Alors que les économies occidentales traversent leur plus grave récession depuis 70 ans et que les États s'endettent à coup de milliards d'euro pour assurer la reprise, le secteur bancaire, qui est à l'origine de ce désastre, est redevenu en partie profitable.
Plus étonnant encore, les bonus que les banques versent à leurs salariés les mieux payés, travaillant généralement dans les activités à risque à l'origine de la crise, sont en passe de dépasser les niveaux pourtant records de 2007 : ils seront d'approximativement 140 milliard de dollars aux États-Unis.
La crise économique n'a donc rien changé à une tendance de fond : l'explosion des rémunérations dans le secteur financier, en partie grâce à ces bonus.
Une étude a montré que cette tendance était un produit de la libéralisation financière, et ne pouvait pas être entièrement expliquée par une modification des caractéristiques objectives des travailleurs dans le secteur financier, en particulier par l'augmentation de leur qualification relative. Une partie non négligeable (de 30 à 50%) de cette explosion correspond donc à une rente pure, que perçoivent ces salariés sur le reste de l'économie.
Mais les bonus cette année se produisent dans des conditions telles qu'ils en choquent jusqu'à The Economist : même les banques qui perdent de l'argent les payent. Le secteur bancaire américain est, en effet, loin d'être sorti de la crise : de nombreux acteurs majeurs du secteur sont toujours déficitaires. En particulier, 4 des 10 banques d'affaire de Wall Street ayant distribué les bonus les plus importants ne seront pas rentables cette année, dont notamment Citigroup et Bank of America.
Et c'est cela qui choque The Economist : alors que les actionnaires perdent de l'argent, les salariés les mieux payés perçoivent des bonus, censés récompenser leur performance. Autrement dit, quoiqu'il advienne, qu'il n'y ait ou non performance, les bonus sont là.
Tout se passe donc comme si le capitalisme marchait sur sa tête : les actionnaires perdent de l'argent, notamment parce que leur entreprise paye des bonus considérables à des salariés totalement non performants. Et c'est bien ce que The Economist trouve insupportable, posant la bonne question : pourquoi les actionnaires ne disent rien ?
Cette situation folle, où les actionnaires se dépouillent pour garantir le train de vie des traders, plaide en faveur des réponses "sociologiques" à cette question. Dans ce type d'explications, dont Olivier Godechot donne la version la plus sophistiquée, on assiste tout simplement à un "hold-up". Les traders s'approprient les actifs de leur banque (modèles mathématiques, équipes de collaborateurs, etc.) et sont capables de créer un rapport de force favorable en menaçant de la quitter avec ces actifs.
Cela nous rappelle que la question des inégalités économiques ne se posent plus exclusivement, voire même principalement, en termes de partage de la valeur ajoutée entre le capital et le travail, mais bien au sein même du travail. Ici, les inégalités économiques considérables qui se créent opposent en effet les salariés entre eux : les salariés à très hautes rémunérations et les autres, qui ne peuvent opérer ce genre de "hold up".
Cela nous ramène surtout à une évidence : rien de fondamental n'a été changé dans le monde des activités financières. Il faut en effet être naïf pour croire que l'on peut arrêter un "hold-up" avec des codes de bonnes conduites et autres proclamations solennelles. En économie, l'éthique n'existe que lorsqu'elle s'incarne dans des structures d'incitation, qui font ici toujours totalement défaut.
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mardi 20 octobre 2009
mercredi 14 octobre 2009
Quelques réflexions sociologiques sur le "Prix Nobel" d'Economie
Le "Prix Nobel" d'économie est, cette année, un excellent cru. Il récompense l'école institutionnaliste qui fut dominante aux États-Unis avant guerre, et qui a retrouvé, à partir des années 1980, un dynamisme, notamment grâce aux travaux de Williamson. Les idées de Williamson, qui sont un développement de celles de Coase, sont du genre de celles qui sont tout à la fois simples, évidentes une fois que quelqu'un les a émises, mais qui permettent de mieux penser une part importante du réel.
Elles ont permis à l'économie d'ouvrir véritablement la "boite noire" de l'entreprise, en donnant une réponse à la question suivante : pourquoi y-a-t-il des entreprises si le marché est un lieu de coordination optimal ? La réponse est qu'avoir recours au marché est parfois plus coûteux que de produire au sein d'une organisation hiérarchique : c'est la conséquence des "coûts de transaction" qu'implique le recours à un contrat avec un autre acteur sur un marché. Ces coûts tiennent par exemple au risque que le contrat ne soit pas exécuté, ou qu'il le soit mal. Si on produit soi même, ces risques cessent d'exister. Mais alors apparaissent de nouveaux coûts, liés à la gestion de l'organisation hiérarchique. Au final, ni la firme, ni le marché ne sont, en soi, la solution optimale pour produire : cela dépend de ce qu'il y a à produire, et de la situation, puisque c'est ce qui déterminera ce qui est le moins coûteux. Le travail de Williamson a consisté à préciser à quoi tenaient les coûts de recours au marché, et donc dans quelles situations les entreprises préféreront produire en interne.
Mais, plutôt que de poursuivre, en développant les œuvres des lauréats, ce que d'autres ont déjà fait, j'aimerais développer quelques réflexions, de nature sociologique, sur ce que signifie gagner un prix Nobel. Le "cru" de cette année possède, en effet, on va le voir, une riche portée sociologique.
Les prix honorifiques ressortissent d'une forme particulière de rite de passage. Leur particularité sociologique est le nombre restreint de personne qui y accèdent : c'est cette rareté qui fondent leur valeur symbolique.
Contrairement à ce que l'on peut croire, le propre d'un rite honorifique, comme de tout rite de passage, n'est pas, essentiellement, de départager une "élite" de la masse d'une population : ici les "plus grands économistes" de l'ensemble, nombreux, des économistes. Bien entendu, un prix honorifique fait cela, et c'est ainsi que l'on y pense. Mais sociologiquement, il fait bien plus : il départage les membres d'un groupe qui peuvent, potentiellement, accéder à ce prix, même si il est très improbable qu'ils y parviennent, de ceux qui ne le pourront jamais, en aucune circonstance. En faisant cela, il donne une valeur symbolique supérieure, non seulement à ceux qui gagnent le prix, mais à tous ceux qui ne le gagneront jamais, mais qui pourraient en principe le faire. Il leur confère également, par ricochet, une "essence" sociale supérieure, puisque ce rite leur est potentiellement accessible. Au contraire, ce qui ne peuvent y accéder, sont, du simple fait que le prix existe, dévalorisés symboliquement. Un rite honorifique valorise donc non seulement les quelques individus qui y accèdent, mais l'ensemble du sous groupe auquel ces individus appartiennent, et dévalorise les individus des sous groupes auquel ils n'appartiennent pas.
Ici, le groupe de référence est celui des chercheurs scientifiques, et plus particulièrement de ceux qui travaillent sur les sociétés humaines et leur fonctionnement. Le Prix Nobel, au sein de ce groupe, fait un partage entre une sous population "les économistes", parce que tous ses membres peuvent potentiellement le gagner, et, d'autre part, tous les autres chercheurs en sciences sociales, qui ne le pourront jamais. Les uns sont des "vrais" scientifiques, puisque leur discipline fait partie de celles qui sont dotées d'un prix Nobel. Les autres ne sont pas tout à fait scientifiques, puisqu'ils ne peuvent pas gagner de Nobel.
C'est bien ainsi qu'il faut comprendre l'importance que revêt pour les économistes ce prix : il leur a permis de passer du bon côté, symboliquement valorisé, du rite de passage. On sait, bien sûr, que le "Prix Nobel" d'économie n'est pas un Prix Nobel, puisqu'il ne figure pas dans le testament fondateur d'Alfred Nobel et qu'il n'est pas décerné par l'Académie des sciences de Suède. Mais tout le monde l'oublie, pour le plus grand bonheur des économistes, qui n'aiment pas qu'on le leur rappelle, puisqu'il en va de leur valeur sociale. Au contraire, les sociologues vouent, collectivement, une vraie détestation à ce prix : le fait qu'ils ne puissent y accéder leur interdit toute valorisation symbolique : pire, cela les dévalorise, puisque cela souligne qu'ils ne sont pas vraiment des scientifiques -sinon ils auraient leur Nobel.
C'est là que se situe la portée sociologique du prix de cette année : pour la première fois, il a été attribué à une femme (autre groupe jusque là exclu du rite) et à une politologue. Cela suscite cette réflexion, qui est une forme de sociologie sauvage, à Steven Levitt. Commentant le fait que ce soit une politologue qui l'ait obtenu, il écrit :
La lauréate de cette année change, en effet, la portée sociologique du prix : un politologue l'a gagné, c'est donc que la science politique est tout autant que l'économie une science -et, par conséquent, cela signifie que l'économie n'a pas de valeur supérieure au sein des sciences sociales. Les choses sont bien sûr plus complexes : un lauréat ne suffit pas à changer la nature d'un rite de passage. Seul le peut une modification durable de la population qui y accède. Qui plus est, tout rite a une dimension normative : il contraint de satisfaire les réquisits imposés pour le passer. Ici, ce sont ceux de la science économique "mainstream", dont Ostrom est, en effet, très proche. Plutôt que d'introduire les autres sciences sociales dans le champs de la réflexion économique, ce Nobel peut donc au contraire "économiciser" ces sciences sociales, en y valorisant les postulats, les méthodes et les problématiques de l'économie.
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Elles ont permis à l'économie d'ouvrir véritablement la "boite noire" de l'entreprise, en donnant une réponse à la question suivante : pourquoi y-a-t-il des entreprises si le marché est un lieu de coordination optimal ? La réponse est qu'avoir recours au marché est parfois plus coûteux que de produire au sein d'une organisation hiérarchique : c'est la conséquence des "coûts de transaction" qu'implique le recours à un contrat avec un autre acteur sur un marché. Ces coûts tiennent par exemple au risque que le contrat ne soit pas exécuté, ou qu'il le soit mal. Si on produit soi même, ces risques cessent d'exister. Mais alors apparaissent de nouveaux coûts, liés à la gestion de l'organisation hiérarchique. Au final, ni la firme, ni le marché ne sont, en soi, la solution optimale pour produire : cela dépend de ce qu'il y a à produire, et de la situation, puisque c'est ce qui déterminera ce qui est le moins coûteux. Le travail de Williamson a consisté à préciser à quoi tenaient les coûts de recours au marché, et donc dans quelles situations les entreprises préféreront produire en interne.
Mais, plutôt que de poursuivre, en développant les œuvres des lauréats, ce que d'autres ont déjà fait, j'aimerais développer quelques réflexions, de nature sociologique, sur ce que signifie gagner un prix Nobel. Le "cru" de cette année possède, en effet, on va le voir, une riche portée sociologique.
Les prix honorifiques ressortissent d'une forme particulière de rite de passage. Leur particularité sociologique est le nombre restreint de personne qui y accèdent : c'est cette rareté qui fondent leur valeur symbolique.
Contrairement à ce que l'on peut croire, le propre d'un rite honorifique, comme de tout rite de passage, n'est pas, essentiellement, de départager une "élite" de la masse d'une population : ici les "plus grands économistes" de l'ensemble, nombreux, des économistes. Bien entendu, un prix honorifique fait cela, et c'est ainsi que l'on y pense. Mais sociologiquement, il fait bien plus : il départage les membres d'un groupe qui peuvent, potentiellement, accéder à ce prix, même si il est très improbable qu'ils y parviennent, de ceux qui ne le pourront jamais, en aucune circonstance. En faisant cela, il donne une valeur symbolique supérieure, non seulement à ceux qui gagnent le prix, mais à tous ceux qui ne le gagneront jamais, mais qui pourraient en principe le faire. Il leur confère également, par ricochet, une "essence" sociale supérieure, puisque ce rite leur est potentiellement accessible. Au contraire, ce qui ne peuvent y accéder, sont, du simple fait que le prix existe, dévalorisés symboliquement. Un rite honorifique valorise donc non seulement les quelques individus qui y accèdent, mais l'ensemble du sous groupe auquel ces individus appartiennent, et dévalorise les individus des sous groupes auquel ils n'appartiennent pas.
Ici, le groupe de référence est celui des chercheurs scientifiques, et plus particulièrement de ceux qui travaillent sur les sociétés humaines et leur fonctionnement. Le Prix Nobel, au sein de ce groupe, fait un partage entre une sous population "les économistes", parce que tous ses membres peuvent potentiellement le gagner, et, d'autre part, tous les autres chercheurs en sciences sociales, qui ne le pourront jamais. Les uns sont des "vrais" scientifiques, puisque leur discipline fait partie de celles qui sont dotées d'un prix Nobel. Les autres ne sont pas tout à fait scientifiques, puisqu'ils ne peuvent pas gagner de Nobel.
C'est bien ainsi qu'il faut comprendre l'importance que revêt pour les économistes ce prix : il leur a permis de passer du bon côté, symboliquement valorisé, du rite de passage. On sait, bien sûr, que le "Prix Nobel" d'économie n'est pas un Prix Nobel, puisqu'il ne figure pas dans le testament fondateur d'Alfred Nobel et qu'il n'est pas décerné par l'Académie des sciences de Suède. Mais tout le monde l'oublie, pour le plus grand bonheur des économistes, qui n'aiment pas qu'on le leur rappelle, puisqu'il en va de leur valeur sociale. Au contraire, les sociologues vouent, collectivement, une vraie détestation à ce prix : le fait qu'ils ne puissent y accéder leur interdit toute valorisation symbolique : pire, cela les dévalorise, puisque cela souligne qu'ils ne sont pas vraiment des scientifiques -sinon ils auraient leur Nobel.
C'est là que se situe la portée sociologique du prix de cette année : pour la première fois, il a été attribué à une femme (autre groupe jusque là exclu du rite) et à une politologue. Cela suscite cette réflexion, qui est une forme de sociologie sauvage, à Steven Levitt. Commentant le fait que ce soit une politologue qui l'ait obtenu, il écrit :
So the short answer is that the economics profession is going to hate the prize going to Ostrom even more than Republicans hated the Peace prize going to Obama. Economists want this to be an economists’ prize (after all, economists are self-interested). This award demonstrates, in a way that no previous prize has, that the prize is moving toward a Nobel in Social Science, not a Nobel in economics.
La lauréate de cette année change, en effet, la portée sociologique du prix : un politologue l'a gagné, c'est donc que la science politique est tout autant que l'économie une science -et, par conséquent, cela signifie que l'économie n'a pas de valeur supérieure au sein des sciences sociales. Les choses sont bien sûr plus complexes : un lauréat ne suffit pas à changer la nature d'un rite de passage. Seul le peut une modification durable de la population qui y accède. Qui plus est, tout rite a une dimension normative : il contraint de satisfaire les réquisits imposés pour le passer. Ici, ce sont ceux de la science économique "mainstream", dont Ostrom est, en effet, très proche. Plutôt que d'introduire les autres sciences sociales dans le champs de la réflexion économique, ce Nobel peut donc au contraire "économiciser" ces sciences sociales, en y valorisant les postulats, les méthodes et les problématiques de l'économie.
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mardi 6 octobre 2009
La France va-t-elle faire faillite ?
Hier, en regardant dans ma boite aux lettres, et en y trouvant, pour la première fois, un exemplaire promotionnel de Valeurs Actuelles, je me suis dit que j'avais dû commettre une erreur grave dans ma vie, pour être ainsi inscrit dans le listing des clients potentiels de ce magazine.
Mais ma méditation sur mon existence fut brutalement interrompue par la lecture du titre de la couverture ("Déficits publics : l'explosion") et de cette affirmation :
Mais, d'un autre côté, il est exact que la crise actuelle se traduit par une forte augmentation de la dette publique. Au cours des seuls deux premiers trimestres de 2009, la dette publique a augmenté de 6 points de PIB, atteignant 74%. Elle sera probablement de 77% à la fin de l'année, contre 67% un an plus tôt. Si l'on suit les dernières prévisions du FMI, la dette atteindra même 92,6% du PIB en 2014. Dans ces conditions, l'État français va-t-il faire faillite ?
La réponse est : il n'y a pas le moindre risque que cela se produise. Avec un peu de chance, cet accroissement de l'endettement se produira même sans douleur.
Un emprunteur fait faillite lorsqu'il n'est plus capable de faire face à ses engagements. Or, l'État a une propriété importante en tant qu'emprunteur, qui le différencie des emprunteurs privés : il peut se contenter de ne rembourser que les intérêts de sa dette et jamais le principal. Il est en effet éternel, et personne ne lui demande de rembourser à un moment donné la totalité de sa dette, de peur qu'il ne meure sans l'avoir payée. De fait, l'État français n'a pas remboursé le principal depuis plus de 30 ans. La vraie mesure de la capacité de l'État français à faire face à ses échéances est donc constituée par l'importance du paiements des intérêts en proportion de ses recettes : il y aura faillite le jour où l'État ne pourra plus financer ses dépenses, parce qu'une partie trop importante (mais difficile à déterminer précisément) de ses recettes passera dans le remboursement des intérêts échus.
On en était très loin à l'époque (2006-2008) du débat hystérique sur la dette publique. A cette période, la proportion du paiements des intérêts par rapport aux recettes des administrations publiques était même la plus faible depuis 20 ans : un peu plus de 5% en 2006. Ce qui représentait 2,6% du PIB.
L'État français était très loin de la faillite, puisqu'il n'utilisait que 5,3% de ses recettes à honorer ses créanciers, soit 2,6% du PIB du pays. Il est vrai que ces 2,6% de PIB n'étaient pas consacrés à construire des écoles ou des hôpitaux, mais l'on voit immédiatement le poids certes non négligeable mais au final limité que ces paiements faisaient peser sur l'action publique.
Mais qu'en sera-t-il en 2014, lorsque l'endettement représentera 92,6 % du PIB ? La réponse est que l'on ne peut savoir exactement, puisque cela sera fonction de l'évolution du taux d'intérêt auquel l'État se refinance, dont dépend le taux d'intérêt moyen qu'il paye sur sa dette. Le taux d'intérêt moyen sur la dette publique était en 2008 de 4,15 %. Depuis les taux d'intérêt sur les titres publics ont nettement baissé : ils sont même très inférieurs à 4% si l'Etat emprunte pour moins de 20 ans.
Il est donc raisonnable de faire l'hypothèse que l'État payera, en moyenne, environs 4% d'intérêt sur sa dette. Avec cette hypothèse, un calcul immédiat permet de constater qu'une augmentation de 25 points de PIB de la dette publique va se traduire par un accroissement de 1 point de PIB des paiements des intérêts de la dette (25 x 0.04).
Au final, l'État français ne rentrera pas dans les territoires inconnus qui précèdent la faillite : le paiements des intérêts ne sera, proportionnellement au PIB, que très légèrement supérieur à son sommet historique de l'après guerre : 3,7 % en 2014 contre 3,6% en 1996. A l'époque, cela représentait 7,1 % des recettes publiques : pas exactement la situation d'un emprunteur qui s'apprêtent à faire faillite, ni même un poids insupportable pour l'action publique.
La faillite paraît d'autant moins probable que, depuis 1996, les recettes publiques, proportionnellement au PIB, ont baissé.
Entre 2006 et 2008 seulement, les recettes publiques ont baissé de 1 point de PIB : très exactement ce qu'il faudra trouver en plus pour payer les intérêts en 2014.
Mais il faudrait que le gouvernement augmente les prélèvements obligatoires. Gordon Brown l'a fait au Royaume-Uni, en faisant passer la tranche supérieure de l'impôt sur le revenu de 40% à 50%. Obama s'apprête à le faire aux États-Unis. Pour la France, cette augmentation serait somme toute modérée : il suffirait de retrouver le niveau d'avant l'élection de N. Sarkozy. C'est dans ce sens que l'accroissement de l'endettement public peut se faire, avec un peu de chance, sans douleur : pour autant que N. Sarkozy revienne sur son bouclier fiscal, et pour autant que les taux d'intérêt n'augmentent pas.
Première fragilité du scénario : l'évolution des taux. Si ceux-ci augmentent, le paiements des intérêts peut devenir véritablement important. Si l'on fait l'hypothèse légèrement moins optimiste d'un taux moyen de 4,5% au lieu de 4%, le paiements des intérêts représentent une part nettement plus significative des recettes -même si on est toujours loin de la faillite.
Mais le vrai risque est ailleurs : si N. Sarkozy accroit les prélèvements obligatoires, il en sera fini de la loi TEPA, et de l'objectif fondamental de la majeure partie de la droite française : la baisse des impôts. Plus : cela constituerait une grave défaite politique pour Sarkozy qui a identifié son action à cette baisse. C'est pourtant très exactement ce que demande la logique économique, qui a toujours conduit à des hausses d'impôts après un accroissement de l'endettement dû à des circonstances exceptionnelles.
Il est donc à craindre qu'une toute autre voie ne soit choisie : la réduction des dépenses publiques, hors paiements des intérêts. En appelant à une "politique drastique d’austérité budgétaire", c'est très exactement ce que demande Valeurs actuelles, dont les lecteurs ne sont pas prêts d'accepter de se passer du bouclier fiscal, au moment même où on leur enlève les paradis fiscaux. En attendant, il ne me reste plus qu'à espérer que le magazine mène une "politique drastique d'austérité de son budget publicitaire" et me raye de ses listings.
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Mais ma méditation sur mon existence fut brutalement interrompue par la lecture du titre de la couverture ("Déficits publics : l'explosion") et de cette affirmation :
L’alerte est claire : sans une politique drastique d’austérité budgétaire, il y a désormais un vrai risque de faillite de l’État.Je me suis immédiatement rasséréné : depuis qu'on nous l'annonce, l'apocalypse ne s'est pas produite et je ne doute pas des motivations politiques inhérentes à ce genre de propos.
Mais, d'un autre côté, il est exact que la crise actuelle se traduit par une forte augmentation de la dette publique. Au cours des seuls deux premiers trimestres de 2009, la dette publique a augmenté de 6 points de PIB, atteignant 74%. Elle sera probablement de 77% à la fin de l'année, contre 67% un an plus tôt. Si l'on suit les dernières prévisions du FMI, la dette atteindra même 92,6% du PIB en 2014. Dans ces conditions, l'État français va-t-il faire faillite ?
La réponse est : il n'y a pas le moindre risque que cela se produise. Avec un peu de chance, cet accroissement de l'endettement se produira même sans douleur.
Un emprunteur fait faillite lorsqu'il n'est plus capable de faire face à ses engagements. Or, l'État a une propriété importante en tant qu'emprunteur, qui le différencie des emprunteurs privés : il peut se contenter de ne rembourser que les intérêts de sa dette et jamais le principal. Il est en effet éternel, et personne ne lui demande de rembourser à un moment donné la totalité de sa dette, de peur qu'il ne meure sans l'avoir payée. De fait, l'État français n'a pas remboursé le principal depuis plus de 30 ans. La vraie mesure de la capacité de l'État français à faire face à ses échéances est donc constituée par l'importance du paiements des intérêts en proportion de ses recettes : il y aura faillite le jour où l'État ne pourra plus financer ses dépenses, parce qu'une partie trop importante (mais difficile à déterminer précisément) de ses recettes passera dans le remboursement des intérêts échus.
On en était très loin à l'époque (2006-2008) du débat hystérique sur la dette publique. A cette période, la proportion du paiements des intérêts par rapport aux recettes des administrations publiques était même la plus faible depuis 20 ans : un peu plus de 5% en 2006. Ce qui représentait 2,6% du PIB.
L'État français était très loin de la faillite, puisqu'il n'utilisait que 5,3% de ses recettes à honorer ses créanciers, soit 2,6% du PIB du pays. Il est vrai que ces 2,6% de PIB n'étaient pas consacrés à construire des écoles ou des hôpitaux, mais l'on voit immédiatement le poids certes non négligeable mais au final limité que ces paiements faisaient peser sur l'action publique.
Mais qu'en sera-t-il en 2014, lorsque l'endettement représentera 92,6 % du PIB ? La réponse est que l'on ne peut savoir exactement, puisque cela sera fonction de l'évolution du taux d'intérêt auquel l'État se refinance, dont dépend le taux d'intérêt moyen qu'il paye sur sa dette. Le taux d'intérêt moyen sur la dette publique était en 2008 de 4,15 %. Depuis les taux d'intérêt sur les titres publics ont nettement baissé : ils sont même très inférieurs à 4% si l'Etat emprunte pour moins de 20 ans.
Il est donc raisonnable de faire l'hypothèse que l'État payera, en moyenne, environs 4% d'intérêt sur sa dette. Avec cette hypothèse, un calcul immédiat permet de constater qu'une augmentation de 25 points de PIB de la dette publique va se traduire par un accroissement de 1 point de PIB des paiements des intérêts de la dette (25 x 0.04).
Au final, l'État français ne rentrera pas dans les territoires inconnus qui précèdent la faillite : le paiements des intérêts ne sera, proportionnellement au PIB, que très légèrement supérieur à son sommet historique de l'après guerre : 3,7 % en 2014 contre 3,6% en 1996. A l'époque, cela représentait 7,1 % des recettes publiques : pas exactement la situation d'un emprunteur qui s'apprêtent à faire faillite, ni même un poids insupportable pour l'action publique.
La faillite paraît d'autant moins probable que, depuis 1996, les recettes publiques, proportionnellement au PIB, ont baissé.
Entre 2006 et 2008 seulement, les recettes publiques ont baissé de 1 point de PIB : très exactement ce qu'il faudra trouver en plus pour payer les intérêts en 2014.
Mais il faudrait que le gouvernement augmente les prélèvements obligatoires. Gordon Brown l'a fait au Royaume-Uni, en faisant passer la tranche supérieure de l'impôt sur le revenu de 40% à 50%. Obama s'apprête à le faire aux États-Unis. Pour la France, cette augmentation serait somme toute modérée : il suffirait de retrouver le niveau d'avant l'élection de N. Sarkozy. C'est dans ce sens que l'accroissement de l'endettement public peut se faire, avec un peu de chance, sans douleur : pour autant que N. Sarkozy revienne sur son bouclier fiscal, et pour autant que les taux d'intérêt n'augmentent pas.
Première fragilité du scénario : l'évolution des taux. Si ceux-ci augmentent, le paiements des intérêts peut devenir véritablement important. Si l'on fait l'hypothèse légèrement moins optimiste d'un taux moyen de 4,5% au lieu de 4%, le paiements des intérêts représentent une part nettement plus significative des recettes -même si on est toujours loin de la faillite.
Mais le vrai risque est ailleurs : si N. Sarkozy accroit les prélèvements obligatoires, il en sera fini de la loi TEPA, et de l'objectif fondamental de la majeure partie de la droite française : la baisse des impôts. Plus : cela constituerait une grave défaite politique pour Sarkozy qui a identifié son action à cette baisse. C'est pourtant très exactement ce que demande la logique économique, qui a toujours conduit à des hausses d'impôts après un accroissement de l'endettement dû à des circonstances exceptionnelles.
Il est donc à craindre qu'une toute autre voie ne soit choisie : la réduction des dépenses publiques, hors paiements des intérêts. En appelant à une "politique drastique d’austérité budgétaire", c'est très exactement ce que demande Valeurs actuelles, dont les lecteurs ne sont pas prêts d'accepter de se passer du bouclier fiscal, au moment même où on leur enlève les paradis fiscaux. En attendant, il ne me reste plus qu'à espérer que le magazine mène une "politique drastique d'austérité de son budget publicitaire" et me raye de ses listings.
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