samedi 6 novembre 2010

Auto-promotion

Que le meilleur gagne ! (Je ne sais qui en est à l'origine, mais bravo pour cette initiative et pour avoir réuni un si beau jury).
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samedi 30 octobre 2010

De retour des abysses ?

Commentaires libres...

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Données du graphique disponibles ici au format Calc d'Open Office.

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mardi 19 octobre 2010

Beveridge, maintenant ?

Les travaux de Peter Diamond, Dale T. Mortensen et Chris Pissarides, primés cette année par la Banque Centrale de Suède dans son prix en mémoire d'Alfred Nobel, peuvent être conçus comme un approfondissement de la fameuse "courbe de Beveridge", du nom du célèbre lord, inspirateur du Welfare State britannique.

Beveridge met en rapport, dans une courbe, le taux de chômage et le taux d'emplois vacants.

Comme on le voit sur la courbe 1, il présume, assez logiquement, que plus le nombre d'emplois vacants sera important, plus le taux de chômage sera faible. Plus les employeurs ont besoin d'employés, plus ils sont prêts à en embaucher, même si ils ne les satisfont pas pleinement, ce qui a pour effet de faire baisser le chômage. Ainsi, au cours du cycle économique, le taux de chômage fluctue le long de la courbe 1. Plus la conjoncture est favorable, plus le nombre d'emplois vacants s'accroît, et plus le chômage baisse.

Beveridge qualifie de "plein emploi" la situation où nombre de chômeurs est égal au nombre d'emplois vacants, même si le taux de chômage est élevé (point qui correspond à l'intersection de la courbe et de la droite de pente 45°). En effet, si, dans cette situation, il y a des chômeurs cela ne résulte pas d'une situation d'"équilibre de sous emploi", au sens de son contemporain Keynes. Ce n'est pas parce que la demande globale fait défaut qu'il y a du chômage, mais parce que les employeurs ne trouvent pas d'employés qui les satisfassent (et réciproquement). Il s'agit donc d'un problème microéconomique lié au marché du travail. En particulier, cette situation peut résulter du fait que les employeurs peuvent avoir du mal à trouver les employés qu'ils cherchent ou que, réciproquement, les chômeurs peuvent avoir du mal à trouver les emplois qu'ils souhaitent occuper.

Si ces difficultés s'accroissent, on ne fluctue plus alors sur la courbe 1. Au contraire, de la courbe 1, on passe à la courbe 2. Il faut maintenant un nombre d'emplois vacants plus élevé qu'auparavant pour atteindre un même taux de chômage. Le marché du travail fonctionne donc moins bien.

Les travaux de Peter Diamond, Dale T. Mortensen et Chris Pissarides ont consisté, comme beaucoup de travaux en économie "mainstream" depuis les années 1970, à trouver des fondements microéconomiques capables d'expliquer que le marché du travail "fonctionne" plus ou moins bien. Pour ce faire, ils ont fabriqué des modèles où des acteurs rationnels s'efforcent de maximiser leur utilité, en fonction du contexte (et notamment de la présence d'indemnités chômage), dans la découverte d'emplois (pour les chômeurs) ou de travailleurs potentiels (pour les entreprises). On trouve un excellent résumé de ces analyses par Alexandre Delaigue sur le blog d'éconoclaste.

Les principaux fondements de ces analyses sont posés par une série d'articles qui vont, grosso modo, de 1981 à 1993. La date de ces publications n'est pas un hasard. Elles témoignent de l'actualité à l'époque de la courbe de Beveridge.

Avec la récession de la fin des années 1970, le taux de chômage ne fait pas qu'augmenter : la courbe de Beveridge se déplace. Une des raisons de ce déplacement est ce que Blanchard, qui est le coauteur d'un certain nombre des articles de Diamond, appelle l'effet d'hystérèse du chômage. Au fur et à mesure que le chômage augmente et que sa durée s'accroît, les chômeurs se déqualifient, faute d'expérience professionnelle. Ils sont donc moins employables : le taux de chômage ne peut donc plus retrouver son niveau antérieur à la crise. La courbe de Beveridge se déplace ainsi vers la droite du graphique. Il est donc, à l'époque, essentiel de comprendre comment améliorer l'efficacité du marché de l'emploi pour diminuer ce type d'effets. Et c'est ce que proposent les travaux primés par la Banque de Suède cette année.

On ne dispose pas en France de séries statistiques sur le nombre d'emplois vacants. La seule information, bien moins fiable, qui s'en approche est le nombre d'entreprises industrielles qui déclarent des difficultés dans leurs recrutements. On construit donc, à partir de cette variable, des "quasi courbes de Beveridge".

Si l'on croise cette variable et le taux de chômage pour les hommes (principaux concernés par les emplois industriels), voici ce que l'on trouve :
Comme on peut le voir, à la faveur de la récession de 1993, la quasi courbe de Beveridge se déplace vers la droite. On passe de la courbe en bleu à celle en rouge. Entre le début et la fin des années 1990, il y a deux points de taux de chômage en plus pour un nombre équivalent d'entreprises qui déclarent avoir des difficultés de recrutement. Les raisons de ce déplacement sont multiples, mais il me semble que l'effet d'hystérèse joue un rôle essentiel. Les chômeurs se sont déqualifiés au fur et à mesure que la crise dure.

Avec les années 2000, notamment grâce à une modeste "activation" des politiques de l'emploi, la courbe de Beveridge s'est de nouveau déplacé vers la gauche, sans jamais rejoindre toutefois sa position antérieure : la courbe jaune se décale erratiquement et lentement vers la gauche. (Chez les femmes, le déplacement est beaucoup plus marqué, signe de l'amélioration de leur insertion dans le marché du travail : leur quasi courbe est aujourd'hui nettement plus à gauche qu'en 1990).

On voit que la récession qui débute en 2008 a conduit à un déplacement le long de cette nouvelle courbe de Beveridge (la courbe s'arrête au second trimestre 2010 inclus).

Nous n'avons, en effet, pas changé de courbe de Beveridge, avec l'augmentation du taux de chômage : nous n'avons fait que nous déplacer, exceptionnellement rapidement, sur la courbe qui préexistait à la crise. Cette augmentation est le produit d'une économie marquée par une demande insuffisante, et non d'un accroissement du chômage structurel. C'est ce que ne cesse de marteler, pour le cas des Etats-Unis, Paul Krugman sur son blog (voir notamment ce billet).

L'un des enjeux essentiels des politiques économiques dans les prochaines années est en effet clair : il est absolument nécessaire que la courbe ne se déplace plus vers la droite, comme elle l'a fait durant les années 1990. Cela nous condamnerait à revivre le gâchis humain et économique des années 1980 et 1990.

C'est en particulier à cette aune qu'il faut apprécier le potentiel de nuisance des politiques de rigueur dont s'enorgueillissent les hommes politiques européens : en stoppant la reprise, elles menacent de transformer un chômage "keynésien" en un chômage structurel. Et de mettre à bas les minces progrès obtenus dans le fonctionnement du marché du travail en France depuis 15 ans.

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Dans le cadre de l’amélioration du service fourni aux lecteurs de mon blog, je me propose de rendre accessibles les données dont son tirés les graphiques des billets. Pour ce billet, elles sont disponibles ici. Elles sont fournies dans un fichier au format Calc du logiciel libre Open Office, librement téléchargeable ici.

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mardi 12 octobre 2010

Deux enjeux de la réforme des retraites

Au delà des aspects les plus techniques, largement traités ailleurs, ou même ici, j'aimerai revenir sur deux enjeux sous-jacents de la réforme des retraites.

Cette réforme est un échec parce qu'elle n'a pas su prendre en compte la transformation du rapport individuel à la retraite. La retraite a profondément changé de signification : de pension que l'on accorde à celui qui ne peut plus (physiquement) travailler pour lui permettre de ne pas tomber dans l'indigence, elle est devenue un troisième moment dans la vie, vécu comme une libération. Un nombre croissant d'individus aspirent à vivre, encore jeunes et libérés des contraintes du monde professionnel, un moment d'épanouissement. Cette aspiration est forte en France, parce que le monde du travail y est particulièrement difficile à vivre pour les salariés, pour un ensemble de raisons, comme l'ont montré de nombreux travaux, par exemple ceux de Philippon. La volonté de profiter de la vie est ainsi renforcée par le désir de quitter un monde vécu comme oppressant. C'est cela qui rend l'attachement à la retraite à 60 ans si fort.

Face à cela, il y a deux attitudes possibles. Soit l'on considère, à partir d'un a priori normatif implicite, que cette aspiration est illégitime, parce que le travail, ou le PIB/hab dans les comparaisons internationales, sont des vertus en eux-mêmes ; soit l'on pense que les individus doivent être libres de faire ce qu'ils entendent, pour autant qu'ils en assument le coût.
Pour le dire en jargon, qu'on doit laisser les individus libres d'optimiser leur utilité de manière intertemporelle. Si un nombre important d'individus souhaitent partir à 60 ans, que cela leur soit possible : soit en diminuant proportionnellement leur pension, soit en accroissant leurs cotisations.

C'est cette possibilité qu'affecte en particulier le report de l'âge légal de départ à la retraite de 60 à 62 ans. En accroissant l'importance du mécanisme non proportionnel de la décote, elle rend plus impossible encore ce type d'optimisation sous contrainte 1.

Autrement dit, cette réforme amplifie l'inadaptation du système à notre société contemporaine : elle ne tient pas compte de cette aspiration à l'individualisation des retraites. C'est cela qui rend un système à point, inspiré du modèle système suédois, si attractif : il laisse, en effet, libre les individus de réaliser, comme ils l'entendent, le type de parcours de vie qu'ils souhaitent, tout en maintenant équilibrés les comptes des caisses de retraite.

Parallèlement à cet enjeu de l'individualisation, se pose, à l'autre extrême du social, un enjeu collectif, qui renvoie à la lutte entre les différents groupes sociaux sur la richesse produite. Le système actuel est, dans son principe, fondé sur une pure répartition horizontale : des actifs payent des cotisations à des anciens actifs, qui reçoivent une pension en fonction de leurs cotisations passées. C'est donc un système corporatif, ne concernant que le monde professionnel, qui ne vise pas à agir sur la répartition "verticale" de la richesse entre les groupes sociaux hiérarchisés de notre société.

L'extrême opacité du système rend difficile une évaluation précise, mais il n'en est, en fait, pas ainsi. Notamment, parce que ce système ne tient pas compte de l’espérance de vie différentielle entre les groupes sociaux. En 2002, à 35 ans, les cadres hommes avaient 47 ans d'espérance de vie, soit 6 ans en plus que les ouvriers ; et 34 ans sans incapacité, soit 10 ans de plus que les ouvriers. Dans la mesure où, qui plus est, les ouvriers sont deux fois plus nombreux que les cadres, cela signifie qu'une partie de la retraite des cadres est financée par les ouvriers.

La réforme actuelle amplifie ce mécanisme. En effet, en relevant l'âge légal de départ à la retraite, elle impose à tous ceux qui ont commencé à travailler avant 18 ans et demi de cotiser plus longtemps que les 41.5 annuités imposées à tous. Une personne qui a commencé à travailler à 14 ans devra ainsi avoir 2 annuités en plus que le minimum requis pour le taux plein : pendant deux ans, il travaillera "pour rien", du moins pas pour lui. Et ces individus sont presque tous des ouvriers, qui ont été apprentis, et qui mourront pourtant 6 ans plus tôt que les cadres.

Ces injustices ont largement été relevées. Elles forment le coeur de la revendication des syndicats. Mais, on a manqué d'en voir le sens profond. Elle signifie que la réforme assure, pour partie, la pérennité du système actuel par une répartition verticale à l'envers, des ouvriers vers les cadres.

Les propositions de réformes de la gauche vont dans l'autre sens. Elles suggèrent toutes, à des degrés divers, d'utiliser de nouveaux prélèvements, qui ne relèvent plus de la logique "corporative" des cotisations. En particulier de taxer les revenus financiers. Ces propositions surestiment l'ampleur des recettes que rendent possibles ces taxes par rapport aux besoins de financement. Toutefois, leur signification est évidente : il s'agit de financer le maintien de l'âge de départ actuel par une redistribution verticale des richesses. C'est-à-dire de changer le principe même du système.

L'enjeu sous-jacent est clair : à mesure que les ressources s'amenuisent au regard des besoins à financer, apparaît des tensions entre les différents groupes sociaux, qui entendent financer la pérennité de leur mode de vie grâce à la richesse produite par les autres.

C'est toute la limite des propositions de la gauche. Pour que le système français soit pérenne, il faut qu'il obtienne l'acceptation de toute la population, en particulier des classes supérieures. Ces classes ont mené, avec succès, dans les pays anglo-saxon des révoltes fiscales face aux prélèvement d'un Etat-providence dont elles jugeaient qu'il ne leur profitait pas. Comme le note Sterdyniak : "Un système financé par les riches qui ne bénéficie qu'aux pauvres est socialement fragile : les classes moyennes, nombreuses, y sont indifférentes et les riches, influents, hostiles. "

En transformant le principe du système, c'est donc le pacte social implicite sur lequel il est assis que menace de briser la gauche.

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1. Le système de décote est particulièrement mal compris. Il fonctionne, comme le note (p.25) Thomas Piketty, à la façon d'une double peine. On calcule, en effet, premièrement un taux de reversion, qui est proportionnel au nombre d’annuités cotisées. Puis, s'il manque des annuités, en plus de la baisse proportionnelle du taux que cela implique, on ajoute une décote de -1.25 points de % au taux de reversion par trimestre manquant, soit 5 points par année. Atteindre 65 ans permet uniquement de supprimer le mécanisme de la décote, pas celui de la proportionnalité dans la reversion.

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mardi 5 octobre 2010

Les retraites : d'un déficit à l'autre

La réforme des retraites a, sans doute, deux finalités politiques.

Prouver à son électorat que Nicolas Sarkozy est capable de prendre les "douloureuses" mesures qui s'imposent pour relever la France de son lent déclin ; envoyer un message aux marchés financiers, dont on suppose qu'ils menacent tout pays négligeant de réduire son déficit budgétaire.

Ces deux raisons en font une mesure de circonstance, adoptée dans l'urgence, sans concertation.

Un petit compte d'apothicaire suffit à comprendre que, pour cette raison, cette réforme risque de déplacer les problèmes, et donc de faire vivre encore le cycle sans fin de la réformes des retraites (on en est à la 5e depuis 15 ans, si mon décompte est correct).

Pour que cette réforme fonctionne, il faut que la pyramide des âges des taux d'emploi se décale de deux ans. Autrement dit, qu'il y ait, en 2018, autant de personnes de 62 ans qui travaillent par rapport aux personnes de 60 ans aujourd'hui, autant de personnes de 63 ans que les 61 ans d'aujourd'hui, etc.

Si ce n'est pas le cas, cette réforme est au choix une manœuvre cynique, ou un échec. En effet, cela reviendrait à réduire le déficit des caisses de retraites en diminuant les pensions : les travailleurs qui auraient pu prendre leur retraite à taux plein aujourd'hui, et qui ne le peuvent plus avec la réforme, verraient leur pension diminuer puisqu'ils seraient au chômage ou en inactivité forcée avant l'âge légal de départ à la retraite (d'où une décote). Il y aurait certes moins de pensions à verser, et donc moins de déficit, mais au prix d'une combinaison variable de : 1) une dégradation du sort des retraités 2) un report du problème du déficit des caisses de retraites à celui de l'UNEDIC, qui s'en inquiète d'ailleurs. Ce qui ne plairait guère aux marchés financiers, qui se moquent de savoir qui génèrent les déficits publics.

Examinons donc ce que cela signifie. Si l'on suit les prédictions de l'INSEE, il y aura approximativement 1,914 millions de personnes âgées de 60 à 62 ans en 2018 (je prend la donnée de 2020).

Le taux d'emploi des 55-59 ans est actuellement de 63%. Appliquons le à nos 60-62 ans de 2018, puisque telle est la condition du succès de la réforme : que la pyramide des taux d'emploi se décale de deux ans. Cela nous fait 1,23 millions d'actifs supplémentaires.

Il faut donc créer 1,23 millions d'emploi en plus d'ici 2018. Il y a actuellement 2, 615 millions de chômeurs en France. Si l'on ne parvient pas à créer ces emplois, cela signifie que le nombre de chômeur augmenterait de près de 50% (sans doute moins, bien sûr, un certain nombre d'entre eux se décourageant et ne s'inscrivant plus au Pôle Emploi).

Ce premier calcul d'apothicaire nous donne une mesure du défi, et permet d'expliquer les craintes de l'UNEDIC.

On peut préciser ce défi. Il y a 1, 23 millions d'emplois à créer environ, auxquels on peut ajouter approximativement 400 000 emplois pour retrouver un taux de chômage de 8% et stabiliser plus ou moins les caisses de l'UNEDIC. Cela fait 1,6 millions d'emplois, soit environ 6 % de plus qu'actuellement.

Si on prend le scénario le plus pessimiste du COR sur l'évolution de la productivité par tête du travail (+ 1,5 % par an), cela signifie qu'il faut que l'économie française ait un taux de croissance de 2,1 % chaque année en moyenne dans les 7 années qui nous séparent de début 2018. Si le scénario le plus optimiste du COR se confirme (+1,8% de hausse de la productivité du travail), il faudra 2,6% de croissance.

Or, la crise, qui a poussé à agir dans l'urgence, rend ce type de croissance totalement illusoire : à la crise va succéder probablement des années de croissance faible. En janvier 2010, l'OFCE établissait trois scénarios de croissance entre 2011 et 2018. Le noir anticipe 1,3% de croissance annuelle. Le rose, 2,1%.

Tout ceci est totalement approximatif, bien sûr. Mais cela donne une idée des ordres de grandeur auxquels nous allons faire face.

Une chose apparaît alors clairement : Nicolas Sarkozy va devoir vraiment aller chercher la croissance avec ses dents, très longues, il est vrai.

A défaut, bien sûr, d'avoir négocié une réforme avec le MEDEF pour imposer que les entreprises changent leurs stratégies d'embauche des plus âgés, qui rendent, actuellement, encore plus illusoires ces créations d'emplois de seniors. Et un étalement de la mise en oeuvre de la réforme réaliste, étant donné la capacité actuelle de l'économie à créer des emplois. C'est d'ailleurs ce qu'ont fait tous les pays ayant adopté des réformes de ce type, et cela avant même la crise, comme le rappelle le COR (p.5).

On a le courage politique que l'on peut, il est vrai.


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dimanche 2 mai 2010

Deux millénaires de croissance mondiale : pour saluer Angus Maddison

Lundi dernier, Angus Maddison est mort à Neuilly à 83 ans. On pourra lire ici un beau portrait de son parcours.
Maddison est avant tout l'auteur d'une incroyable base statistique, indispensable à la compréhension du monde moderne. Un certain nombre des notes de ce blog se sont appuyées sur cette base statistique, qui ne cesse pas de m'inspirer. Il m'a donc semblé indispensable de lui rendre hommage.

Sa réflexion proprement théorique n'a pas été négligeable, notamment parce qu'il a été l'un des premiers à souligner la nécessité de tenir compte, à côté des facteurs immédiats de la croissance, de facteurs plus profonds, en particulier les institutions -ce qui est aujourd'hui devenu une évidence pour la plupart des économistes.
Mais c'est sa passion pour la quantification, sa "chiffrophilie", pour user de son expression, qui a fait de lui un des économistes ayant le plus influencé la réflexion sur la croissance économique. Cette passion quantitative l'a, en effet, conduit à créer, à partir de la fin des années 1970, des estimations quantitatives de la production économique de plus en plus étendues temporellement et géographiquement, jusqu'à couvrir le monde entier depuis l'an 1 !
L'essentiel de ces travaux se retrouve dans sa publication de 2004, The World Economy: Historical Statistics. (Une partie de la base de donnée sur lequel se fonde cette publication, ainsi qu'une liste de ses publications les plus significatives sont disponibles sur sa page à l'Université de Groningen, où il a été longtemps professeur.)
Par la seule force de leur évidence factuelle, un certain nombre des données de Maddison ont transformé le regard que l'on portait sur la révolution industrielle et sur la place respective de l'Occident et de l'Asie (notamment de la Chine) dans la production économique mondiale.

Je voudrais, à titre d'hommage, en mettre en valeur quelques unes, parmi les plus remarquables.
Premièrement, les données de Maddison ont mise en évidence l'incroyable stabilité de la richesse par habitant, avant la révolution industrielle. L'agitation de l'histoire politique semble, de ce point de vue, comme une écume, flottant au-dessus d'une structure économique immuable. Dans le monde d'avant la révolution industrielle, le fils vit comme le père, c'est-à-dire aussi pauvrement, de générations en générations. C'est le monde malthusien dont G. Clark a depuis étudié les mécanismes dans un livre remarqué.


La révolution industrielle est donc bien une des ruptures les plus fondamentales dans l'histoire humaine. Elle nous a transporté dans un monde de la croissance permanente, où le fils est toujours plus riche que le père, au fil d'une accélération vertigineuse à partir de la deuxième moitié du XXe siècle.

La croissance économique est donc un phénomène fondamentalement récent à l'échelle de l'histoire humaine. Mais c'est également un phénomène qui a bouleversé l'équilibre des forces entre les continents, les pays, et les aires culturelles. C'est le second phénomène particulièrement remarquable qu'a fait apparaître le travail de Maddison.

La révolution industrielle est, en effet, fille de l'Europe, et elle a tardé à se diffuser ailleurs dans le monde, transformant ainsi les équilibres millénaires.

L'Asie (qui comprend ici le Moyen Orient) a, jusqu'à la révolution industrielle, très largement dominé la production économique mondiale. Elle en représentait en l'an 1000 près de 70% (60% sans le Moyen Orient). En 1950, elle en constitue moins de 20% !

Il en est ainsi parce que la croissance a d'abord été un phénomène occidental, que les autres parties du monde n'ont imité qu'avec retard, et avec un succès longtemps moins grand.

La révolution industrielle a donc amené avec elle une transformation radicale de l'équilibre entre les continents : elle a fait du monde un monde occidental, alors que l'humanité avait été jusque là largement dominée par l'Asie.
Ce renversement du monde est particulièrement perceptible si l'on rassemble toutes les composantes du monde occidental. De marginal en l'an 1000 (14%), il représente au sortir de la seconde guerre mondiale 70% de la production économique mondiale. Le monde est alors occidental. Depuis a débuté un déclin relatif de l'Occident. Il est antérieur pour l'Europe qui représente en 1900 la moitié de la production mondiale, mais dont la position relative diminue ensuite, en raison de la montée en puissance des Etats-Unis 1.

Le constat du caractère marginal de l'Occident jusqu'à très tard dans l'histoire humaine, et de l'importance de l'Asie, a participé au renouveau de l'historiographie de la Révolution industrielle : il a poussé à critiquer toutes les analyses qui s'efforcent de trouver des causes profondes, enracinées dans le coeur même de sa civilisation, au succès de l'Occident 2. Aussi difficile que cela soit à accepter pour notre ethnocentrisme spontané, la civilisation occidentale a longtemps été seconde dans l'histoire du monde économique, sans caractère spécial.

Cela conduit à un troisième enseignement que Maddison tire de ses données. La phase de l'histoire économique qui débute vers 1500 est, contrairement à ce que l'on pense spontanément en Occident, une parenthèse dans l'histoire du monde. Les équilibres qu'elle a produits ne peuvent être que transitoires : l'Asie, et particulièrement la Chine, est amenée à retrouver la place qui a été historiquement la sienne.

La formidable croissance actuelle de la Chine et de l'Inde ne devrait donc pas nous surprendre : elle ne représente que le retour des équilibres millénaires entre les populations humaines. Et elle est encore loin d'être achevée. Le recul de la Chine et de l'Inde sur la scène mondial était seul étonnant. Le monde n'aura été que temporairement, et exceptionnellement, occidental.


En effet, alors qu'elles restent dominantes aussi tard que le début du XIXe siècle (ce qu'avait déjà montré les travaux pionniers de Paul Bairoch), la Chine et l'Inde s'effondrent à partir de cette date. De plus de la moitié de la production mondiale en 1800, elles n'en représentent plus, en 1900, qu'approximativement 5%. Il faut attendre les années 1970 pour que le rattrapage de leur position historique intervienne.

Le rattrapage est particulièrement rapide pour la Chine. Pourtant, malgré l'inquiétude que suscite sa puissance retrouvée, elle n'a aujourd'hui recouvré que la moitié de sa position relative passée. Pour Maddison, ce n'est qu'aux environs de 2030 que ce rééquilibrage s'achèvera tout à fait. C'est dire l'ampleur de la transformation des équilibres de puissance qui sont encore devant nous.

La force du rattrapage de la Chine se comprend mieux, en effet, au regard de l'extraordinaire recul qui a longtemps été le sien, et que Maddison a quantifié.

En 1900, la Chine a pratiquement disparu de la scène mondiale : elle compte pour moins de 1% de la production mondiale, après en avoir représenté près du tiers. En 1950, elle possède le triste privilège d'être le seul pays au monde où, un siècle après la Révolution industrielle, le revenu par habitant est inférieur à son niveau de 1500. Ce n'est que depuis la mort de Mao que la Chine est rentrée dans le monde de la croissance du revenu par tête, près de deux siècle après l'Occident. C'est dire l'ampleur du rattrapage qu'il lui restait alors à accomplir, et qui est encore loin d'être achevé.



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1. On voit, par ailleurs, que la montée en puissance de l'Occident est antérieure à la révolution industrielle : un des aspects importants du travail de Maddison est d'avoir participé au renouveau de l'historiographie de la Révolution industrielle, en soulignant que la dynamique de croissance qui y a conduit possède une temporalité longue, qui débute par des transformations structurelles profondes dès la fin du Moyen Age occidental. Aussi brutale que soit la révolution industrielle, elle n'est pas la rupture radicale que l'on a longtemps cru.

2. Voir par exemple, en France, la publication récente du livre de Philippe Norel, L'histoire économique globale, Seuil, 2009. Pour moi, le débat reste, en fait, largement ouvert, surtout par rapport aux thèses les plus extrémistes qui font de la Révolution industrielle un quasi accident. Quelque chose de la thèse de Weber me semble, en particulier, résister.

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jeudi 29 avril 2010

Greek run

Nous voilà dans l'avant dernier acte d'une tragi-comédie grecque : celle où l'action s'accélère vers une fin que l'on pressent tragique.

Jusqu'à présent, la seule question qui se posait lorsque l'on était un investisseur était de l'ordre des asymétries d'information : les Grecs étaient-ils sérieux à propos de leur programme de réduction des dépenses publiques ? La dissimulation de la réalité du déficit budgétaire (dont la révélation est à l'origine lointaine de la crise de défiance actuelle) se poursuivait-elle ? Et, surtout, de quelle nature allait-être l'aide de l'Europe ?

C'était une crise simplement gérable. Il suffisait que les Allemands affirment vouloir aider les Grecs, que le FMI fasse preuve de l'interventionnisme qu'on lui connait, dise la vérité sur le déficit budgétaire et garantisse l'engagement du gouvernement grec dans la réduction des dépenses, et ces asymétries pouvaient être réduites. Une récente étude montre même qu'il était du domaine du possible de parvenir à l'ajustement budgétaire nécessaire.

Mais faute d'agir, faute surtout que l'Allemagne dise enfin ce que tout le monde attendait d'elle, nous sommes rentrés dans une toute autre réalité : dans un monde post-keynésien de l'incertitude radicale, où il ne s'agit plus d'accroître la transparence de l'information, parce qu'il n'y a plus d'information préalable, objective, qui resterait à révéler. Nous sommes dans une situation spéculaire, où le regard que chaque investisseur porte sur le regard des autres investisseurs est créateur d'une dynamique chaotique, radicalement imprévisible, et qui menace de prendre la forme d'une crise auto-réalisatrice d'une ampleur considérable.

De ce point de vue, la situation se rapproche de la situation que l'on a vécu à la suite de la chute de Lehman Brother, où la liquidité s'est asséchée sur le marché interbancaire, menaçant de faillite un grand nombre de banques. En effet, à la façon d'une banque, qui est toujours courte et a toujours besoin de liquidités à court terme, tous les États ont, mensuellement, besoin d'émettre des dettes, même si leur endettement reste stable. Les États, en effet, font tous de la « cavalerie » (« roll over ») sur leur dette. En permanence, des obligations passées arrivent à échéance, et l'État doit pour les payer vendre de nouvelles obligations (sauf s'il est engagé dans une politique drastique de réduction de son endettement, ce qu'aucun État ne peut faire dans le cas d'une récession comme la nôtre). Il peut agir ainsi parce qu'il est éternel, et chaque investisseur sait par conséquent que cette cavalerie ne cessera pas, qu'il sera donc payé un jour, même si c'est avec une dette nouvelle, souscrite par un nouvel investisseur.

La situation des États est donc, en fait, financièrement fragile, et d'autant plus que leur dette a une maturité courte. Si les investisseurs cessent de croire à la permanence de ce jeu de cavalerie, un État fait immédiatement faillite.

Pour la Grèce, la situation est pire : l'État grec a besoin non seulement de nouvelles obligations pour payer les obligations passées arrivées à maturité, mais en plus de nouvelles obligations pour financer un déficit gigantesque, au regard des ressources dont il dispose, puisque supérieur à 10% de la production économique du pays. Autrement dit, son endettement s'accroit si rapidement que les investisseurs se demandent s'il sera solvable dans l'avenir.

Toutefois la question de la solvabilité grecque est une question qui se pose à l'échelle de plusieurs années (4/5 ans), le temps que la dérive de l'endettement le rende réellement insolvable. Les questions que se posaient les investisseurs jusqu'à présent avaient cet horizon temporel : ils se demandaient si cette dérive budgétaire serait contrôlée dans les années futures et si l'État grec serait donc solvable à terme.

Mais ce n'est plus le cas désormais : les investisseurs se demandent maintenant si l'État grec est encore liquide, c'est à dire s'il y a encore d'autres investisseurs pour entretenir le jeu de cavalerie de l'endettement de l'État grec. Car si plus aucun investisseurs n'acceptent de prêter de l'argent à l'État grec ne serait-ce que le mois prochain, celui-ci fait faillite, même s'il s'avère qu'en fait, en lui laissant le temps, il aurait pu effectivement être solvable sur le moyen terme.

Autrement dit, la seule question que se posent les investisseurs est de savoir ce que vont faire les autres investisseurs, dans un jeu d'anticipations spéculaires et croisées. Ce genre de jeu est auto-réalisateur : il suffit que les investisseurs prennent collectivement peur dans l'action des autres investisseurs pour que cette peur se réalise, et que l'État grec fasse faillite. Et un rien, comme le changement de la note d'une agence d'évaluation, plus que jamais performative, suffit à emporter la formation de ces anticipations croisées.

Les banques sont soumises à ce genre de problème : c'est ce que l'on appelle un run, situation qui intervient lorsque les déposants créent la faillite qu'ils redoutent en retirant tous ensemble leurs fonds à la banque. C'est pour cela que l'on a créé les banques centrales, qui garantissent aux déposants qu'ils seront payés quoiqu'il arrive. Cette garantie maintient à bon compte la croyance sur laquelle est bâti le système financier. Lorsque la Fed n'a pas assuré ce rôle à l'égard de Lehman Brother en octobre 2008, la croyance a cessé d'exister, et le système financier avec elle.

Ce que l'on demandait à l'Allemagne (la France ayant accepté de le faire) n'était rien d'autre que cela : de jouer ce rôle de Banque centrale, de perpétuer la croyance dans la capacité de l'État grec de rester liquide, tout en le contraignant à devenir solvable à moyen terme.

Elle ne l'a pas fait. Et l'on ne sait très bien jusqu'où la rupture de la croyance peut aller : il n'y a pas vraiment de limite aux anticipations auto-réalisatrices en situation d'incertitude radicale.

Et c'est là le paradoxe que risque de découvrir l'Allemagne : il ne coûte pas très cher de perpétuer la croyance dans la pérennité du système financier quand celle-ci fait l'objet de quelques doutes. Mais si l'on tarde, le coût peut devenir infini. Quelques milliards de prêts à la Grèce aux taux de marché dont bénéficie l'Allemagne auraient suffit, il y a un mois et demi. Il est désormais de plus en plus probable que ce soit la totalité de la dette grecque que les autres États de la zone euro devront financer dans les années à venir (une 100aines de milliards), plus aucun investisseur n'osant encore le faire, ou seulement à des taux usuraires. Et si la défiance grandit, et s'étend à d'autres États de la zone euro, le coût sera tout simplement infinançable par les États les plus financièrement solides. Pourtant nous devrons tous le payer, au prix d'une explosion des dettes obligataires publiques et de la zone euro. Même l'Allemagne.

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lundi 19 avril 2010

Les ebooks, les DRM et moi

Il n'y a pas de détermination mécanique entre innovation technologique et processus économique de production : les innovations deviennent ce que les acteurs en font économiquement. La façon dont les acteurs économiques se saisissent des innovations est au moins aussi importante que les potentialités technologiques inscrites dans celles-ci. Il n'y a pas de déterminisme technologique mécanique.

C'est du moins ce que je me disais alors que les éditeurs français avait fait de moi un délinquant, capable de supprimer un DRM d'un livre électronique.

Depuis 2 mois, je suis l'heureux propriétaire d'un Kindle d'Amazon. L'offre de livres est gigantesque, la livraison instantanée et les livres n'ont plus aucune poids, si ce n'est celui (très faible) de la machine. Idéal dès que l'on est mobile, par conséquent, ou que l'on veut lire des livres en anglais sans avoir à attendre 10 jours d'être livré.

J'ai certes dû mentir et me découvrir une résidence américaine : il existe des restrictions à l'exportation de certains livres électroniques (exemple : le dernier Stiglitz ou Delong). Pour les obtenir, il faut vivre aux Etats-Unis.

Mais cela n'est pas grand chose face au désert de désolation du paysage éditorial français. L'offre légale de livres récents est quasi inexistante. Pire, les éditeurs n'ont pas su s'entendre : il existe ainsi deux sites principaux. Premièrement, epagine.fr, qui regroupe notamment Gallimard et le Seuil, dans un modèle économique bizarroïde où l'on achète à diverses librairies en France, que l'on peut choisir, et non directement à l'éditeur. Il y a, également, Fnac livre électronique, où l'on trouve notamment Albin Michel.

Cette offre a quatre caractéristiques :

1) elle est dispersée, ce qui implique une recherche pour savoir où trouver le livre que l'on cherche.

2) elle est très faible : quelques milliers de livres au total. Aucun fond, presque exclusivement une sélection de nouveautés.

3) elle est coûteuse : la Fnac vend quasiment au prix du papier (ex : le dernier Cohen/Askenazy coûte 22.5 euros contre 23.75 euros sous forme papier), ce qui n'a aucun sens puisqu'un des avantages de l'édition électronique est de réaliser d'importantes économies de coût (frais d'impression réduit à la mise en forme, pas de magasin, pas de stock, etc.).

4) elle est sous deux formats : ebook et pdf (pour certains livres, on peut avoir le choix entre les deux), protégée par un DRM, qui restreint les supports de lecture : les liseuses qui acceptent ces formats et le logiciel Adobe pour une lecture sur ordinateur.

C'est cette dernière caractéristique qui m'a transformé en délinquant : mon Kindle d'Amazon ne peut pas lire ces formats. Les éditeurs français ont, en effet, une peur extrême du grand méchant américain. Ils ne lui permettent pas de vendre le moindre de leurs livres, et ils vendent les quelques leurs sous un format non compatible avec la liseuse d'Amazon.

Et c'est ainsi que j'ai découvert comment l'on pouvait faire sauter la protection, pour pouvoir lire les livres que j'avais légalement achetés sur mon Kindle. Et que je lis surtout des livres en anglais, ou des livres non couvert par les droits d'auteur.

Ce qu'il y a de fascinant, c'est de voir à quel point les éditeurs français sont en train de reproduire point par point les causes qui ont fait d'une innovation possiblement porteuse de croissance l'origine d'une destruction créatrice majeure dans l'industrie de la musique.

Si le téléchargement illégal s'est développé, c'est en effet :

1) parce que l'offre légale était difficile à trouver et limitée -en tout cas plus limitée et plus difficile d'accès que l'offre non légale.

2) vendue à un prix sans aucun rapport avec son coût véritable, presque aussi cher que l'offre matérielle traditionnelle, sans en offrir le contenu (belle pochette, etc.)

3) avec des protections de type DRM limitant l'usage des produits légalement achetés, rendant l'offre non légale attractive, puisque ne possédant pas ce genre de limitation.

Pire, on sent que les acteurs traditionnels français se sont lancés dans une stratégie désespérée de recherche de rente légale : ils entendent, tout comme les éditeurs de musique, obtenir une protection légale par l'Etat leur permettant d'annuler l'essentiel des transformations qu'imposerait l'innovation technologique. Il semblerait notamment qu'ils tentent d'obtenir la création d'un prix unique du livre électronique, fixé à un niveau proche de celui du format papier.

Ce qu'il y a d'inquiétant est que l'Etat est à leur écoute : plutôt que de favoriser le consommateur (en imposant un format unique, par exemple), et de réfléchir à des aides qui permettrait de financer la reconversion des acteurs que l'innovation rend obsolète, l'Etat français semble croire lui aussi que quelques lois permettront de nier l'innovation technologique. Ce qui est une erreur : les innovations deviennent ce que les acteurs en font, mais elles n'ont jamais cessé d'exister du jour où l'Etat a déclaré qu'elles ne le devaient pas.

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dimanche 4 avril 2010

Mondes parallèles


Des mondes parallèles, mais néanmoins antagonistes, semblent cohabiter dans les pages des Échos : se rencontreront-ils un jour ?
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samedi 27 février 2010

La valeur actionnariale et la crise

La doctrine dite de la "valeur actionnariale" est une des principales transformations structurelles qui composent ce que l'on appelle du terme vague de "financiarisation" de l'économie. Elle est devenue le fondement de la gouvernance des entreprises. Et l'une des causes des déséquilibres des économies contemporaines. Durant la crise, elle a même conduit, comme on va le voir, à un détournement de l'argent public.

En tant que technique de gestion, la valeur actionnariale met l'entreprise au service exclusif de ses actionnaires, en cherchant à maximiser sa rentabilité financière (ROE). Cela a de multiples conséquences. Une d'entre elles est que les entreprises conservent une partie de plus en plus faible des profits qui leur restent après paiement des impôts et des intérêts des emprunts. Ces profits retenus leur permettent, notamment, d'autofinancer leur investissement. Depuis la fin des années 1970, les profits sont, au contraire, de plus en plus reversés aux actionnaires sous la forme de dividendes. Comme le montre le graphique, la proportion de profits reversés sous forme de dividendes a atteint durant les années 2000 un niveau très élevé, si élevé qu'il menace l'autofinancement de l'investissement.



La crise financière de 2008/2009 a offert une illustration extrême des déséquilibres que pose cette valeur actionnariale.

Alors que les profits des entreprises américaines étaient en forte baisse (-30% entre 2006 et fin 2008), celles-ci se sont efforcées de maintenir à un niveau constant les dividendes distribués à leurs actionnaires. Pour cela, elle ont diminué la part de profits non redistribués, en donnant à leurs actionnaires, sous forme de dividendes, une proportion de plus en plus forte de leurs profits. Il a fallu attendre la deuxième moitié de l'année 2009 pour que la part des dividendes diminue. Et probablement pas seulement parce que les entreprises américaines ont commencé alors à faire payer à leurs actionnaires une part du coût de la crise : mais également parce que le rebond des marchés boursiers permettait de compenser la baisse des dividendes par des plus-values.



On voit qu'au dernier trimestres 2008, celui du cœur de la crise financière, les entreprises ont redistribué sous forme de dividendes légèrement plus de 100% de leurs profits. Comment cela est-il possible ? Très simplement : les entreprises ont choisi de s'endetter pour payer des dividendes. C'est en fait, pour l'essentiel, les entreprises du secteur financier qui ont eu recours à l'emprunt pour pouvoir payer des dividendes à leurs actionnaires, alors que leurs profits s'effondraient en raison de la crise (diminution d'un facteur 3 entre début 2006 et fin 2008). A l'automne 2008, les dividendes représentaient ainsi 170% des profits des entreprises financières américaines.

Or, une part non négligeable des emprunts qui ont financé ces dividendes était constituée de fonds fournis par l'État américain pour sauver le secteur financier. Comme le souligne cette étude, les grandes banques américaines ont donc tout simplement détourné l'argent des contribuables américains pour payer leurs actionnaires.

Par ailleurs, comme le note toujours cette étude, la valeur actionnariale a poussé à une prise de risque croissante, en conduisant les banques à augmenter leur levier d'endettement avant la crise, pour faire en sorte d'accroître leur rentabilité financière. Cela conduit à s'interroger sur les justifications théoriques de la valeur actionnariale. Selon celles-ci, les actionnaires doivent obtenir un rendement supérieur à celui d'un rendement sans risque, puisqu'ils prennent précisément un risque, celui de la faillite. Or, durant la crise financière, les établissements financiers ont fait fi du principe qui veut que l'on doit toujours assurer le paiement des créanciers avant celui des actionnaires en cas de faillite. Et ils l'ont fait tout simplement pour pouvoir assurer un rendement constant à leurs actionnaires, alors même que le risque s'était matérialisé.

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jeudi 18 février 2010

La privatisation de l'éducation nationale en un graphique

No comment.
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mardi 16 février 2010

Le "bon sens" et les retraites

Au milieu d'une tribune à propos des négociations sur les retraites écrite par Michel Godet, l'homme du bon sens en économie, je trouve cette phrase :

En effet, les actifs, moins nombreux sur le marché du travail, seront en position de force pour négocier leur salaire net et peu enclin à payer plus pour des générations qui leur ont transmis une dette qui s'élève déjà à 150 000 euros par actif, si l'on tient compte des engagements de l'Etat.

Un concentré de "bon sens" qui n'est, en fait, qu'erreurs factuelles et fausses croyances concernant les retraites et la dette de l'État français. Une phrase, quatre affirmations : quatre erreurs ou approximations.

Vous avez trouvé ? Non ?

Dans l'ordre :

1. "les actifs, moins nombreux sur le marché du travail ...". Prévoir est certes toujours difficile, surtout lorsqu'il s'agit de l'avenir, mais en matière démographique, les prédictions à 20 ans (la projection temporelle de M. Godet) sont relativement fiables. Or, à les croire, le nombre d'actifs va rester stable d'ici 2030, et même 2050.

2. "... seront en position de force pour négocier leur salaire net...". Admettons que le nombre d'actifs diminue, ce qui est probablement faux, comme on vient de le voir. Admettons néanmoins. Alors ? Et bien ce bout de phrase est toujours aussi fautif. Il s'appuie sur un sophisme qui consiste à penser que les emplois sont en nombre stable et qu'ils sont partagés par les actifs qui veulent les occuper. Si leur nombre diminue, les actifs seront donc en position de force face aux employeurs et pourront faire monter leur salaire. Ce raisonnement repose sur du "bon sens", c'est-à-dire sur ce que le sens commun connait : le niveau microéconomique qu'il expérimente seul. A ce niveau, le nombre de personnes qui vont le matin demander un boulot au Pôle Emploi du coin n'a évidemment aucun effet sur le nombre d'emplois que l'agence va leur offrir. Mais, dès lors que l'on se situe au niveau de l'économie tout entière, il n'en va plus de même. Pour une économie prise dans sa globalité, le nombre d'emplois, au-delà des fluctuations produites par l'activité économique conjoncturelle, reflètent assez étroitement le nombre d'actifs. Quand le nombre d'actifs s'accroit, le nombre d'emplois progresse également. C'est ce qui s'est passé en France, à l'exception de la décennie et demi qui a suivi la fin des Trente glorieuses.


Par exemple, dans les années 1955-1965, la population active stagne et il en va de même pour le nombre d'emploi, bien que la croissance soit alors exceptionnellement forte. On peut présumer qu'il en ira de même en 2030 : stagnation de la population active et stagnation du nombre d'emplois 1.

3. "... et peu enclin à payer plus pour des générations qui leur ont transmis une dette qui s'élève déjà à 150 000 euros par actif, si l'on tient compte des engagements de l'État." Là il y a deux imprécisions qui se mêlent dans la même affirmation.

Premièrement, la fameuse métaphore qu'aime tant le "bon sens" de la dette qu'une génération transmet à la suivante, comme un fardeau qui pèserait sur les fils du poids de l'imprévoyance et de l'égoïsme de leurs pères.
Cette métaphore est, en l'occurrence, actuellement fausse à 33%... Son degré de vérité dépend, en effet, du nombre de Français qui achètent de la dette de l'État français. Là encore, le "bon sens" s'appuie sur qu'il expérimente à son niveau de l'économie. Mais le "bon sens" a du mal à comprendre que l'on ne peut raisonner sur une économie tout entière comme l'on raisonne sur le petit épargnant, qu'il connait seulement. Le petit épargnant transmet bien, en effet, son patrimoine (ou ses dettes, s'ils en veulent) à ses héritiers et, ainsi, ils les enrichit ou les appauvrit. Mais, il n'en va pas de même au niveau de l'ensemble des épargnants réunis. Plaçons nous dans le cas le plus simple : celui où la dette de l'État français est entièrement souscrite par des Français. La génération suivante est-elle écrasée du poids de l'insouciance de ses pères ? Nullement, car c'est à cette même génération que l'État français rembourse sa dette. Globalement, cette génération n'est donc ni plus riche, ni plus pauvre. La dette a pour seul effet de produire une redistribution des richesses à l'intérieur même de cette génération, sans affecter le niveau de cette richesse : les fils d'épargnants de la génération précédente reçoivent, en valeur nette, de l'argent de la part de ceux dont les parents n'ont pas épargné. Mais pris ensemble, ils ne sont ni plus riches, ni plus pauvres. Pour que la génération suivante soit appauvrie, il faut donc que leurs parents aient emprunté à des étrangers. Actuellement, la dette de l'État français est détenue pour 2/3 par des étrangers. Nous n'appauvrissons donc que pour 2/3 de la dette la génération suivante. (Cette dernière proposition mériterait diverses remarques. Mais passons).

4. "... si l'on tient compte des engagements de l'État". Comprendre des engagements implicites de l'État, en particulier payer les retraites des fonctionnaires, qui ne sont pas incluses dans la mesure de la dette au sens du traité de Maastricht. Je veux bien que l'on tienne compte des engagements implicites, mais alors où est passé le fameux "bon sens" ? Le but même de la négociation sur les retraites est de déterminer ce que seront les... retraites et donc les engagements qui leur sont liés. On ne peut donc pas faire comme si leur niveau était déjà déterminé. C'est le propre des engagements implicites : ils ne sont pas de la dette, car leur niveau n'est pas irrémédiablement, parce contractuellement, fixé. L'État en fait ce qu'il veut, ou peut, en fonction des négociations qu'ils mènent.

Par ailleurs, le bon sens considère généralement que ce que doit vraiment un individu est constitué par la différence entre ce qu'il possède et ce qu'il doit en brut. Si l'on possède une maison qui vaut 100 000 euros et que l'on doit 200 000 euros à la banque, la vraie dette est de 100 000 euros. Pour une fois, le bon sens a raison, bien qu'étrangement Michel Godet n'y fasse pas appel. Or, l'État français n'a pas que des dettes : il a aussi des actifs financiers (actions, titres divers, etc.). Si l'on en tient compte, la dette publique n'est plus de 84 % du PIB mais de 53 % (données de l'OCDE). La dette n'est plus alors que d'environ 30 000 euros par actif. Ce qui est, d'un coup, nettement moins spectaculaire. Et encore, je n'ai pas entièrement suivi le bon sens : l'État français possède d'autres actifs en plus de ses actifs financiers, comme des maisons de caractère, par exemple, que l'on peut encore déduire de sa dette financière brute. Mais il ne vaut mieux pas suivre le bon sens jusque là : on peut douter que l'État les vende.

On peut donc, au final, se féliciter que "ce ne soit pas le bon sens qui domine dans ce pays", du moins celui que convoque Miche Godet. Ce "bon sens" revient à s'appuyer sur l'expérience de sens commun de l'économie, alors que le savoir portant sur l'économie, comme tout savoir, s'est construit pour une part à force de résistance face à ce que les sens nous donnent immédiatement.

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1. Le même raisonnement permet de comprendre pourquoi il n'y a pas de raison d'attendre, au-delà des ajustements de court terme, une baisse du chômage en raison de la stagnation de la population active. Si le chômage baisse, ce ne sera pas pour cela.


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jeudi 11 février 2010

Le fantasme allemand et la désindustrialisation (II)

Le fantasme allemand se fonde pour une part essentielle sur le mercantilisme crétin qui, joint à l'industrialisme irréfléchi, tient lieu de pensée économique à beaucoup en France. Ce mercantilisme repose une propositions binaire : balance commerciale excédentaire, bien ; balance commerciale déficitaire, mal. Comme sa balance commerciale est très très excédentaire, cela va donc très très bien pour l'Allemagne. Si l'on ajoute qu'elle a maintenu une part constante de son PIB dans l'industrie, c'est donc qu'elle a su s'insérer avec compétitivité dans la mondialisation.

Le problème du mercantilisme crétin est qu'il méconnait le fait qu'une balance commerciale excédentaire ne signifie rien en soi : à la fois au niveau de ses causes et de ses conséquences. Il n'y a aucune justification théorique à la présence d'une balance commerciale excédentaire en toute situation. Dans le cas de l'Allemagne, cette balance commerciale a eu un coût économique élevé. Non seulement pour elle, mais aussi pour les autres pays européens.

Il faut partir d'un constat : contrairement à ce que voudrait le mercantilisme crétin, l'énorme excédent commercial allemand n'a pas généré de la croissance. Au contraire, depuis que l'Allemagne a adopté l'agenda 2010 de reconquête de sa compétitivité, sa croissance économique a été anémique. Avant même la récession de 2009, c'était l'une des plus faibles en Europe.

Même en comparaison de la France, son taux de croissance est très faible. Entre 2000 et 2008, son PIB n'a augmenté que de 10%. Sa récession économique en 2009, une des plus violentes dans le monde, a finalement ramené ce taux de croissance depuis 2000 à moins de 5%. Une décennie quasiment blanche, que l'on voudrait pourtant faire passer pour un succès. A part le Japon, aucun pays développé n'a eu une croissance aussi faible sur la période.

A ce premier constat, on peut ajouter d'autres indicateurs d'insuccès. L'Allemagne n'a pas créé d'emploi entre 2000 et 2010. Avant la crise, en 2008, elle en avait moins créé que la France (3% de plus contre 6%). Entre 2000 et 2008, son taux de chômage n'a pas baissé (7.5%), tandis que celui de la France passait de 9% à 7.8%.

Que s'est-il passé ? L'Allemagne a appliqué, à la lettre, la stratégie voulant que pour être compétitif, il faut baisser le coût du travail. Ainsi, bien qu'elle ait eu moins de gains de productivité que la France (12% pour la productivité par heure entre 2000 et 2007, contre 15% pour la France), le coût unitaire du travail a baissé, nettement, tandis qu'il augmentait en France.

Quand une entreprise a des gains de productivité, elle peut en faire trois choses. Elle peut augmenter les salaires. Si elle les augmente autant que les gains de productivité, le coût unitaire du travail, c'est-à-dire ce que coûte en rémunération salariale la production d'une unité d'un produit donné, reste constant. Si elle n'augmente pas les salaires, le coût unitaire du travail diminue, et l'entreprise peut alors faire deux choses : soit baisser ses prix, redistribuant les gains de productivité au consommateur ; soit augmenter ses profits, se redistribuant, ainsi qu'à ses actionnaires, les gains de productivité. (Dans les faits, ces trois possibilités se combinent en proportion plus ou moins importante).

Les entreprises allemande, encouragées par leur gouvernement, ont choisi de n'augmenter que faiblement les salaires. Cela leur a permis, en 8 ans, de baisser le coût unitaire du travail de plus de 10%. Ce qui correspondait à une stratégie, celle qu'énonce Baverez : reconquérir de la compétitivité prix au niveau international en rendant possible une baisse des prix du made in Germany. Cette stratégie de reconquête de la compétitivité prix est, en apparence, un succès, puisque la balance commerciale allemande a été multiplié par 3 entre 2000 et 2008, pour atteindre près de 180 milliards d'euros (10% du PIB de la France).

Mais le succès n'est qu'apparent. Cette stratégie a, de fait, conduit à briser la dynamique interne de croissance, qui demeure importante pour un pays de grande taille comme l'Allemagne, en créant d'importants déséquilibres dans le bouclage macroéconomique.

Premièrement, les salaires n'ont presque pas augmenté, tandis que les prix ne baissaient pas à proportion des gains de productivité. Les entreprises allemandes ont donc considérablement augmenté leur rentabilité. Il s'est produit, durant les années 2000, une transformation d'une ampleur historique dans le partage de la valeur ajoutée en Allemagne.
Le taux de marge a augmenté de 6 points de % entre 2000 et 2008 atteignant un sommet historique, alors qu'il restait stable en France. La rentabilité des entreprises allemandes s'est considérablement accrue.

Or, ces évolutions ont conduit à anémier la demande intérieure à un niveau tel que la hausse de la demande extérieure n'a pu le compenser. Premièrement, la stagnation des salaires a provoqué une stagnation de la consommation.

Par ailleurs, contrairement à ce qu'affirme Baverez, emporté par la force du fantasme, la hausse considérable de la rentabilité des entreprises allemandes n'a pas conduit à un "élan formidable de réinvestissement", mais au contraire. (La croissance de l'investissement a même atteint un niveau si faible qu'il en est inquiétant pour l'avenir de la compétitivité allemande.)

La consommation finale atone, jointe à la faible hausse de l'investissement, a engendré une stagnation de la demande intérieure, que la hausse de la balance commerciale n'a pas compensé.

La stratégie qui consiste à regagner de la compétitivité en baissant le coût du travail n'est donc pas une voie royale, mais un chemin périlleux, parce que cela menace de briser les équilibres dynamiques macro internes. Dans ce chemin périlleux, l'Allemagne s'est en partie perdu. Contrôler ses coûts du travail n'est donc pas la solution miracle face à la mondialisation, contrairement à ce qu'affirme N. Baverez. Cela ne peut suffire, et cela peut même être dangereux.

Mais il faut nuancer, en ajoutant une chose, décisive. Les efforts en termes de coût du travail en Allemagne ont été bien moins récompensés qu'on peut le croire. Ils ont été peu de chose au regard des évolutions du taux de change de l'euro. Si l'on considère le coût unitaire du travail en Allemagne en dollars et non en euro, et donc en tenant compte des évolutions du taux de change euro/dollar, celui-ci a, en effet, évolué très différemment.


Le coût du travail a, non pas baissé, mais s'est considérablement accru, de près de 40%, à mesure que le taux de change de l'euro par rapport au dollar augmentait durant la décennie 2000. Ce qui a engendré une baisse de la compétitivité prix de l'Allemagne, en dehors de la zone euro, et des pays dont les monnaies sont arrimées à l'euro. Car, contrairement à ce que l'on lit presque toujours, la compétitivité de l'industrie allemande a, également, été affectée par la considérable réévaluation de l'euro.

La totalité de la hausse de sa balance commerciale s'est faite en Europe, et en particulier dans la zone euro. Ses excédents commerciaux avec le reste du monde ont baissé depuis 2002, c'est à dire l'année même où la valeur de l'euro en dollar a commencé à augmenter, entrainant avec lui une hausse du prix en dollar du made in Germany.

Et c'est là que l'on touche à l'arrière fond anti-coopératif au niveau européen de l'agenda 2010. Au regard des évolutions du taux de change euro/dollars, la zone où l'Allemagne pouvait préférentiellement accroître sa balance commerciale est l'euro, puisque, par définition, le taux de change n'y a aucune incidence.

Or, il est une vérité élémentaire en économie internationale : tout excédent commercial a pour contrepartie un déficit. Pour qu'un pays soit en excédent, il faut que d'autres soient en déficit. Autrement dit, en cherchant à obtenir des excédents commerciaux, au prix d'une stagnation de sa demande intérieure, l'Allemagne a poursuivi une stratégie anti-coopérative à l'égard des autres pays européens. Elle a obtenu moins de croissance, et elle a creusé les déséquilibres commerciaux de la zone euro. Le déficit commercial de la France est, en partie, provoqué par cette stratégie. Mais il est peu de chose au regard de celui de la Grèce ou de l'Espagne. Les déficits de ces pays ont, certes, été nourris par des dynamiques internes (spéculatives notamment pour l'Espagne), qui en sont la première cause. Mais ce sont aussi eux qui ont, en partie, rendu possible l'excédent commercial allemand. Et maintenant que ces déficits débouchent sur une crise financière massive, l'Allemagne refuse de payer, et ne le fait finalement que face à l'évidence du risque.

Cette stratégie de compétitivité par la baisse du coût du travail n'est donc pas qu'un échec pour l'Allemagne : c'est aussi un échec pour les autres pays européens, et plus profondément encore pour la construction européenne, en ce qu'elle révèle une incapacité profonde à la coordination macroéconomique au niveau de l'Europe face aux égoïsmes nationaux.


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lundi 8 février 2010

Le fantasme allemand et la désindustrialisation (I)

En écoutant samedi dernier, L'économie en question, j'ai atteint le stade du ras le bol. Pour une énième fois, le fantasme de la désindustrialisation-qui-provoque-le-déclin était convoqué ad nauseam. Nicolas Baverez était en pleine jubilation : il l'avait bien dit, et les récents échecs des industriels français à Abou Dabi ou ailleurs en était la preuve éclatante. Ce fantasme, que semble partager tout homme conservateur de plus de 50 ans, tient en deux propositions :

* Un pays fort est un pays industriel.

* Pour maintenir la compétitivité industrielle dans la mondialisation, il faut savoir contenir le coût du travail.

La France décroche parce qu'elle a échoué à maintenir ses coûts. L'Allemagne réussit parce qu'elle a fait l'inverse.

Ce fantasme de la désindustralisation se double en effet d'un fantasme de l'Allemagne. L'Allemagne, à en croire Baverez est « le seul pays européen favorablement positionné dans la mondialisation en raison du rétablissement de sa compétitivité et de la force de son industrie ». Ou encore, comme il le déclarait samedi, « il n'y a pas de fatalité à la désindustrialisation. Un contre exemple est l'Allemagne qui a réussi à reconstituer la compétitivité de la nation à partir de son industrie [...] grâce à l'agenda 2010 qui a été un élan formidable de réinvestissement mais aussi et surtout de contrôle des coûts unitaires du travail. »

Rien ne saurait pourtant être plus faux, ou du moins plus discutable, que ce double fantasme. En effet, à première vue, c'est l'inverse même qui semble être vrai : la capacité d'un pays à maintenir une proportion constante de son PIB dans le domaine industriel n'a pas de lien, ou un lien négatif, avec son dynamisme économique ; la stratégie allemande est un échec presque complet, échec coûteux pour les autres pays européens.

Débutons donc par la première proposition, qui veut qu'un pays développé doive, pour être dynamique, maintenir une forte base industrielle.

Premièrement, il faut rappeler que la production industrielle n'a pas baissé dans la plupart des pays développés. Il n'y a pas de désindustrialisation au sens où l'on produirait chaque année de moins en moins de biens manufacturés. La production de biens manufacturés continue à croître dans la plupart des pays développés, y compris la France. Mais, dans la mesure où elle croit moins vite que la production dans les autres branches du PIB, sa part dans la production économique d'ensemble diminue, parfois fortement. Ainsi, en France, entre 2000 et 2008, la valeur ajoutée produite dans l'industrie manufacturière a augmenté de 4.25% (et de 30% entre 1990 et 2008), tandis que sa place dans le PIB diminuait nettement, passant de 16% (et 18% en 1990) à 12%. La désindustrialisation est donc relative, et non absolue.



D'autre part, rien ne prouve que cette désindustrialisation relative exerce un effet négatif sur le dynamisme d'une économie. Entre 1990 et 2008, il n'y aucun lien entre le taux de croissance d'une économie et le taux de variation de la part qu'occupe l'industrie manufacturière dans son PIB.



Entre 2000 et 2008, on voit même apparaître un lien négatif, même si la corrélation est faible. Moins un pays s'est désindustrialisé d'un point de vue relatif, plus faible a été son taux de croissance sur la période. Autrement dit, si l'on veut choisir une stratégie de spécialisation, rien ne prouve que maintenir une proportion constante de son activité économique dans le domaine industriel, comme y est parvenu l'Allemagne, soit une bonne chose pour un pays développé. C'est même plutôt l'inverse qui semble vrai. Dans le cas de l'Allemagne, cette stratégie s'est avérée être un échec : elle a un des taux de croissance les plus faible de tous les pays développés -et ce avant même la crise de 2009, qui l'a plus affecté que la plupart des autres économies développées.



Manifestement, alors que les pays asiatiques gagnent en compétitivité dans le domaine, et que la proportion de la consommation consacrée aux biens industriel ne cesse de diminuer dans tous les pays développés, il y a sans doute mieux à faire que de vouloir, à toute force, se maintenir dans le secteur industriel. Et, en tout cas, aucune preuve de la pertinence d'un tel choix.


La suite de ce post est ici.

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mercredi 3 février 2010

Les Grandes Écoles, les Universités et les bourses par Marc Bloch

Analysant les causes de la défaite de 1940, voici ce qu'écrivait Marc Bloch, il y a 70 ans. Toute ressemblance avec des situations contemporaines ne peut être que fortuite.

Des systèmes antérieurs, [les gouvernements] avaient gardé plusieurs grands corps publics qu'ils étaient bien loin de diriger étroitement. Sans doute, les considérations de parti ne manquait pas d'intervenir, assez souvent, dans le choix des chefs d'équipe. De quelque côté que soufflât le vent du moment, les désignations qu'elles imposaient étaient rarement les plus heureuses. Mais le recrutement de base restait presque exclusivement corporatif.

Asile préféré des fils de notable, l'École des Sciences Politiques peuplait de ses élèves les ambassades, la Cour des Comptes, le Conseil d'État, l'Inspection des Finances. L'École Polytechnique, dont les bancs voient se nouer, pour la vie, les liens d'une si merveilleuse solidarité, ne fournissait pas seulement les états-majors de l'industrie ; elle ouvrait l'accès de ces carrières d'ingénieurs de l'État, où l'avancement obéit aux lois d'un automatisme quasi mécanique. Les Universités, par le moyen de tout un jeu de conseils et de comités, se cooptaient à peu près complètement elles-mêmes, non sans quelques dangers pour le renouvellement de la pensée, que le système présent a, provisoirement, dit-il, abolie. [...]

Le régime eut-il tort ou raison de respecter ces antiques corporations ? On peut en disserter à perte de vue. Les uns diront : stabilité, tradition d'honneur. Les autres, vers lesquels j'avoue incliner, répliqueront : routine, bureaucratie, morgue collective. [...]

Mieux eût valu certainement favoriser, par des bourses, l'accès de tous aux fonctions administratives et en confier la préparations aux universités, selon le large système de culture générale qui fait la force du Civil Service britannique.


Marc Bloch, L'étrange défaite, 1940 (pp. 191 et 192 de l'édition Folio).

(Les lecteurs résidant dans un pays où la législation sur le droit d'auteur n'est pas aussi absurdement protectrice qu'en France peuvent trouver une version électronique du livre sur Ebooks libres et gratuits. Sont citées les pp. 158 et 159 de la version PDF.)
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mercredi 27 janvier 2010

Une décennie malhonnête

I sit in one of the dives
On Fifty-second Street
Uncertain and afraid

As the clever hopes expire

Of a low dishonest decade
(W. H. Auden)

La décennie qui vient de s'achever a certainement manqué honnêteté : c'est la décennie du Big Zero, pour reprendre les mots de Paul Krugman, où les espoirs de croissance se sont effondrés dans la récession la plus grave depuis 70 ans.

Cette décennie a été bâtie sur deux promesses :

1. La libéralisation et la financiarisation des économies aurait permis de briser la croissance lente d'après 1973. L'accélération de la productivité nettement perceptible à la fin des années 1990 aux Etats-Unis laissait entrevoir une croissance forte pour les pays développés qui aurait su opérer les changements structurels nécessaires pour en tirer parti. Par ailleurs, la mondialisation semblait pouvoir sortir l'ensemble du Tiers Monde du sous-développement.

2. Les crises asiatique et russe de la fin des années 1990 laissaient entrevoir une plus grande instabilité. Toutefois, celle-ci ne constituait que le prix à payer pour une plus forte croissance. Moins de régulation signifiait plus de croissance, mais également plus d'instabilité. Nous avions choisi un nouvel arbitrage, plus favorable à la croissance.

Ces espoirs ne furent pas tenus. Ils se sont, en particulier, brisés sur la plus grave récession qu'a connu le système capitaliste depuis 70 ans. Examinons en détail en quoi ces promesses ont été trahies.

Premièrement, la croissance mondiale s'est en effet accélérée durant les années 2000, mais elle est loin d'avoir retrouvé son rythme des Trente Glorieuses.

Surtout le constat doit être fortement nuancé, en fonction du type d'économie. Les promesses d'accélération de la croissance ont été, en fait, déçues pour toutes les économies, à l'exception des économies émergentes et en développement.



La croissance a, en particulier, ralenti pour les économies développées, poursuivant une tendance maintenant ancienne. Le taux de croissance annuel y a été ainsi deux fois plus faible qu'il y a 20 ans.

En fait, à part l'Asie, et singulièrement la Chine, la croissance a été plus faible que dans les décennies précédentes partout dans le monde. Or, la Chine a obtenu cette croissance en biaisant avec la libéralisation des économies qui devait en être à l'origine. Elle n'a ainsi jamais libéralisé la circulation des capitaux. Elle a systématiquement sous évalué sa monnaie, poursuivant une politique mercantiliste agressive. Son développement est, d'autre part, fondé sur une série de déséquilibres, internes et externes, qui mettent en question sa pérennité. En particulier, les déséquilibres des balances commerciales avec les États-Unis ne semblent pas durablement viables -du moins pas dans leur forme actuelle.

Ainsi, seules les économies émergentes ont vu leur croissance s'accélérer. Au contraire, pour les autres économies, et en particulier les plus développées, la croissance a ralentie. Le mode de croissance, laissant une place plus importante aux activités financières, et fondé sur une diminution des régulations, n'a pas conduit à plus de croissance, mais à moins -et ce, avant même, la crise de 2008-2009. C'est particulièrement le cas pour l'économie leader : les États-Unis.

Sans même prendre en compte 2009, la décennie 2000 a connu la croissance du PIB par habitant la plus faible depuis la Seconde Guerre mondiale : près de moitié moins que durant les années 1960. Les espoirs d'une accélération de la croissance apparu à partir du milieu des années 1990 se sont brisés sur deux récessions (2001 et 2008-2009), suivi de reprises molles.

Si l'on s'intéresse au principal facteur à long terme de la croissance, la hausse de la productivité, le constat est à peine moins négatif :

La décennie 2000 s'était ouverte, aux États-Unis, sur un grand espoir : entre 1995 et 2000, la croissance de la productivité retrouvait son niveau des Trente Glorieuses, après une décélération brutale qui avait été la principale cause du ralentissement de la croissance à la fin des années 1970. Toutefois, dans les années 2000, les gains de productivité ont, à nouveau, baissé. Ils sont désormais, à nouveau, plus faibles que durant les Trente Glorieuses, même s'ils demeurent significativement plus élevés que durant les deux décennies précédentes.

Nous n'avons donc pas arbitré plus de croissance pour moins de stabilité. C'est évidemment le cas pour les États-Unis :

On voit que les cycles économiques se sont lissés à partir des années 1990, tandis que le taux de croissance tendait à baisser. Point plus important encore : les récessions sont moins nombreuses, et il faut un temps beaucoup plus grand qu'auparavant pour retrouver le taux de croissance tendanciel. Les récessions sont, en d'autres termes, beaucoup plus longues. L'économie a donc perdu en résilience. S'il en est ainsi, c'est parce que c'est leur nature qui s'est transformée : elles résultent de déséquilibres profonds dans l'économie (récession de 2001 ou actuelle) et non de la hausse des taux d'intérêt par la Fed, face à une élévation de l'inflation (récession de 1980).

Avec les années 2000, nous quittons donc un monde de fausses espérances. L'accélération de la croissance à la fin des années 1990 avait laissé espérer un retour à une croissance économique forte. La nouvelle régulation de l'économie, moins réglementée, devait permettre de redynamiser les économies occidentales, et de favoriser le développement des PVD. La promesse a été tenue pour les émergents en Asie. Pour tous les autres, et surtout pour les pays les plus développés, il n'en a rien été. Le taux de croissance a baissé tendanciellement, avant même la crise. Et la crise qui a mis un terme au cycle de croissance du milieu des années 2000 présente une forme accentuée des crises précédentes : brutale, longue, car fondée sur des déséquilibres profonds. Or ces déséquilibres, en particulier l'endettement du secteur privé, ont nourri la croissance.

C'est dire l'ampleur de la tâche qui s'ouvre avec les années 2010, sans que nous ayons un modèle intellectuel achevé pour l'affronter, car c'est aussi, pour une part, les espérances d'une compréhension plus grande de la macroéconomie qui ont été trahies.

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