jeudi 21 mai 2009

La crise, et après ?

Imaginons que nous soyons en 2012, et que la récession soit derrière nous, que se passera-t-il ? Les États-Unis reviendront-il à un taux de croissance de 3% comme entre 1995 et 2005 ? Et la France à 2,2 % ? Probablement, et nous allons même connaitre une ou deux années de croissance plus forte encore.

Du moins, c'est ce qu'affirme Paul Krugman. A le suivre, l'économie souffre actuellement d'une sous utilisation massive de ses facteurs de production. Le nombre de chômeur grossit aux États-Unis de 500 000 personnes chaque mois depuis 1 an. Lorsque la crise sera résolue, l'économie va par conséquent connaître une période de croissance exceptionnellement élevée, correspondant à la réutilisation de ces énormes facteurs de production laissés inemployés.

How can you fail to acknowledge that there’s huge slack capacity in the economy right now? And yes, we can expect fast growth if and when that capacity comes back into use.

Si on poursuit le raisonnement, on peut même penser qu'une fois ces facteurs remis en œuvre, l'économie retrouvera son rythme de croissance de long terme, correspondant au progrès technique et aux gains de productivité qui en résultent. En somme, pour reprendre la célèbre formule de Keynes en 1931, nous ne souffrons que d'un problème de dynamo. Le moteur remis en route, et après une petite embardée initiale, tout redeviendra comme avant.


La crise de 1929 offre un cas extrême de ce scénario. A partir de 1941, la reprise, rendue possible par les dépenses publiques liées à la guerre, a été accompagnée d'une croissance extrêmement forte : l'effort de guerre a été tel que, pour un temps, l'économie a même largement dépassé le trend de longue période. Puis, la guerre finie, l'économie s'est retrouvée sur la trajectoire de croissance de long terme qui existait préalablement à la crise de 1929.

En d'autre terme, on peut s'attendre à un an de forte croissance en 2012, puis au retour au rythme de croissance de long terme de nos économies, soit un peu plus de 2% pour la France.

Première objection à cet optimisme : encore faudrait-il savoir quand aura lieu la reprise. La crise des années 1930 nous montre que cela peut prendre des années. Comme le dit l'autre star de la blogosphère économique, Gregory Mankiw :
The problem is that those numbers start at the end of the recessions, and we do not know when the recession will end. In other words, if God came down and told us the exact date the current recession was going to end, my forecast subsequent to that date would be for higher than normal growth. But absent that divine intervention, there is always some chance the recession will linger (remember the Great Depression)
Il y a des raisons plus fortes encore de ne pas partager cet optimisme. Le scénario à la Krugman est fondé sur l'idée que l'économie suit un trend de croissance, autour duquel l'économie fluctue. Mais, rien ne garantit que cela soit le cas.

Premièrement, et c'est le scénario à l'autrichienne, tendance Hayek, on peut considérer que cette crise est le produit d'une mauvaise (sur) allocation du capital durant le boom dans certains secteurs. Aujourd'hui, les États-Unis se retrouvent avec un paquet de maisons à l'abandon, d'agents immobiliers inutiles, et de traders superfétatoires. En un mot, un immense gâchis de ressources humaines, économiques et naturelles, qui ont définitivement été perdues et feront défaut au moment de la reprise. De ce point de vue, la situation est meilleure en France.

D'autre part, il existe encore un autre scénario, beaucoup plus sombre : celui du choc pétrolier de 1973.


Après le choc pétrolier, l'économie française a connu un taux de croissance beaucoup faible qu'auparavant (fin des Trente Glorieuses). Cela a également été le cas des États-Unis. En 1984, ils ont bien connu une année de croissance exceptionnelle (7.2%). Mais la croissance y a durablement ralenti jusqu'en 1995.

La cause de ce ralentissement après 1973 est plus profonde que le seul mécanisme de mauvaise allocation du capital. Il résulte du fait que la crise de 1973 n'est pas économiquement semblable à celle de 1929. Elle offre l'exemple d'une crise due à un choc d'offre, quand la grande dépression de 1929 résultait de l'autre grand type de récession possible : celle qui sont le produit d'un choc de demande.

Un choc de demande est le propre des économies capitalistes modernes où les décisions de consommation et d'investissement sont prises de manière décentralisée. Dans ce type d'économie, il arrive périodiquement que la demande ne corresponde pas à l'offre rendu possible par les facteurs de production disponibles. Par exemple, si les banques font faillite, elles ne pourront pas prêter aux entreprises, qui ne pourront pas investir, déprimant d'autant la demande globale. C'est ce qui s'est passé en 1929. Et c'est ce qui se passe maintenant. Dans ce genre de situation, Keynes affirme que la solution est simple et technique : il suffit que l'État dépense à la place des autres, par un bon coup de déficit budgétaire. Et tout repartira comme avant.

La crise de 1973 est d'un type très différent. Elle n'est pas le produit d'une insuffisance de la demande, mais du fait que la production a été confrontée à la raréfaction d'une ressource sur laquelle elle est assise -les hydrocarbures. L'activité économique est fondée sur l'utilisation de ressources naturelles : plus elles sont abondantes, plus faibles sont les ressources nécessaires pour se les approprier, plus forte sera la croissance. Les pays de l'OPEP ont, en 1973 puis 1979, brutalement rendu ces ressources plus rares. L'économie ne pouvait donc pas reprendre le même rythme de croissance, même une fois le choc initial encaissé. Elle le pouvait d'autant moins qu'à ce choc des ressources naturelles s'est ajouté un autre choc "d'offre" : le ralentissement de la productivité, avec l'épuisement du modèle de production fordiste. Dans ce type de choc, l'économie ne peut pas revenir au même trend de croissance qu'auparavant. Et l'État n'y peut rien.

La crise actuelle s'inscrit certainement dans un scénario à la 1929. Pourtant deux éléments (au moins) complexifient l'analyse :

1- Nous avons connu un commencement de 1973 avant le déclenchement de la récession à proprement parler. En juillet 2008, le pétrole était à 130 dollars le baril. La croissance mondiale a alors fait face, durant une brève période, à une rareté croissante des ressources naturelles sur lesquelles elle repose. Quand la Chine retrouvera sa croissance à deux chiffres, et lorsque les américains rallumeront leur S.U.V, nous retrouverons le monde tel que nous l'avons quitté à l'été 2008 : avec une quantité finie et décroissante de ressources à nous offrir. Ce n'est pas un obstacle insurmontable, mais cela constitue très certainement la cause possible d'un ralentissement du rythme de la croissance -jusqu'à ce que le génie humain surmonte la rareté de la nature (ou pas).

2- La croissance des pays occidentaux les plus dynamiques, en particulier le Royaume-Uni et les États-Unis, était fondée sur un ensemble de déséquilibres qui ne pouvaient se poursuivre. En particulier, l'accroissement de la consommation des ménages dans ces pays a été rendu possible par une diminution continue de leur taux épargne et une augmentation corrélative de leur endettement. La croissance s'est nourri de l'endettement de tous les acteurs de l'économie et d'une balance des paiements fortement déficitaire.

Ce dynamisme économique fondé sur l'endettement est probablement définitivement brisé. Reste à savoir si les États-Unis trouveront un autre mode de régulation de leur économie, maintenant que la finance et la dette leur font défaut. A défaut, le rythme de croissance américain se rapprocherait de celui de la France, qui n'a pas pareillement joui des vertiges de l'endettement et de la finance.

1 commentaire:

  1. "jusqu'à ce que le génie humain surmonte la rareté de la nature (ou pas)" : hum... les parenthèses sont de trop.

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