En tant que technique de gestion, la valeur actionnariale met l'entreprise au service exclusif de ses actionnaires, en cherchant à maximiser sa rentabilité financière (ROE). Cela a de multiples conséquences. Une d'entre elles est que les entreprises conservent une partie de plus en plus faible des profits qui leur restent après paiement des impôts et des intérêts des emprunts. Ces profits retenus leur permettent, notamment, d'autofinancer leur investissement. Depuis la fin des années 1970, les profits sont, au contraire, de plus en plus reversés aux actionnaires sous la forme de dividendes. Comme le montre le graphique, la proportion de profits reversés sous forme de dividendes a atteint durant les années 2000 un niveau très élevé, si élevé qu'il menace l'autofinancement de l'investissement.
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La crise financière de 2008/2009 a offert une illustration extrême des déséquilibres que pose cette valeur actionnariale.
Alors que les profits des entreprises américaines étaient en forte baisse (-30% entre 2006 et fin 2008), celles-ci se sont efforcées de maintenir à un niveau constant les dividendes distribués à leurs actionnaires. Pour cela, elle ont diminué la part de profits non redistribués, en donnant à leurs actionnaires, sous forme de dividendes, une proportion de plus en plus forte de leurs profits. Il a fallu attendre la deuxième moitié de l'année 2009 pour que la part des dividendes diminue. Et probablement pas seulement parce que les entreprises américaines ont commencé alors à faire payer à leurs actionnaires une part du coût de la crise : mais également parce que le rebond des marchés boursiers permettait de compenser la baisse des dividendes par des plus-values.
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On voit qu'au dernier trimestres 2008, celui du cœur de la crise financière, les entreprises ont redistribué sous forme de dividendes légèrement plus de 100% de leurs profits. Comment cela est-il possible ? Très simplement : les entreprises ont choisi de s'endetter pour payer des dividendes. C'est en fait, pour l'essentiel, les entreprises du secteur financier qui ont eu recours à l'emprunt pour pouvoir payer des dividendes à leurs actionnaires, alors que leurs profits s'effondraient en raison de la crise (diminution d'un facteur 3 entre début 2006 et fin 2008). A l'automne 2008, les dividendes représentaient ainsi 170% des profits des entreprises financières américaines.
Or, une part non négligeable des emprunts qui ont financé ces dividendes était constituée de fonds fournis par l'État américain pour sauver le secteur financier. Comme le souligne cette étude, les grandes banques américaines ont donc tout simplement détourné l'argent des contribuables américains pour payer leurs actionnaires.
Par ailleurs, comme le note toujours cette étude, la valeur actionnariale a poussé à une prise de risque croissante, en conduisant les banques à augmenter leur levier d'endettement avant la crise, pour faire en sorte d'accroître leur rentabilité financière. Cela conduit à s'interroger sur les justifications théoriques de la valeur actionnariale. Selon celles-ci, les actionnaires doivent obtenir un rendement supérieur à celui d'un rendement sans risque, puisqu'ils prennent précisément un risque, celui de la faillite. Or, durant la crise financière, les établissements financiers ont fait fi du principe qui veut que l'on doit toujours assurer le paiement des créanciers avant celui des actionnaires en cas de faillite. Et ils l'ont fait tout simplement pour pouvoir assurer un rendement constant à leurs actionnaires, alors même que le risque s'était matérialisé.
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