simple : le système bancaire est à l'article de la mort, parce qu'il a parié sur la hausse du prix du marché immobilier. Le marché s'est effondré, et les banques se retrouvent avec tellement d'actifs qui ont perdu presque toute valeur qu'elles sont devenues insolvables.
Faisons en sorte que les actifs revalent quelque chose, et le problème cessera d'exister, semble croire naïvement l'administration Obama, qui ne peut accepter l'idée que les banques ont tout simplement fait preuve d'incompétence et que ce qu'elles ont acheté ne vaut rien. Que la chute des cours des CDO, MBS et autres RMBS, n'est pas que le produit d'un peu de panique, mais du simple fait que les emprunteurs ne peuvent et ne pourront pas rembourser leurs dettes.
Puisque le marché seul est compétent, il nous faut donc trouver un moyen pour que celui évalue à leur juste valeur ces milliards de CDO, MBS, RMBS, etc., continue à penser Obama.
Pour cela prêtons lui de l'argent, pour qu'il puisse les acheter, et relever ainsi les cours à leur juste valeur, que lui seul sait évaluer, comme il l'a si bien montré lors de la folie spéculative des années 2000.
Autrement dit, le gouvernement Obama s'apprête à se transformer en une banque d'investissement pour hedge funds : il va distribuer jusqu'à des centaines de milliards de dollars à des spéculateurs pour qu'ils achètent ces actifs -et ils ne les achèteront que parce qu'ils espèrent obtenir des plus values. Et s'ils n'obtiennent rien, rien ne les forcera à rembourser leur dette. L'engagement sur fond propre à l'opération, nécessaire pour limiter l'aléa moral, semble minimum : le levier d'endettement va retrouver ses niveaux d'avant la crise. Le risque est donc presque nul pour les spéculateurs, maximal pour les contribuables. Le contribuable américain risque donc de perdre des milliards supplémentaires, risque inexistant si l'option de la nationalisation avait été choisie. Mais le sauvetage du système bancaire aura ainsi lieu à travers un système de marché, même si ce marché a été construit entièrement artificiellement grâce à des prêts de milliards de dollars par l'État à des acteurs privés. Avec une efficacité qui risque de s'avérer douteuse.
Mais tel semble être le prix de la croyance.
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samedi 21 mars 2009
Territoires inconnus
Nous sommes rentré dans des territoires inconnus, avec les dernières notes conjoncturelles de l'INSEE. Selon l'INSEE, la production aurait reculé de 1.5% au premier trimestre, et reculera de 0.6% au suivant -ce qui conduit à un "acquis de croissance" de 2.9% à la moitié de l'année.
La récession est donc de très loin la plus grave qu'aura connu la France depuis la Seconde Guerre mondiale, d'une gravité à proprement parler inouïe.
Pour prendre la mesure de la chose, utilisons une petite "loi d'Okun" fondée sur une régression du lien entre évolution du chômage et le taux de croissance, en France depuis 1990. Au quatrième trimestre de 2008, le taux de chômage était de 7.8%. Si on applique la loi d'Okun, et en faisant l'hypothèse que la récession ne dépassera pas ces -2.9% pour 2009, on peut s'attendre à une hausse de 5 points de % du taux de chômage. Autrement dit, il y aurait début 2010, près de 13% de chômeur en France.
Nous atteindrions un sommet historique, supérieur au 12.5% du début de la décennie 1990. Bien sûr, ce n'est qu'une régularité statistique et il y a tout lieu de penser que le taux de chômage sera plus faible. D'une part, moins de jeunes actifs viendront sur le marché du travail. D'autre part, les gains de productivité ont tendance à ralentir, au moins au commencement d'une récession (les entreprises n'ajustant pas immédiatement leur main d'œuvre à la baisse de la demande). Pour l'instant, l'INSEE ne prédit qu'un peu moins de 9% de chômeur au milieu de l'année. Disons simplement que nous allons retrouver le niveau des années 1990, avec 12% de chômeur. Mettons même 11%.
Mais il n'y a pas de raison particulière de penser que la récession va s'arrêter en 2010, en tout cas aucune de croire que la croissance atteigne un niveau suffisant pour que le taux de chômage puisse diminuer. Bref, si ce n'est fin 2009 que nous atteindrons les 13%, cela paraît une possibilité très réelle pour fin 2010, et même avant.
Nous sommes vraiment dans des territoires inconnus : ceux d'un chômage de masse qui nous ramène 20 ans en arrière, et peut être même beaucoup plus loin encore.
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